Quelle stratégie gazière à l’horizon 2050 ?
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach, membre de plusieurs organisations internationales.
Lors du Sommet prévu à Alger du 29 février au 02 mars 2024, le Forum des pays exportateurs de gaz abordera certainement deux dossiers fondamentaux, le gaz, produit relativement propre par rapport au pétrole et charbon, au sein de la future transition énergétique et le prix d’équilibre qui concilie à la fois les intérêts des producteurs et des consommateurs.
Pour rappe, créé en 2001, le FPEG est constitué de 11 pays membres : 5 en Afrique (Algérie, Égypte, Guinée équatoriale, Libye, Nigéria); 2 au Moyen-Orient (Iran, Qatar) ; 3 en Amérique du Sud (Bolivie, Trinité-et-Tobago, Venezuela) ; et la Russie et 7 pays non-membres ont un statut d’observateur : l’Angola, l’Azerbaïdjan, les Émirats arabes unis, l’Irak, la Malaisie, la Norvège et le Pérou. Le forum représente environ 70% des réserves mondiales de gaz.
Le cours du pétrole est coté le 19 janvier 2024 à 78,60 dollars le Brent et 73,43 dollars le Wit et le prix de cession du gaz sur le marché libre étaitcoté à 32.858 euros le /MWh, le prix du MWh de gaz en France sur le marché PEG étant de 28.045 €/MWh pour le contrat de mars 2024, alors qu’il s’élevait à 33.398 €/MWh le 27/12/2023. Les tensions en mer Rouge risquent d’avoir un impact sur l’évolution du cours des hydrocarbures où près de 12 % du commerce mondial y passe avec près de 30% des volumes de conteneurs, les pétroliers transitant par la mer Rouge représentent entre 12 et 14% du trafic maritime mondial. Mais c’est le détroit d’Ormuz contrôlé par l’Iran qui est la zone de transit d’hydrocarbures la plus importante au niveau international avec un flux quotidien de pétrole évalué à 21 millions de barils soit l’équivalent de 21 % de la consommation mondiale en produits pétroliers qui est une route importante pour les hydrocarbures . La crise en mer Rouge a un impact sur les coûts du transport maritime où les prix pour la principale direction de la Chine vers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe ont augmenté entre 60/100 %, atteignant le plus haut point de l’année 2023, avec un coût supplémentaire de 1.000 à 2.000 USD pour un conteneur transitant par la région européenne. Selon Allianz Trade, une multiplication par deux des coûts du fret maritime générerait +0,7 point d’inflation en Europe et aux USA, contre +0,3 point en Chine. Pour l’inflation, cela signifierait une hausse de +0,5 point, soit 5,1% d’inflation en 2024 avec un impact de -0,9 point de croissance du PIB pour l’Europe et de -0,6 point pour les USA et à l’échelle mondiale, l’impact sur la croissance du PIB serait de -0,4 point, ce qui la limiterait à +2% pour 2024.
On doit éviter toutes mauvaises interprétations concernant le niveau des réserves de gaz ou de pétrole : premièrement , les réserves se calculent par rapport au vecteur prix international et au coût :si le prix est de 100 dollars le mégawattheure exemple, les réserves se rapprochent du niveau des réserves ; mais si le prix est de 50, les réserves sont divisées par deux. Deuxièmement le prix du gaz ne répond pas comme celui du pétrole à l’’offre et la demande à un jour T, ne pouvant pas parler aujourd’hui d’une OPEP gaz , le marché du pétrole étant un marché mondial, le marché du gaz segmenté géographiquement du fait de la prépondérance des canalisations environ 70% et le marché du GNL 30% étant un marché régional , d’où l’importance des contrats à moyen et long terme car l’investissement est lourd et à rentabilité à moyen et long terme. Actuellement 65% par canalisation et 35% GNL, il est prévu que le GNL représentera 48% du volume global du gaz échangé en 2030. Selon Self Energy Fr dans son édition d’août 2022, et avec une réactualisation des réserves prouvées au niveau mondial, les anciennes données datant de 2015/2017, nous avons par ordre décroissant Russie 37400 milliards de mètres cubes gazeux, – l’Iran 32100 milliards de mètres cubes gazeux, -Qatar 24700 milliards de mètres cubes gazeux, -Turkménistan 13600 milliards de mètres cubes gazeux, USA 12600 milliards de mètres cubes gazeux, Chine 8400 milliards de mètres cubes gazeux, Arabie Saoudite 3000 milliards de mètres cubes gazeux, Emiraties 5900 milliards de mètres cubes gazeux, Nigeria 5500 milliards de mètres cubes gazeux, Mozambique 4500 milliards de mètres cubes gazeux, Irak 3500 milliards de mètres cubes gazeux. En Algérie, les réserves économiquement exploitables de gaz naturel en Algérie sont estimées en 2020/2021 à 2 279 Gm3 ( 13e rang mondial, 1,1 % des réserves mondiales), plus 27 320 Gm3 de ressources potentielles ( 5e rang mondial), dont 1 800 Gm3 de gaz conventionnel, 20 020 Gm3 de gaz de schiste( 3eme réservoir mondial) et 5 500 Gm3 de gaz de réservoir (4500 étant les données de BP de 2005 ) . On ne doit pas oublier les importants gisements en méditerranée orientale entre 3500 et 4000 milliards de mètres cubes gazeux dont 40/50 au bord de Ghaza en Palestine occupée et d’après les experts américains du bureau géologique (USGS), il y aurait 90 milliards de barils de pétrole au-delà du cercle polaire arctique, à l’échelle mondiale, l’Arctique contiendrait 13 % du pétrole et 30 % du gaz naturel.
On ne doit pas par ailleurs confondre réserves avec production, comme on ne doit pas confondre production avec exportation devant retirer la consommation intérieure ainsi que l’injection de 20/25% dans les puits du gaz pour éviter leur épuisement. Pour la Production en 2022 nous avons par ordre décroissant pour les neufs premiers pays : USA 1027 milliards de mètres cubes gazeux ; Russie 699 milliards de mètres cubes gazeux ; Iran 244 milliards de mètres cubes gazeux ; Chine 219 milliards de mètres cubes gazeux; Canada 205 milliards de mètres cubes gazeux; Australie 162 milliards de mètres cubes gazeux; Arabie Saoudite 105 milliards de mètres cubes gazeux; Algérie 102 milliards de mètres cubes gazeux. Le mix énergétique évolue, mais étant dominé entre 2022/2023 à plus de 80 % par les énergies fossiles: pétrole 31,569% ; gaz naturel 23,490% : charbon 26,731% ; nucléaire 3,397% ; renouvelable 7,479% ; hydraulique 6,734% ; hydrogène vert pas encore opérationnel. Selon les études internationales, le gaz naturel et les énergies renouvelables représenteront 60% de l’approvisionnement en électricité, modifiant le mix mondial de production d’électricité d’ici 2050. Dans ce cadre, pour le GECF, l’investissement total dans le gaz (y compris les activités en amont et en aval) entre 2024 et 2050 atteindra près de 10.000 milliards de dollars et la production mondiale augmenterait d’environ 1.900 milliards de mètres cubes pour atteindre plus de 5.900 milliards de mètres cubes d’ici 2050 dont 20% de gaz importés dont environ 50%, pour GECF, alors que pour atteindre la neutralité carbone horizon 2050, il faudrait , selon le bureau d’études américain le consultant BCG ; 27.000 milliards de dollars d’investissement, ce marché comprenant six domaines principaux : les équipements de production d’énergie renouvelable (éoliennes, modules solaires, etc…), les réseaux électriques, le stockage de l’énergie, dont les batteries pour véhicules, les carburants alternatifs comme les SAF (Sustainable aviation fuels) dans l’aérien ou l’hydrogène pour les procédés industriels de la sidérurgie ou des engrais, les matériaux pour les bâtiments verts et enfin les technologies de capture et stockage de CO2.
En résumé, les nouvelles mutations mondiales aujourd’hui largement influencées par des recomposition du pouvoir mondial s’orientant vers un monde multipolaire et les changements qui sont appelés à se produire entre 2024/2030/2035 doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir. Ce bouleversement mondial influe les méthodes de gestion des États et la prochaine réunion ministérielle du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) du 29 février au 02 mars 2024 à Alger devrait adopter des stratégies d’adaptation tenant compte de ces nouvelles mutations énergétiques mondiales entre à l’horizon 2050 .