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Visites d’État du Président Tebboune en Russie et en Chine : Porter la coopération économique au niveau des relations politiques

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international docteur

Les visites d’État que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a effectuées en Russie et en Chine ont pour objectif essentiel de renforcer la coopération économique avec ces pays. Elles sont également à situer dans le nouveau contexte géostratégique mondial, avec des tensions à plusieurs niveaux interdépendants à la fois militaires, politiques et socio-économiques, sans oublier un facteur déterminant du XXIe siècle, soit le facteur culturel qui influe à terme sur les décisions politiques et les échanges économiques.

Avec le vieillissement démographique qui touche l’Europe, la Russie et la Chine , les dérèglements climatiques qui perturbent les productions agricoles, l’épuisement des terres fertiles, pour bon nombre d’experts les solutions pourraient être en Afrique, continent où l’Algérie pourrait être un relai efficace , idem pour l’Europe ( voir notre contribution dans la revue internationale Financial Afrik Dakar/Paris 28/07/2023, revue DGSN Chorta 24 juillet 2023 et notre interview à la télévision internationale algérienne Alg24 New’s 28/07/2023). La majorité des pays d’Afrique ont adopté une position de neutralité dans les conflits mondiaux, y compris le conflit Ukraine/Russie , préconisant un monde multipolaire, comme d’ailleurs la stratégie des BRICS, ainsi que le dialogue et le respect du droit international. L’Algérie s’inscrit dans cette optique. Elle a une position de neutralité, entretenant d’excellentes relations, dans le cadre du respect mutuel avec les USA, l’Europe, la Chine, la Russie et bon nombre de pays émergents.

Des échanges marginaux avec la Russie

Les échanges entre l’Afrique et la Russie ont été seulement de 14 milliards de dollars entre 2021/2022, représentant 2% des échanges de l’Afrique (voir notre interview sur ce sommet à Radio Algérie Internationale 27 juin 2023). La Russie a un PIB en 2022 de 1.800 milliards de dollars pour une population de 146 millions d’habitants. Elle est premier réservoir de gaz au monde avec 45.000 milliards de mètres cubes gazeux suivi de l’Iran 30.000 milliards de mètres cubes et du Qatar 20.000 milliards de mètres cubes. C’est un grand producteur de pétrole avec 11 millions de barils/ jour, très influant avec l’Arabie Saoudite au sein de l’OPEP+. La Russie détient 33% d’exportation de céréales avec l’Ukraine. Elle a d’importantes potentialités scientifiques. C’est d’ailleurs le premier pays à avoir lancé un satellite dans l’espace. C’est une grande puissance militaire, recelant d’importantes richesses. Or, sur les 786 milliards de dollars d’échanges du commerce extérieur russe entre 2011 et 2021, le volume d’échange a été de 4,9 milliards de dollars cumulés avec le Nigéria, son premier partenaire en Afrique de l’Ouest, devant le Sénégal 3,7 milliards de dollars d’échanges cumulés). La Russie représente moins de 1% des investissements directs étrangers IDE en Afrique et sur ces 1% environ 90% sont destinés aux industries d’extraction minière, les exportations livraisons d’armes représentant 30 à 40% des exportations totales selon le directeur du Service russe de coopération militaire et technique. La Russie est le principal fournisseur de matériel militaire aux pays africains, Selon le SIPRI, 44 % des armes vendues sur le continent sur la période 2017-2021 étaient russes, cette proportion était de 49 % en 2015-2019. Ils demeurent aussi très inégaux puisque la Russie exporte sept fois plus qu’elle importe d’Afrique et 70 % de ces échanges concernent quatre pays, c’est-à-dire l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud.

Pour le cas de la coopération entre la Russie et l’Algérie, celle-ci est ancrée dans l’histoire. Le 26 juin 1956, la délégation de l’Union soviétique a soutenu l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et l’ex URSS a fourni appui et aide durant la Guerre de libération nationale et dans le domaine de prises de positions internationales, il y a peu de divergences. Sur le plan économique, et excepté le domaine militaire, les échanges sont loin des potentialités . Selon les données officielles russes, le volume des échanges commerciaux entre l’Algérie et la Russie en 2021, le chiffre d’affaires commercial de la Russie avec l’Algérie s’est élevé à 3,007 milliards de dollars. Les exportations de la Russie vers l’Algérie en 2021 se sont élevées à 2,989 milliards de dollars et les importations russes en provenance d’Algérie à 18,266 millions de dollars, un montant dérisoire loin des bonnes relations politiques avec ce pays. En effet, la part de l’Algérie dans le chiffre d’affaires du commerce extérieur de la Russie en 2021 a été de 0,3831% contre 0,5133% en 2020 et en termes de part dans le volume des échanges du commerce russe , l’Algérie occupe la 43ème place (en 2020 – 35ème place). La part de l’Algérie dans les exportations russes en 2021 s’élevait à 0,6081% contre 0,8637% en 2020 et en termes de part dans les exportations russes en 2021, l’Algérie occupe la 35ème place (en 2020 – 25ème place). Quant à la part de l’Algérie dans les importations russes en 2021, elle a été de 0,0062% contre 0,0039% en 2020 et en termes de part dans les importations russes en 2021, l’Algérie occupe la 115ème place (en 2020 – 123ème place

Montée en puissance de la Chine

Avec un PIB en 2022 de 19.100 milliards de dollars, la Chine est la deuxième puissance économique du monde. Avec 1,4 milliard d‘habitants, c’est le deuxième pays le plus peuplé au monde après l’Inde. En quelques décennies, la Chine est arrivée à représenter plus de 70% du PIB des BRICS, et près de 20% du PIB mondial en 2022. Au premier trimestre 2023, la croissance affichée par la Chine est montée à 4,5%, mais les chiffres du second trimestre 2023 montrent un essoufflement de l’économie espérant un taux de croissance moyen fin 2023 de 5% contre 2,99% en 2022, alors qu’il faut au moins 8 ou 9% de taux de croissance pour absorber le flux additionnel d’emplois en Chine et les incertitudes de la croissance de l’économie mondiale n’incitent pas la Chine à prendre des initiatives économiques audacieuses. Pékin semble avoir le sentiment que les pays occidentaux sont résolus à limiter la montée en puissance de la Chine. Cependant le poids croissant de la Chine préfigure entre 2023/2030 une profonde reconfiguration du pouvoir économique mondial montrant que la puissance et l’impact dans les relations internationales en ce XXIe siècle se mesurent au poids économique. Mais l’Union européenne reste le premier partenaire multilatéral de l’Afrique avec des échanges commerciaux qui ont augmenté entre 2016 et 2022 pour atteindre 295 milliards de dollars. Cependant, au niveau bilatéral, la Chine garde la première place. Les échanges commerciaux entre les Etats Unis et l’Afrique qui entend se déployer massivement en Afrique à l’horizon 2024/2030, sont passés de 142 milliards de dollars US en 2008 à 65 milliards en 2022. D’autres pays font une percée en Afrique. C’est le cas de la Turquie où le volume des échanges atteint environ 45 milliards de dollars en 2022. La Chine a une stratégie planétaire à travers la route de la Soie qui a été dévoilée à l’automne 2013 par le gouvernement chinois, appelée OBOR en anglais. Politique titanesque, c’est un ensemble intégré de constructions d’infrastructures portuaires, ferroviaires, terrestres dans le bassin méditerranéen (l’Algérie ayant adhéré à cette initiative), lui permettant de s’approvisionner en matières premières et de se mettre sur le devant de la scène internationale. Elle devrait relier la Chine, l’Europe, l’Afrique passant par le Kazakhstan, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la République de Djibouti et la Somalie. Selon des données publiées par l’administration générale de la douane chinoise pour 2022,, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont atteint un montant de 282 milliards de dollars en 2022, en hausse de 11% par rapport à 2021, et les importations chinoises en provenance d’Afrique ont totalisé 117,51 milliards de dollars, la plupart des exportations chinoises vers l’Afrique étant des produits finis (textile-habillement, machines, électronique…), tandis que les exportations africaines vers la Chine sont dominées par les matières premières comme le pétrole brut, le cuivre, le cobalt et le minerai de fer, d’où un excédent commercial en faveur de la Chine.

Algérie-Chine : des relations commerciales déséquilibrées

Quant aux relations entre l’Algérie et la Chine , il faut rappeler que Pékin a été l’une des premières capitales à reconnaître le gouvernement provisoire algérien, durant la guerre de Libération nationale. La Chine n’a pas hésité à financer et armer pendant des années le FLN, via l’Égypte de Nasser. Après l’Indépendance, les deux pays ont eu des positions complémentaires concernant le règlement des conflits régionaux. Sur le plan économique, la Chine a été le plus grand constructeur en Algérie avec la Grande mosquée d’Alger, l’autoroute Est-Ouest, le complexe olympique d’Oran et autres grands projets en cours de réalisation. Nous avons des projets toujours en négociation, dont l’exploitation du Gara Djebilet d’une capacité de 25,7 millions de tonnes/an et d’un coût d’investissement prévu entre 5 et 6 milliards de dollars et le projet du port d’El Hamdania financé en partie par Exim Bank of China. L’Algérie mise sur la Chine pour les grands projets structurants lui permettant d’enclencher le processus de développement économique et la création de la richesse et de l’emploi. Le 8 novembre 2022, l’Algérie et la Chine ont signé le deuxième plan quinquennal de coopération stratégique globale pour les années 2022-2026, visant à intensifier la communication et la coopération entre les deux pays dans tous les domaines, y compris l’économie, le commerce, l’énergie, l’agriculture, la science et la technologie, l’espace, la santé et la communication humaine et culturelle. Il faut dire, cependant, que sur le plan de la balance commerciale, les échanges sont fortement déséquilibrés au profit de la Chine. Ce pays accapare plus de 18% des importations algériennes, suivi de la France (9,72%), de l’Allemagne (6,89%). S’agissant des exportations algériennes vers la Chine, le montant de 1 milliard de dollars est insignifiant. Selon les statistiques douanières algériennes de 2010 à fin 2020, les exportations de la Chine à destination de l’Algérie ont totalisé environ 76 milliards de dollars. Ainsi, la Chine demeurait le principal fournisseur de l’Algérie avec une moyenne annuelle depuis 2013 de 8 milliards de dollars d’exportations vers l’Algérie. Alors que ses importations depuis l’Algérie, constituées essentiellement d’hydrocarbures, se sont chiffrées à seulement 14,793 milliards de dollars, avec donc un déficit commercial de l’Algérie avec la Chine à plus de 61 milliards de dollars.

En conclusion les liens historiques que l’Algérie entretient avec la Russie et la Chine ne sont pas proportionnels aux échanges économiques et pourraient être intensifiés. D’une manière générale, chaque pays défendant ses intérêts propres , l’Algérie , pays pivot de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine , a pour objectif stratégique avec la Chine et la Russie , comme d’autres pays, de nouer un partenariat gagnant- gagnant dans un cadre de co-développement, en ce XXIème siècle, où les rivalités tant des grandes puissances que des nations émergentes, dans le monde instable et turbulent devant connaître de profonds bouleversements économiques, politiques, sociales, culturelles et géostratégiques.

A.M.

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