La Libye prise dans la vague de normalisation avec l’entité sioniste : Une nouvelle menace à nos portes ?
L’annonce d’une rencontre entre la cheffe de la diplomatie libyenne, Najla al-Mangouche et le ministre des Affaires étrangères de l’entité sioniste, Eli Cohen, à Rome a provoqué une véritable onde de choc. Des mouvements de protestation ont éclaté à Tripoli, alors que la confusion règne sur les tenants et aboutissants de cette « rencontre » annoncée par les Israéliens et les velléités réelles ou pas de normalisation en Libye. Une confusion que le camp de l’Est entend mettre à profit pour enfoncer le gouvernement de Tripoli mené par Abdelhamid Dbeibah. Une situation qui alimente les inquiétudes quant à l’émergence d’une nouvelle menace à nos frontières.
Le Premier ministre libyen, Abdelhamid Dbeibah, a engagé hier une mesure conservatoire contre sa ministre des Affaires étrangères, Najla al-Mangouche. Il a décidé de la suspendre à titre « conservatoire » et d’engager une enquête administrative pour faire la lumière sur la rencontre tenue à Rome entre la ministre libyenne et le ministre israélien des Affaires étrangères. Une commission d’enquête dirigée par la ministre de la Justice a été mise en place à cet effet selon la décision du chef du conseil des ministres libyens, tandis que le ministre de la Jeunesse a été chargé d’assurer l’intérim du département des Affaires étrangères en attendant de faire toute la lumière sur cette affaire. D’ailleurs, la commission d’enquête installée doit remettre ses conclusions dans les trois jours, soit d’ici à mercredi.
Dimanche, Eli Cohen a annoncé s’être entretenu avec Najla al-Mangouche à Rome la semaine dernière à propos du « potentiel que représentent les relations entre les deux pays ». Un propos qui laisse entendre la prédisposition du gouvernement de Tripoli à s’engager dans un processus de normalisation avec l’entité sioniste. D’ailleurs cela n’a pas manqué de faire réagir fortement et de faire grincer des dents en Libye. Des manifestations et des mouvements de protestation ont éclaté dimanche soir dans la capitale libyenne, tandis que les autorités tentent de maîtriser les implications de cette affaire. La première réaction a d’ailleurs été celle du ministère libyen des Affaires étrangères qui a tenu à mettre en avant le fait que cette rencontre était « fortuite » et qu’elle n’a pas abouti à des consultations. «Ce qui s’est passé à Rome a été une rencontre fortuite et non officielle, au cours d’une rencontre avec son homologue italien (Antonio Tajani, NDLR), qui n’a comporté aucune discussion, accord ni consultation », a indiqué le ministère libyen des Affaires étrangères dans un communiqué. Et d’ajouter qu’al-Mangouche a rappelé « de manière claire et sans ambiguïté la position de la Libye à l’égard de la cause palestinienne », précisant que celle-ci a « refusé de s’entretenir avec une quelconque partie représentant l’entité sioniste » et est « restée catégoriquement ferme sur cette position ». Le MAE libyen a d’ailleurs dénoncé une « exploitation par les médias israéliens et internationaux » de cet « incident » qu’ils tentent de présenter comme « une réunion ou des pourparlers ». Le Conseil présidentiel (CP) libyen, un organe doté de certains pouvoirs exécutifs, a réclamé « des éclaircissements » au gouvernement, selon la chaîne de télévision Libya al-Ahrar. Pour le CP, « ceci ne reflète pas la politique étrangère de l’État libyen, ne représente pas les constantes nationales libyennes et est considéré comme une violation des lois libyennes qui criminalisent la normalisation avec l’entité sioniste ».
En tout état de cause la situation induite par cette affaire alimente la confusion en Libye et laquelle est alimentée par un phénomène d’emballement médiatique autour de la situation actuelle de Najla al-Mangouche. Un emballement que le camp de l’Est de Benghazi est d’ailleurs en train d’alimenter. Le clan acquis au seigneur de guerre Khalifa Haftar a d’ailleurs affiché son intention d’enfoncer le camp rival de l’Ouest en se saisissant de cette affaire et surfer sur la vague d’indignation qu’elle a provoquée. Le Parlement de Tobrouk a convoqué hier une session sur cette question. L’instance dirigée par Aguila Salah a accusé, dans un communiqué, le gouvernement Dbeibah de porter atteinte « aux constantes du peuple libyen ». Le Parlement de Tobrouk a, pour rappel, décidé de nommer en 2022 de manière unilatérale un gouvernement parallèle à Syrte, après avoir retiré sa confiance au gouvernement de Tripoli nommé par le Forum de dialogue inter-libyen et reconnu par l’ONU.
Le spectre de la déstabilisation
Toute cette affaire alimente encore une fois les doutes sur les pressions exercées en Libye dans le sens d’une normalisation avec l’entité sioniste. Une question qui fait partie intégrante d’un projet de partition de la Libye dans le cadre du Grand Moyen-Orient dont les Accords d’Abraham qui ont conduit à la signature d’accord de normalisation entre l’entité sioniste et les Émirats arabes unis, le Bahrein et le Maroc.
Si les velléités de normalisation ont de tout temps été associées à Haftar et à son clan, la question est de savoir si l’affaire al-Mangouche n’est pas le révélateur de pressions pour aller dans le sens d’une normalisation du côté de Tripoli et de Dbeibah.
Il n’est un secret pour personne que l’entité sioniste mène depuis plusieurs mois une action de déstabilisation dans la région du Maghreb dans l’objectif de transférer les tensions au Moyen-Orient vers cette région. Une démarche qui cible essentiellement l’Algérie, dernier pays du front du refus à s’opposer fermement à l’entité sioniste. D’où la normalisation avec le Maroc et les pressions exercées sur les pays du Maghreb pour aller dans ce sens. Au-delà, ce sont aussi les conséquences immédiates de cette affaire sur la Libye qui doivent inquiéter. Au-delà du fait de raviver les tensions entre les deux camps rivaux en Libye et de mettre le gouvernement de Tripoli en difficulté, les mouvements de protestation qui ont éclaté à Tripoli sont à suivre de très près, d’autant plus que la capitale libyenne est régulièrement secouée par des affrontements entre les milices rivales. L’un d’eux a d’ailleurs fait 55 morts, il y a quelques jours. Une situation qui reflète l’urgence de stabiliser ce pays voisin. Une stabilisation qui passe par l’organisation, dans les délais les plus brefs, d’élections qui permettront d’élire des institutions légitimes et de réunifier le pays.
Lyes Saïdi