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L’urgence d’une planification stratégique pour une meilleure gestion des projets

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et expert international

Le président de la République a souvent dénoncé l’hydre bureaucratique qui touche certains ministères, wilayas et institutions de l’Etat avec beaucoup d’activisme et de promesses de responsables, en contradiction avec la réalité du terrain, bloquant ainsi le processus de développement. Les promesses non réalisées accélèrent alimentent la défiance et affectent la confiance sans laquelle aucun développement ne peut se réaliser. Elles aggravent la rupture Etat/citoyens accentuée par l’effritement du système de la communication, au moment où avec les nouvelles technologies, le monde est devenu une maison de verre.

Plusieurs conseils de ministres avec des directives précises ont été consacrés à une meilleure maîtrise des dépenses et de suivi des projets. Selon les données du Premier ministère reprises par l’APS fin 2020,les assainissement répétés des entreprises publiques ont coûté 250 milliards de dollars durant les trente dernières années et les différentes réévaluations entre 60/70 milliards de dollars durant les 10 dernières années et constituent un gouffre financier. Voyez le secteur du commerce où selon le rapport 2021/2022 du cabinet international Bloom Consulting, l’Algérie occupe la 109e place mondiale des pays les plus attractifs pour le commerce, ayant perdu 7 places par rapport au précédent classement. La régulation est confondue avec le monopole néfaste selon le Président de la République. Il est nécessaire de faire le constat sur le terrain avec des pénuries régulières, étouffant les entreprises pour leur fonctionnement et le citoyen confronté à des pénuries interminables avec des hausses de prix de 100 à 200% pour les produits non subventionnés comme les pièces détachées. Cette situation est comparable à celle d’un ménage qui réduit sa consommation mais, connaît de nombreuses maladies. Allons voir le système financier dans son ensemble ( banques, douanes, domaine ,fiscalité), et demander la délivrance d’un livret foncier et c’est le calvaire pour le citoyen ; aller lancer un projet et c’est les interminables négociations pour obtenir le terrain viabilisé et le financement. Qu’en est-il de l’application des directives du Président sur le terrain ? Certains ont affirmé en 2022 que l’exploitation du fer de Gara Djebilet a commencé alors que les mêmes responsables avaient annoncé en février 2023, que les infrastructures vont seulement être lancées en 2022/2023 et comme rappelé par un communiqué de l’APS, le fer de Gara Djebilet nécessite de réduire pour sa commercialisation la haute teneur en phosphore. Autre communiqué officiel en 2022 ,le tronçon du gazoduc Nigeria Europe Algérie est en voie de réalisation et brusquement on nous annonce au mois de février 2023, et ce bien avant les tensions au Niger , qu’il est toujours à l’étude(source APS), que pour le projet de zinc/plomb, il ne sera pas opérationnel avant 2026.. Où en sont les grands projets structurants qui devaient voir le jour en 2022, du port de Cherchell, de l’exploitation du phosphate de Tebessa :a-t-on signé des contrats fermes avec des partenaires étrangers, une lettre d’intention n’engageant nullement l’investisseur, ou ces projets sont-ils toujours à l’étude? Pris dans l’euphorie et épaulés par certains soi-disant experts organiques pour reprendre la formule du philosophe italien Gramsci, des responsables avaient avancé 13 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures fin 2023.Or l’ONS vient de révéler qu’entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023 les prix à l’exportation de marchandises en dinars ont connu une baisse de 16,9% par rapport au premier semestre 2022 et les prix à l’importation de marchandises ont enregistré de leur côté une diminution de 7,7% durant la même période et parallèlement, les exportations de marchandises se sont élevées à 3612,5 milliards de dinars durant la période de référence (contre 4325 milliards de dinars). Résultat de la baisse des prix à l’exportation de 16,9%. La tendance s’explique particulièrement par la chute des prix des hydrocarbures de 16,1% au premier semestre 2023 par rapport à la même période 2022. Mais également par une baisse au niveau des prix des produits hors hydrocarbures de 23,2% sur la même période. En effet, globalement, les évolutions des prix à l’exportation de marchandises par catégories de produits hors hydrocarbures ont été caractérisées par des variations négatives. Car il s’agit de tenir compte des aléas de la conjoncture économique mondiale et de ventiler la structure en valeur et en volume par produits de des exportations et de dresser la balance devises en devant soustraire le montant des subventions et des matières premières importées en devises. Or, en 2022,selon les statistiques officielles de la douane 60 à 70% de ces exportations proviennent des dérivées d’hydrocarbures qui ont connu une flambée de prix au niveau international, représentant en additionnant les hydrocarbures brutes, semi brut et les dérivées98% des entrées en devises du pays. Certains ayant déformé les propos du président de la République qui s’en est tenu à des orientations, ont avancé le doublement des exportations de gaz (100 milliards de mètres cubes gazeux en 2023 ) oubliant qu’en2022, la consommation intérieure approche les exportations actuelles, alors que sous réserves de certaines conditions réalisables cela pourrait être entre 2025/2027. Face au processus inflationniste non maîtrisé,9/10% en moyenne annuelle 2022 et les neuf premiers mois 2023, ce qui a poussé le président de la République à réagir fermement au dernier conseil des ministres, devant éviter les pratiques du passé. Comment aussi ne pas rappeler lors la période qui a marqué la fin des années 1980 et après la grande pénurie que connaissait le pays après la crise de 1986, où un Ministre algérien avançait avec assurance, sur la Télévision nationale, que le marché était saturé selon les données en sa possession, la présentatrice lui rétorquant s’il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres ; un Ministre vers les années 2002,qui a déclaré officiellement qu’en Algérie, il n’y a pas de pauvres mais des nécessiteux (quelle différence lui retoqua le journaliste) ; cette image de la télévision algérienne en 2015 où, à une question sur le taux de chômage, un Ministre affirmer que les enquêtes donnent moins de 5% de chômage affirmant que l’Algérie est au même niveau des pays développés et qu’un journaliste lui répliqua : êtes-vous sûr de vos données ? Oui, répond le Ministre. Ce à quoi le journaliste répliqua sous l’œil amusé de la présentatrice, non convaincue d’ailleurs, qu’il irait faire un tour dans les quartiers Algérie et qu’il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n’est plus chômeur mais travailleur. Car le taux d’emploi étant fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité, étant utopique avec un taux de croissance de 2/3% /an de créer des centaines de milliers d’emplois, donc tenant compte de la pression démographique , il faut selon les données internationales concernant l’Algérie, 8/9% de taux de croissance par an pour absorber un flux additionnel de 350.000/400.000/an qui s ‘aoute au taux de chômage actuel estimé en 2022 à 14% par le FMI , la fuite en avant étant de créer des emplois dans l’administration et des emplois improductifs non créateur de valeur qui accentuent la crise sociale à terme.

Réformes structurelles

 La planification stratégique intimement liée à de profondes réformes structurelles, l’administration pour moins de bureaucratie, le système financier poumon des réformes ( banques, douanes, fiscalité, domaine, ) le système socioéducatif lieu de création de la valeur, le foncier, permet d’anticiper ,ce renvoie dans des économies en transition comme l’Algérie à l’articulation Etat/ marché. Il y a urgence de bilan physico-financier (synthèse entre le physique et le monétaire) pour évaluer par rapport aux normes internationales les surcoûts et les impacts économiques et sociaux de la mise en place les bases de l’Intelligence économique (des cellules de veille stratégique) pouvant être définie comme la capacité à gérer stratégiquement l’information pour prendre les bonnes décisions en temps réel, le temps qui coûte de l’argent ne se rattrapant jamais en économie, n’existant pas de situation statique mais devant évoluer toujours en dynamique. Ce qui renvoie tant à une nouvelle organisation des collectivités locales gérées par de véritables managers au sein d’une réelle décentralisation, qui gèrent un important budget qu’à à l’organisation gouvernementale dans la mesure où bon nombre de projets sont de nature transversale imposant aux différents ministères imposant une concertation permanente afin d’échanger les informations entre eux pour plus de cohérence et de visibilité dans la politique socio-économique afin d’éviter les surcoûts devant lever contraintes d’environnement devant définir clairement les objectifs stratégiques : comment se pose le problème ; quelles sont les contraintes externes (engagements internationaux de l’Algérie) ; quels sont les contraintes socio-économiques, financières et techniques internes ; quels sont les choix techniquement possibles et les ensembles de choix cohérents, et quelles sont les conséquences probables de ces choix ; quelles méthodes de travail choisir qui permettent de déterminer les paramètres (moyen et long terme) et les variables (court terme) dont dépend un système complexe… Après avoir décomposé la difficulté en éléments simples, il convient de se poser des questions et apporter des réponses opérationnelles, loin des théories abstraites, réalisations physiques et plan de financement sur chacun des éléments : Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ? Comment faire ? L’on devra distinguer dans la hiérarchisation les projets capitalistiques dont le seuil de rentabilité, si le projet est lancé en 2021, ne sera réalisable qu’à horizon 2028-2030, des projets moyennement capitalistiques, avec un seuil de rentabilité au bout de cinq années et des projets faiblement capitalistiques (PMI/PME) au bout de 2/3 années, mais devant tenir compte des nouvelles mutations mondiales C’est dans ce cadre que sont intéressante les propositions de Jacques Attali sur les industries d’avenir qu’il nomme les « industries de la vie » : la santé, l’alimentation, l’écologie, l’hygiène, l’éducation, la recherche, l’innovation, la sécurité, le commerce, l’information, la culture ; et bien d’autres, ces segments étant capables d’augmenter leur productivité, et donc d’améliorer sans cesse leur capacité de satisfaire la demande sociale nouvelle, fonction de nouveaux comportements. Pour cet auteur, c’est donc en mettant tous les efforts sur les travailleurs et les industries de la vie qu’on sauvera les nations, les civilisations, et l’économie.

En conclusion, le manque de planification stratégique, fonction d’un système d’information fiable en temps réel, peut occasionner à l’Etat des pertes qui peuvent se chiffrer en dizaines de milliards de dollars, tout en favorisant la mauvaise gestion et la corruption .Il s’agit de ne pas confondre le tout Etat (solution de facilité des bureaucrates en panne d’imagination) avec l’importance de l’Etat régulateur stratégique en économie de marché, mais qui suppose un degré de compétences élevés pour réguler, en ce monde en perpétuel mouvement et dont les effets des tensions géostratégiques actuelles augurent de profonds bouleversements entre 2023 et 2030.

A.M.

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