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Faceà la crise mondiale et à la bureaucratie : L’impératif d’une nouvelle gouvernance

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international , docteur d’Etat en sciences économiques, ancien Directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach et membre de plusieurs organisations internationales.

Évitons tant le dénigrement gratuit, tout ce qui a été fait depuis l’indépendance politique n’est pas négatif. Il y a eu beaucoup de réalisation, même s’il y a eu beaucoup d’insuffisances. Cependant également verser dans l’autosatisfaction et les promesses sans lendemain est source de névrose collective. Il faut d’en tenir à la vérité, rien que seulement la vérité afin de corriger nos erreurs. C’est là l’objet de cette présente contribution.

L’année 2023 devrait connaître une récession de l’économie mondiale. Et récemment avec le risque d’un défaut de paiement aux USA, les risques économiques augmentent. Bien que peu probable, si défaut il y a, il aurait pour conséquence à la fois l’accélération de la crise mondiale du fait que les États-Unis, première puissance économique mondiale , seraient incapables de rembourser les porteurs de bons du Trésor, et pour lever ce risque, et la baisse de la valeur du dollar ayant un impact sur le cours des hydrocarbures libellé en dollars. Une perspective qui aurait un impact sur l’Algérie.

Comme annoncé par le Gouvernement, l’année 2023 sera-t-elle la relance effective du développement économique ? En économie le temps ne se rattrape jamais. Face aux entraves, la mentalité bureaucratique est de croire que c’est en organisant des séminaires ou en pondant de nouvelles lois que l’on résout les problèmes alors que l’essentiel est de s’attaquer au fonctionnement de la société. Les indicateurs macro-financiers sont certes positifs grâce au cours élevé des hydrocarbures, mais les dépenses en dinars et en devises malgré les énormes potentialités du pays, ne sont pas proportionnelles aux impacts économiques et sociaux . Aussi , dans un monde incertain, connaissant un bouleversement inégalé, des tensions géostratégiques, une crise économique et sociale, un réchauffement climatique et comme impact une crise alimentaire et son soubassement crise de l’eau, il y a lieu d’éviter les erreurs du passé en continuant à fonctionner sur l’illusion de la rente éternelle. Il s’agit donc de revoir la gouvernance.

Les principaux indicateurs économiques et sociaux 2022/2023

Le PIB de l’Algérie en 2022 approche les 193 milliards de dollars et le taux de croissance serait de de 2,6% en 2023 alors qu’il faut un taux de croissance de 8/9% par an sur plusieurs années pour absorber le flux additionnel de demandes d’emplois d’environ 350 000/400 000 par an qui s’ajoute au taux de chômage actuel. Le ministre du Travail a déclaré à la fin du mois de février dernier que les services de l’Agence nationale de l’emploi (Anem) ont recensé 1,9 millions de bénéficiaires de l’allocation chômage sur une population active d’environ 12,5 millions soit un taux de chômage de plus 15,2%. Si l’on inclue les emplois improductifs, les emplois de rente et les sureffectifs au niveau des administrations et des entreprises publiques, il est clair que l’emploi est une problématique entière. Le taux d’inflation en 2022 alimenté à la fois par des facteurs internes et externes, selon l’ONS depuis 2022 approche les 10 %, l’inflation sur certains produits comme les pièces détachées de voitures ayant atteint les 200/300%, laminant le pouvoir d’achat. La dette extérieure est relativement faible de 2,914 milliards de dollars n’étant pas touchée par le relèvement des taux d’intérêts des banques centrales. Mais s’impose une rationalisation des choix budgétaires, en évitant ces assainissements à répétition des entreprises publiques évalués à environ 250 milliards de dollars durant les trente dernières années à fin 2020 selon les données du Premier ministère. Il s’agit aussi de réformer les banques malades de leurs clients, les entreprises publiques structurellement déficitaires, et de rationaliser les dépenses budgétaires en mettant fin au gaspillage et aux réévaluations excessives des coûts des projets publics, lesquels réévaluation ont atteint plus de 66 milliards de dollars, au cours de ces dix dernières années (source APS). Par ailleurs, la loi de finances 2023 prévoit un déficit budgétaire de 5720 milliards de dinars soit au cours moyen de 135, dinars un dollar, environ 42 milliards de dollars et parallèlement, la dette publique globale (interne et externe) de l’Algérie est en nette croissance selon le FMI : 60,5% du PIB à fin 2022, avec des prévisions de 65,3% en 2023, contre 51,4% en 2020. Selon le rapport du FMI, l’Algérie aura besoin d’un baril de pétrole à 149,2 dollars pour assurer l’équilibre de son budget de 2023 contre 135 dollars pour 2021/2022 et 100/110 dollars pour 2019/2020.

Les exportations de pétrole ont fluctué ces dernières années environ 450 000 /500 000 barils/j et entre 42/50 milliards de mètres cubes pour le gaz. La consommation intérieure d’énergie est presque l’équivalent des exportations, et peut absorber les 70/80% de la production à horizon 2030,. Cela impose d’accélérer la transition énergétique afin d’éviter le drame des effets de la baisse des cours entre 1986/1990. La hausse des prix du pétrole moyens de 106 dollars le baril en 2022 selon la Banque d’Algérie et 16 dollars  le MBTU pour le prix du gaz a permis à Sonatrach d’avoir des recettes de 60 milliards de dollars en 2022. Les réserves de change de l’Algérie ont été estimées à la fin février 2023 à 63 milliards de dollars. Pour 2023, la Sonatrach peut engranger selon nos calculs entre 50/55 milliards de dollars si le cours moyen du pétrole est de 80/85 dollars et du gaz à 13/14 dollars le MBTU. Ces recettes tomberaient à 45/50 milliards de dollars si le cours moyen du pétrole est de 75 dollars et 11/12 dollars le MBTU pour le gaz soit entre 10 et 15 milliards de dollars de moins qu’en 2022. Sur ces recettes il faudra retirer environ 25% des frais ainsi que la part des associés étrangers pour avoir le profit net restant à Sonatrach.

Mettre fin à la bureaucratie frein à l’épanouissement des énergies créatrices

Les défis futurs de l’Algérie est de dépasser une économie qui repose essentiellement sur la rente qui irrigue tout le corps social , loin des discours stériles, souvent contredits par la réalité. Gouverner c’est prévoir à moyen et long terme au moyen d’une planification stratégique loin des actions conjoncturelles. D’ailleurs, en défense on fait le distinguo très justement entre la stratégie et les tactiques qui doivent s’insérer au sein de la fonction stratégique.Des stratégies d’adaptation, s’impose pour l’Algérie, devant tenir compte des couts additionnels pour protéger l’environnement de grands projets promis au démarrage entre 2022/2023 pour ne citer que quelques exemples, qui accusent des retards intolérables.: comme le projet pétrochimique, d’Arzew, abandonné par Total et récemment attribué à Petrofac HQC pour un cout 1,5 milliard de dollars, avec un retard de 5 années ,la mise en exploitation étant prévue dans 42 mois soit fin 2027 ; le projet du gazoduc Nigeria Algérie toujours en gestation,; le projet Galsi, via la Sardaigne abandonné par l’Italie en 2012 où le cout à cette date pour 8 milliards de mètres cubes gazeux était de plus de 3 milliards de dollars ( tracé complexe) puis relancé récemment et dont le cout de réalisation a certainement augmenté, ; l’exploitation de la mine de fer de Gara Djebilet, le défi sur cette mine étant de amener le taux d’oxydation de 0,8% à moins de 1% et de réaliser d’importantes infrastructures pour sa commercialisation . D’ailleurs, le 09 mai 2022, le ministre des Mines annonce officiellement que la réalisation du projet de Gara Djebilet, nécessitera la réalisation de plusieurs installations. Cela induira certainement un coût variant entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an sur une période allant de 8 à 10 ans, soit entre 10 et 15 milliards de dollars. il s’agit aussi des projets de réalisation de 2 usines d’engrais phosphatés à Skikda et Tébessa, pour un investissement de 6 Mds US, toujours en négociation avec la Chine pour le financement ; le projet de zinc, et de plomb d’Amizour , qui vient seulement d’être réactivé en mai 2023 , sans préciser le cout de réalisation, d’un potentiel minier exploitable estimé à 34 millions de tonnes pour une production annuelle de 170.000 tonnes de concentré de zinc, devrait entrer en production en 2026. N’oublions pas le port de Cherchell d’un cout estimé entre 4 et 5 milliards de dollars et enfin ou en sont les impacts de ces dizaines de délivrance ,et surtout la rentabilité des projets pour la production d’or.. Il faut être réaliste : sous réserve de la levée du verrou bureaucratique, de mobiliser le financement et pour certains projets de trouver un bon partenaire étranger, la rentabilité d’un projet mis en exploitation en 2023 nécessitera deux à trois années pour les PMI/PME et 5/7 ans pour les grands projets pour entrer pleinement en productionet chaque année de retard repousse les délais avec des surcoûts,.

Avant tout lancement d’un projet s’impose une étude de rentabilité précise, afin d’être concurrentiel au niveau international, devant privilégier pour les avantages financiers et fiscaux la balance devises et pour pouvoir exporter, il faut d’abord produire à un coût compétitif et un des continents le plus difficile à pénétrer contrairement à certains slogans du fait de la forte concurrence internationale, Chine, USA, Europe, pays émergent, est l’Afrique. Je constate depuis quelque temps , que faute de visions stratégiques, en panne d’idées, bon nombre de collectivités locales sur le territoire national reviennent aux pratiques du passé, dénoncées par la président de la République, exigeant un langage réaliste et des réalisations effectives sur le terrain. Faire et refaire les trottoirs avec des dépenses inutiles  est dénué de sens tout autant que le fait que certaines responsables s’adonnent à des promesses difficilement réalisables . Durant toute l’année 2022 et depuis quelque mois durant l’année 2023, pour la majorité des organisations patronales, confrontées à la réalité du terrain, la bureaucratie continue de sévir, malgré toutes les directives du président de la République et la promulgation du nouveau code d’investissement dont l’opérationnalité renvoie à la levée des contraintes de l’écosystème, bloquant bon nombre de projets et entravant les énergies créatrices.

L’Algérie ne peut continuer à dépenser sans compter. La dépense monétaire avec plus de 1100 milliards de dollars entre 2000/2022 d’importations de biens et services en devises, sans compter les dépenses en dinars avec un taux de croissance dérisoire 2/3% alors qu’il aurait dû être de 8/9% , (mauvaise gestion et corruption).

Liens dialectiques entre sécurité et développement

Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement et sans développement il y a forcément accroissement de l’insécurité . Et c’est pour cela que s’impose une planification stratégique à l’horizon 2030, afin d’éviter des pertes pour le pays qui peuvent se chiffrer en dizaines de milliards de dollars, et ce tenant compte des nouvelles mutations mondiales des nouvelles filières qui se fondent sur la transition numérique et énergétique. Le XXIe siècle sera dominé par l’émergence de réseaux décentralisés, qui remplaceront les relations personnalisées d’État à État dans le domaine des relations économiques et de l’intelligence artificielle (le primat de la connaissance) qui révolutionne tout le système économique mondial- Les responsables algériens s’adapteront -ils à ce nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, où n’existe pas de modèle statique, ou vivront t- ils toujours sur des schémas mécaniques dépassés? La transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, dans le cadre de la nouvelle économie mondialisation, suppose donc un profond réaménagement des structures du pouvoir assis sur la rente à un pouvoir se fondant sur les couches productives et le savoir. Le grand défi pour l’Algérie est la lutte contre le terrorisme bureaucratique, afin de libérer les énergies créatrices, au lieu des relations de clientèles et le régionalisme, de redonner sa place aux compétences réelles et donc au savoir et d’autonomiser la sphère financière, afin qu’elle ne soit plus un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures au profit de clientèles non créatrices de richesses comme en témoignent les nombreux scandales financiers. Car, le bureaucrate au niveau central mais également au niveau local, amène avec lui, le carcan, les lenteurs, le but du bureaucrate étant de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire. Nous aurons trois impacts négatifs ; premièrement, une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays; deuxièmement l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique; troisième effet : la bureaucratie bâtit au nom de l’État des plans dont l’efficacité, sinon l’imagination se révèle bien faible. Aussi, pour la réussite de la relance économique pour 2023/2025, il est souhaitable afin d’éviter les tensions sociales et sécuritaires de partir d’un bilan objectif, sans complaisance, devant s’attaquer aux fondamentaux du blocage et trouver des réponses réelles et qui répondent en priorité aux aspirations de la population algérienne en redonnant un espoir, ce qui renvoie à la confiance État-citoyens afin qu’ils s’impliquent dans les réalisations présentes et futures. Cela renvoie à la responsabilité citoyenne et à la démocratie participative.

En conclusion, Il faut être réaliste, c’est une loi économise universelle, le versement de salaires sans contreparties productives conduit au suicide collectif par l’accroissement du taux d’inflation et du taux de chômage, pénalisant à terme les couches les plus défavorisées. Le constat en ce mois de mai 2023 est que l’Algérie dépend pour 98% de ses recettes en devises des hydrocarbures, avec les dérivés inclus dans la rubrique hors hydrocarbures pour une part dépassant les 60%.

 Tenant compte des bouleversements mondiaux et des tensions budgétaires s’impose pour l’Algérie un langage de vérité afin de mobiliser la population autour d’un large front national, réalisant la symbiose Etat-citoyens. L’Algérie connaît la stabilité grâce aux efforts de l’ANP et des services de sécurité. L’Algérie a toutes les potentialités pour une croissance hors hydrocarbures afin de réaliser la nécessaire cohésion sociale et d’être un pays pivot au sein de l’espace méditerranéen, africain et au niveau des BRICS. La mobilisation citoyenne face aux tensions géostratégiques, le sacrifice devant être partagé, renvoyant à la morale est une question de sécurité nationale. Concilier l’efficacité économique et la justice sociale dans le cadre d’une économie ouverte, par la maîtrise du savoir, constitue le défi principal de l’Algérie. Le passage de l’État de «soutien contre la rente» à l’Etat de droit «basé sur le travail et l’intelligence» est un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social entre la Nation et l’Etat.

A.M.

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