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Corruption : une menace pour le développement et la sécurité de la Nation

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, haut magistrat-Premier conseiller et Directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983.

« Il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens ». John Maynard Keynes

Une rencontre récente tenue le 23 octobre a réaffirmé que la lutte contre la corruption est une priorité et que la corruption menace l’avenir du développement du pays. Cependant, la corruption est un fléau planétaire nécessitant une large coordination internationale. Dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé, qui facilite la circulation des personnes et des flux, les groupes de criminalité organisée ont prospéré, posant de nombreux défis. Les groupes criminels utilisent souvent des entreprises commerciales licites pour dissimuler leurs activités illicites, par exemple en plaçant de la drogue dans des cargaisons, ces organisations criminelles menaçant le bien-être économique et social de tous les citoyens.

Un fléau qui dépasse le cadre national

Le fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux, où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes. La lutte contre le crime organisé et la corruption, qui concerne tous les pays sans exception, n’est pas une question de lois ou de commissions, montrant clairement que les pratiques au niveau mondial contredisent le juridisme et les discours. Il est illusoire de s’attaquer à ce fléau mondial sans un système d’information fiable en temps réel utilisant les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle qui a un impact à la fois sur la gestion du segment sécuritaire, des entreprises, des institutions et de nos comportements. Une importante enquête sur plus de 150 pays réalisées par d’éminents experts internationaux (juristes, économistes, politologues et experts militaires), parrainée par l’ONU en octobre 2021, mettant en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial, estimé à 84 680 milliards en 2020 et, selon la Banque mondiale, devrait dépasser les 100 000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne, entre 2020 et 2022, 1 700 et 4 230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d’environ 600 milliards de dollars, les crises économiques amplifiant le trafic, issu du commerce illégal sous toutes ses formes : drogue, armes, traite, déchets toxiques, métaux. Se basant sur douze indicateurs de résilience : leadership politique et gouvernance, transparence et responsabilité du gouvernement : – coopération internationale, – politiques et législations nationales, – système judiciaire et détention, – forces de l’ordre, intégrité territoriale, – lutte contre le blanchiment d’argent, capacité de réglementation économique, soutien aux victimes et aux témoins, prévention et acteurs non étatiques, l’étude arrive à six conclusions. La première conclusion est que plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible. 2e conclusion : de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés. 3e conclusion : la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde. 4e conclusion : les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés. 5e conclusion : les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résilience face au crime organisé (dont octroi opaque de marchés publics). 6e conclusion : de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime organisé. Pour combattre efficacement ce fléau, les pays doivent disposer d’enquêteurs spécialisés, de procureurs et de juges dans ce domaine de criminalité, tandis que les groupes criminels organisés disposent de compétences, de réseaux et de ressources logistiques toujours plus perfectionnés, utilisant les nouvelles technologies détournées à des fins criminelles, notamment les sites Internet, les médias sociaux, les appareils mobiles, les places de marché en ligne, le Darknet ou encore les cybermonnaies, et posent un problème permanent pour la communauté des services chargés de l’application de la loi.

La criminalité prospère

Dans le cadre du crime organisé, je distingue plusieurs segments, où peuvent exister des relations dialectiques entre les différents acteurs concernant le trafic illicite (voir Pr A. Mebtoul intervention ministère de la Défense nationale MDN IMPED octobre 2019 sur le trafic aux frontières et intervention à l’ouverture du séminaire organisé par le haut commandement de la Gendarmerie nationale Cercle des Armées Alger 23/24 février 2022 sur le thème –les différentes formes de la criminalité économique et financière et comment y faire face). Premièrement, nous avons le trafic d’armes. Le commerce des armes à feu est empreint d’opacité et oppose le secret d’État à de nombreuses tentatives de transparence. Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), un centre de recherche indépendant en Belgique, dénonce aussi parfois le comportement des industries qu’il accuse de se cacher derrière le secret-défense pour justifier des pratiques difficilement acceptables, ce qui explique les données contradictoires avec des différences importantes. Ainsi, selon l’ONU, sur la base des données de l’Office des Nations unies contre le crime (ONUDC), le marché international du trafic d’armes est estimé à plus de 1 200 milliards de dollars par an. Deuxièmement, nous avons le trafic de drogue. Avec un chiffre d’affaires estimé entre 300 et 500 milliards de dollars, le trafic de drogue est devenu le deuxième marché économique criminel au monde, juste derrière le trafic d’armes. Si les trafiquants de drogue étaient un pays, leur PIB les classerait au 21e rang mondial, juste derrière la Suède. Malgré la répression, l’ONU estime que seuls 42% de la production mondiale de cocaïne sont saisis (23% de celle d’héroïne). Troisièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle, ainsi que le trafic d’immigrants. En 2019, le Gafi (Groupe d’action financière international) révèle dans une étude que les profits liés à la traite humaine s’élèveraient à 150 milliards de dollars. Un chiffre multiplié par six en l’espace de 5 ans. Quatrièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortels pour les consommateurs. Selon le Forum économique mondial, les médicaments contrefaits génèrent 120 à 160 milliards d’euros chaque année. Cinquièmement, le plus grand défi à la communauté internationale est la cybercriminalité (voir les trois derniers numéros de la revue du MDN Djeich où l’état-major de l’ANP attire l’attention sur les dangers des nouvelles technologies qui menacent la sécurité nationale, rendant urgente leur maîtrise). Les pertes mondiales imputables aux attaques informatiques ont atteint les 1 000 milliards de dollars en 2020, soit plus de 1% du PIB mondial. Ces pertes proviennent du vol d’actifs monétaires et de propriété intellectuelle, mais également de pertes cachées, souvent omises. Selon une étude d’Interpol, un des dangers au XXIe siècle pouvant déstabiliser les Etats sont les cyberattaques. Compte tenu de cette situation, la direction de la cybercriminalité d’Interpol a élaboré en août 2020 un rapport d’évaluation mondial portant sur la cybercriminalité liée à la Covid-19 en s’appuyant sur l’accès aux données de 194 pays membres et de partenaires privés afin de brosser un tableau complet de la cybercriminalité liée à la pandémie de Covid-19 : escroqueries en ligne et hameçonnage pour 59% ; logiciels malveillants visant à désorganiser (rançongiciels et attaques par déni de service distribué) pour 36% ; logiciels malveillants visant à obtenir des données ; domaines malveillants, pour 21% ; désinformations et fausses informations, de plus en plus nombreuses, se répandent rapidement dans le public. Sixièmement, en synthèse de tous ces trafics, nous avons le blanchiment d’argent, processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit en fait de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir après légalement. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent. Des techniques de blanchiment d’argent nouvellement émergentes et de plus en plus complexes apparaissent, impliquant des passeurs de fonds, des systèmes alternatifs de transfert de fonds et des structures d’entreprise complexes.

Qu’en est-il pour l’Algérie ?

Pour l’Algérie, concernée par le fléau de la corruption qui menace la sécurité nationale et hypothèque le développement futur du pays, il s’agit d’anticiper et de réaliser de profondes réformes pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent, l’arsenal pénal étant en dernier ressort. Ayant eu à diriger en tant que directeur général des études économiques et haut magistrat comme premier conseiller à la Cour des comptes pour la présidence de l’époque, le dossier du bilan de l’industrialisation entre 1965 et 1978, du programme de l’habitat entre 1980 et 1983 en relations avec le ministère de l’Intérieur et tous les walis, nous avons constaté d’importants surcoûts par rapport aux normes internationales, ainsi que du dossier des surestaries avec le ministère du Commerce. J’avais conseillé à la présidence de l’époque d’établir un tableau de la valeur en temps réel, avec la numérisation des entreprises, du commerce, des banques, de la fiscalité, des domaines, et de la douane reliant toutes les institutions concernées aux réseaux internationaux (prix, poids, qualité), tableau qui malheureusement n’a jamais vu le jour du fait que la transparence des comptes s’attaquait à de puissants intérêts occultes. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier les Echos -Paris le 07 aout 2008, le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’investissement porteur en Algérie, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoyant à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Car pour le cas Algérie, combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire et combien d’organismes publics répondent à la rationalisation des choix budgétaires ? Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés quotidiennement en Bourse. La compréhension des mécanismes boursiers, de l’évolution du dollar, du yen et de l’euro a des incidences sur le pouvoir d’achat et le niveau des réserves de change. L’efficacité du contrôle doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique devant définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle, certains inefficaces car relevant de l’exécutif étant juge et partie, Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire ? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat régulateur ou stratège que n’ont résolu à travers les différentes organisations de 1965 à 2023, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2019 les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment au retour à la tutelle ministérielle, les pratiques sociales contredisant souvent les discours si louables soient-il, l’expérience montrant que la fuite en avant est l’installation de commissions bureaucratiques de peu d’effets.

En conclusion des actions concrètes sont nécessaires pour combattre ce fléau, condition d’un retour à la confiance afin de réaliser comme je l’avais proposé, lors de ma conférence au club des Pins Alger le 24/12/2014 , loin des actions bureaucratiques, l’implication de la société par un large front national anti-crise regroupant toutes les sensibilités qui est plus que jamais nécessaire du fait des tensions tant géostratégiques régionales que budgétaires. Ade

A.M.

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