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L’Algérie, acteur énergétique majeur

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach et président de la commission transition énergétique de la société civile des 5+5 + Allemagne 2019/2020.

L’Algérie peut devenir un acteur majeur d’approvisionnement en énergie de l’Europe. Elle a été le 2e fournisseur de gaz avec 19% en 2023, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, alors qu’elle peut couvrir plus de 30% des besoins en énergie de l’Europe à l’horizon 2030/2040.

Le dernier rapport de l’OPAEP de juillet 2024 montre que l’Algérie est un des plus gros consommateurs d’énergie. En 2023, l’Algérie a produit plus de 110 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dont environ 50% ont été destinés à la consommation intérieure, le reste à l’exportation à l’étranger. Cela renvoie à l’épineux dossier des subventions généralisées et non ciblées, la production d’électricité en Algérie étant tirée du gaz à 99%. C’est dans ce cadre qu’entre la réalisation de la nouvelle raffinerie de Hassi Messaoud afin de renforcer la production nationale en essence et gasoil, tout en s’orientant vers leur exportation.

Sonatrach dispose de cinq raffineries de pétrole brut d’une capacité de traitement de 25 millions de tonnes par an et d’une raffinerie de condensat d’une capacité de traitement de 5 millions de tonnes par an. Lors du Conseil des ministres en date du 07 janvier 2024, il a été décidé de relancer le projet de la raffinerie de Hassi Messaoud. En janvier 2020, le groupe Sonatrach avait signé un contrat avec un groupement composé de Tecnicas Reunidas (Espagne) et Samsung Engineering (Corée du Sud) pour la réalisation d’une raffinerie de pétrole au niveau de Haoud El Hamra à Hassi Messaoud. Plus précisément, selon les données de Sonatrach, la raffinerie aura spécifiquement vocation à produire sept produits à la norme Euro 5 : propane (127 000 tonnes par an), butane (180 000 tonnes/an), essence NO 95 (352 000 tonnes/an), essence NO 91 (1 373 000 tonnes/an), kérosène (228 000 tonnes/an), gasoil (2 659 000 tonnes/an) et bitume (134 000 tonnes/an). Ce contrat, d’un montant de 440 milliards de DA (quelque 3,3 milliards de dollars au cours de 137 dinars un dollar), portait sur la réalisation d’une raffinerie de pétrole brut à conversion profonde d’une capacité de 5 millions de tonnes/an. Le projet devait être exécuté en EPC dans un délai de 52 mois et la livraison du projet était prévue en mars 2024, avec deux ans de garantie, soit mars 2026 pour la réception finale. Mais entre-temps est survenu un conflit lié notamment au projet Touat Gaz où Tecnicas Reunidas avait été sélectionné en 2013 pour concevoir et construire une usine de traitement de gaz naturel pour un coût de 1,1 milliard de dollars US. Le projet accusant 3 années de retard et la facture finale avait dépassé les 1,3 milliard de dollars US, Technicas Reunidas ayant été accusé par Sonatrach et ses partenaires étrangers de manquer à ses obligations contractuelles. Il serait souhaitable de ne pas recourir à nouveau à l’arbitrage international, étant préférable dans l’intérêt des deux parties de régler ce conflit commercial à l’amiable.

En 2023, selon les données du Ministère de l’Énergie, la consommation de gasoil a atteint 10,1 millions de tonnes contre 9,73 millions de tonnes en 2022 (+4%). Une consommation « appelée à augmenter sous l’effet de la croissance économique que connaît l’Algérie », selon le responsable, qui a relevé que « la capacité de production de ce produit, estimée actuellement à 9,9 millions de tonnes, devrait atteindre 10,3 millions de tonnes ». La consommation d’essence a, quant à elle, reculé de 0,6%, passant de 3,34 millions de tonnes en 2022 à 3,32 millions de tonnes en 2023, notamment en raison de l’augmentation de la consommation de GPL carburant de 1,55 million de tonnes en 2022 à 1,73 million de tonnes en 2023 (+12%), cette augmentation traduisant le souci de promouvoir le respect de l’environnement. La consommation de kérosène a atteint 630 000 tonnes en 2023, contre 470 000 tonnes en 2022 (+34%), tandis que la consommation de carburants marins a atteint 330 000 tonnes en 2023 contre 220 000 tonnes en 2022 (+50%). La consommation de butane a baissé de 6%, passant de 1,21 million de tonnes en 2022 à 1,13 million de tonnes en 2023, tandis que la consommation de propane a atteint 130 000 tonnes contre 120 000 tonnes en 2022. La consommation de bitume a, par contre, reculé de 20%, passant de 620 000 tonnes en 2022 à 500 000 tonnes en 2023. Signalons que les prix de cession ne couvrent pas parfois les coûts (exemple Sonelgaz pour l’électricité), mais devant être réaliste, le revenu moyen de l’Algérien étant environ 20% de celui de l’Européen, d’où la nécessité de revoir leur marge commerciale, en appliquant le système des subventions directes au profit des catégories sociales et ménages à faible et moyen revenus ainsi que transitoirement pour des segments inducteurs de valeur ajoutée (étude réalisée sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul assisté des cadres de Sonatrach et du bureau d’études américain Ernst & Young 8 volumes 890 pages, MEM Alger, pour une nouvelle politique des carburants, dossier présenté aux députés APN axé sur une politique des subventions ciblées pour les carburants). Cette politique des carburants implique donc à l’avenir tant pour les opérateurs économiques, les institutions de l’État central et local et les citoyens de rationaliser leur consommation, en vue d’économiser et d’exporter ce carburant vers les marchés extérieurs pour générer des devises qui profitent à l’économie nationale.

Le ministre de l’Énergie et le PDG de Sonatrach, très réalistes, contrairement à certaines supputations de certains soi-disant experts, prévoient une production de 200 milliards de mètres cubes de gaz dont la moitié sera destinée à l’exportation (GNL et GN) entre 2028/2030 et ce sous réserve de l’attrait d’importants investissements étrangers, d’un rationnement des secteurs énergivores, comme le BTPH utilisant les anciennes méthodes de construction (parpaing, briques, ciment nécessitant un climatiseur par pièce alors que les nouvelles techniques économisent 30/40%) de la diminution des gaz torchés, la réduction de l’empreinte carbone, afin d’être un acteur efficace au sein de la chaîne de valeur internationale de l’ensemble des énergies, entrant dans le cadre de la transition énergétique. C’est que les prévisions de Sonelgaz prévoient 80 milliards de mètres cubes gazeux pour la consommation intérieure du fait de la forte pression démographique, plus de 50 millions d’habitants en 2030 et bon nombre de secteurs nouveaux consommateurs d’énergie, et 100 entre 2035/2040, mais devant injecter 20% soit 20 milliards de mètres cubes gazeux dans les puits pour éviter leur épuisement. Cela annonce des perspectives prometteuses pour l’économie gazière en Algérie, volume qui pourrait être supérieur si on réalise le gazoduc Nigeria-Algérie d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes gazeux/an, et sous réserve d’un dialogue social et de la protection de l’environnement l’exploitation du gaz de schiste dont l’Algérie est le troisième réservoir mondial, une réserve de 19 500 milliards de mètres cubes gazeux. À cela s’ajoute, outre les énergies traditionnelles dont le récent mémorandum avec le groupe Exxon Mobil (mai 2024), et des mémorandums ou contrats avec des groupes de renom français, italiens, allemands, chinois, russes, des contrats pour le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène. Avec un ensoleillement de 3000 heures de soleil par an, l’objectif est d’atteindre 35% de la couverture des besoins intérieurs 2030/2035 avec une partie exportable de 10 000/11 000 MW (source Ministère Énergie) grâce aux interconnexions ainsi que le développement de l’hydrogène vert, bleu et blanc 15% de la couverture des besoins de l’Europe horizon 2035, un montant d’investissement entre 25/30 milliards de dollars ayant été dégagé par le gouvernement algérien. Récemment, mi-juillet 2024, après le gaz naturel qui est livré à l’Italie et à l’Espagne via deux gazoducs sous-marins, le Trans-Mediterranean Pipeline, plus connu sous son abréviation Transmed, d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes gazeux, et Medgaz, d’une capacité de 10,5 milliards de mètres cubes gazeux, sans compter les exportations de GNL présentant une plus grande flexibilité contrairement aux canalisations liées géographiquement, environ 33% des exportations, ce sera au tour de l’électricité générée en Algérie d’arriver en Europe par câble électrique sous-marin. En plus des plus grands câbles électriques sous-marins actuellement en service dans le monde, le North Sea Link, qui relie la Norvège à l’Angleterre sur une distance de 720 km, et le Viking Link, qui relie le Danemark à l’Angleterre sur une distance de 765 km, dont 650 km sous la mer, il a été annoncé officiellement que les deux groupes publics Sonatrach et Sonelgaz signeront, prochainement, avec des partenaires internationaux, un accord portant réalisation d’un câble électrique sous-marin qui permettra l’exportation de l’électricité vers le continent européen.

En conclusion, selon la commission européenne et la majorité des observateurs internationaux, l’Algérie peut devenir un acteur majeur d’approvisionnement en énergie de l’Europe où elle a été le 2e fournisseur de gaz avec 19% en 2023, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, alors qu’elle peut couvrir plus de 30% des besoins en énergie de l’Europe à l’horizon 2030/2040. L’Algérie occupant le septième rang mondial et le premier rang africain en termes de capacité de production de gaz naturel liquéfié (GNL), avec 25,5 millions de tonnes/an jusqu’à fin février 2024, devançant, au niveau africain, le Nigeria (8e position) avec une capacité de production de près de 22,2 millions de tonnes/an et l’Égypte (10e position) avec 12,2 millions de tonnes, les États-Unis d’Amérique arrivant en tête de ce classement avec 91,4 millions de tonnes/an, suivis de l’Australie (87,6 millions de tonnes/an) et du Qatar (77,1 millions de tonnes/an), ces trois pays représentant ensemble plus de la moitié de la capacité de production mondiale. Cependant l’objectif stratégique pour l’Algérie est d’éviter de dépendre d’une ressource éphémère ce qui suppose que les recettes des hydrocarbures permettent d’asseoir une économie diversifiée dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux ce qui renvoie aux deux fondamentaux du développement du XXIe siècle, la bonne gouvernance et la valorisation du savoir.

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