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Elles ont privé le continent de plusieurs milliards de dollars de ressources potentielles : Comment les agences de notation grugent l’Afrique

Si les Occidentaux perçoivent toujours l’Afrique comme un gâteau à se partager, les grandes banques internationales et autres agences de notation ne ratent pas une occasion pour rouler les Africains dans la farine afin de siphonner leurs ressources financières.

Le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) révèle ainsi dans un rapport qu’il vient de rendre public que les méthodes d’évaluation actuelles des grandes agences de notation ont coûté à l’Afrique des opportunités supplémentaires de financement d’une valeur de 74 milliards de dollars.  L’organisme onusien indique que sur les 32 pays évalués en 2023 par les grandes agences de notation, 30 ont été considérés comme spéculatifs, y compris des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, qui sont pourtant présentés par Fitch Ratings comme des moteurs de la croissance en 2023 sur le continent, avec des progressions respectives de valeurs ajoutées estimées à 8,1% et 7%. Les estimations de pertes effectuées par le PNUD représentent deux fois l’Aide publique au développement accordée par les pays du Comité d’aide au développement (CAD), selon des estimations de l’OCDE. Ce qui est non négligeable. Les pertes d’opportunité constatées auraient pu servir à vacciner 70% des Africains et répondre à 80% des besoins de l’Afrique en matière de financement d’infrastructures. Une véritable saignée.

En quoi les approches des agences de notation comme S&P Global Ratings, Moody’s et Fitch sont-elles biaisées ? Le rapport du PNUD explique que ces approches « reposent très souvent sur des algorithmes préparés pour une certaine conception de la macroéconomie et ne prennent pas en compte les réalités plus concrètes et spécifiques » des pays africains. Il est constaté également que les analystes des agences de notation peuvent manquer de précision en produisant des analyses de risques qui tiennent compte de la vision courante des investisseurs sans évaluer en détail la réalité africaine.

Dans son rapport, le PNUD reproche par ailleurs à plusieurs pays africains de ne rien entreprendre pour changer la donne. L’agence des Nations Unies regrette le fait que dans certains pays, en particulier en Afrique francophone, « les données statistiques sont rares ou arrivent souvent avec un décalage dans le temps, ce qui peut pousser à des estimations ». Le PNUD doit avoir expérimenté une autre approche d’analyse des réalités économiques africaines qui pourrait permettre de changer la perception des investisseurs sur la région.

Le cadre du G20, une vraie fausse solution

Le rapport du PNUD est sorti peu de temps avant l’annonce d’un accord pour accélérer la mise en œuvre du cadre du G20 pour la restructuration de la dette des pays en développement. La menace que représentent les agences de notation pour ce processus n’a pas été abordée. Même si elles se défendent de ne fournir que des avis, plusieurs investisseurs s’appuient sur leurs commentaires pour évaluer la prime de risque à exiger d’un emprunteur. Parmi les propositions qui sont formulées pour changer la situation, il y a celles qui consistent en la mise en place d’une agence africaine de notation et le renforcement des capacités de celles qui existent déjà sur le continent, comme GCR Ratings au Sénégal ou encore Bloomfield en Côte d’Ivoire.

Faut-il attendre maintenant quelque chose du cadre commun mis en place par le G20 pour rendre la dette des pays à faibles revenus soutenable dans un contexte encore marqué par les effets de la Covid-19 ? Le ministre Alamine Ousmane Mey, chargé de l’Economie et de la Planification au Cameroun, n’y croit pas trop. Il a estimé que le cadre en question était une bonne idée mais que celle-ci manque d’efficacité. « C’est une bonne initiative, mais elle prend trop de temps », a fait savoir M. Mey lors d’un entretien réalisé en marge des rencontres de printemps de la Banque mondiale et du FMI par Atlantic Council, un think tank américain spécialisé dans les relations internationales. Il a ainsi expliqué subtilement les raisons pour lesquelles son pays n’a pas encore recouru au processus. Pour ce responsable africain, une solution plus efficace consisterait à inclure dans le futur, des options de suspension de paiement du service de la dette sur une période définie (« 2 ans par exemple »), dans l’hypothèse où surviendrait une crise, sans qu’il ne soit besoin d’engager des discussions interminables. Cette vision se rapproche des propositions et appels de dirigeants africains pour une nouvelle architecture de la finance internationale. Le cadre commun du G20 peine en effet à apporter des résultats tangibles. Seuls trois pays sur les 54 (l’Éthiopie, le Tchad et la Zambie) que compte l’Afrique y ont fait appel jusque-là, et ces processus connaissent des retards. Le Fonds Monétaire International (FMI) a lui-même reconnu l’existence de ces défis et estimé, entre autres, qu’une option plus attractive aurait été de suspendre le service de la dette durant les périodes de négociation. Alors que la dette globale due aux marchés internationaux des capitaux a atteint les 300 000 milliards de dollars, les 790 milliards de dollars de dette extérieure des pays de l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) en 2021 poussent l’écosystème des investisseurs à conclure que le profil des créanciers de la région est risqué, alors que cette dernière n’a enregistré que très peu de défauts de paiement. En outre, le principal indicateur de soutenabilité, à savoir le poids de la dette sur le produit intérieur brut, reste assez modéré, avec une moyenne de seulement 55,5 % en 2022, selon des estimations du FMI, et surtout, la dette des entreprises y est assez faible. Les analyses de soutenabilité actuelles prennent surtout en compte le poids du service de la dette sur le total des exportations. Elles ne tiennent cependant pas toujours compte du fait que l’Afrique n’est pas souvent à l’origine de ces crises globales.

Khider Larbi

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