RSE : les entreprises algériennes ont encore un long chemin à parcourir
par Mohamed Rachid Cheriti
Ingénieur spécialisé dans le domaine énergétique et le développement durable.
Email : r_cheriti@yahoo.fr
Si les entreprises peuvent affecter négativement la société et l’environnement comme le reflètent les dégradations économiques, sociales, et écologiques engendrées par le développement industriel et les dommages qui en résultent, elles sont aussi celles qui peuvent représenter un vecteur de changement positif. De cette hypothèse, nait le concept de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui est un des leviers du développement durable des entreprises à travers une contribution positive envers la communauté et les parties prenantes.
Toute une littérature et définitions se sont développées autour de cette notion de la RSE depuis les années 1950. Le livre vert de la commission européenne la définit comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». Une autre définition dit que la RSE est l’ensemble des obligations normatives ou morales qui déterminent la stratégie de l’entreprise dans son environnement au regard des parties prenantes tout en assurant sa pérennité voire sa croissance économique afin de concilier dans le présent les performances économiques et sociales. Elle est davantage associée dans plusieurs définitions au développement durable ou encore à l’écologie, alors que ce concept a vu le jour bien avant ces concepts.
Cependant, Afin de répondre aux mouvements contestataires, aux pressions sociales, aux campagnes de dénonciation et aux exigences des investisseurs, les entreprises intègrent de plus en plus la responsabilité sociétale dans leur mode de gestion. Depuis un moment, une attention remarquable est apportée par plusieurs entreprises dans le monde à cette notion. Elle n’a cessé de grandir au point d’être devenue, aujourd’hui, un vecteur de marque employeur, un des leviers du développement durable, et un élément clé de certaines politiques des pays développés au même degré que l’emploi, la croissance économique et la cohésion sociale. En outre, par le biais de la RSE, les entreprises ne se montrent plus seulement intéressées par la recherche et la maximisation du profit, mais se préoccupent également de leur impact sur la société et l’environnement. Et l’expérience a montré que les entreprises qui veillent à la mise en place de bonnes pratiques éthiques, environnementales et sociales au sein de leurs chaînes d’approvisionnement sont plus rentables.
La RSE et l’ISO 26000 : une relation mutuelle
La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et la norme ISO 26000 sont deux concepts liés mais distincts. La RSE englobe l’engagement des entreprises à agir de manière responsable sur les plans social, environnemental et économique, en prenant en compte les impacts de leurs activités sur la société et en contribuant au développement durable. Cela inclut des pratiques telles que la protection de l’environnement, le respect des droits de l’homme, la responsabilité envers les employés, les relations avec les parties prenantes, etc. La RSE n’est pas une norme spécifique mais plutôt un ensemble de principes et de pratiques que les entreprises adoptent volontairement. Tandis que l’ISO 26000 est une norme internationale qui fournit des lignes directrices sur la responsabilité sociétale des organisations. Elle offre un cadre pour aider les entreprises et autres organisations à comprendre ce que signifie agir de manière socialement responsable et à mettre en œuvre la RSE de manière effective. L’ISO 26000 propose des recommandations et des principes pour intégrer la responsabilité sociétale dans les pratiques commerciales courantes.
L’expérience mondiale
Le classement des meilleurs pays en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) peut varier en fonction de plusieurs critères et indices utilisés pour évaluer la performance dans ce domaine. L’institut RESPECO (Le centre de ressources et de recherches du World Forum for a Responsible Economy) de l’année 2017, hiérarchise les pays selon un indice composite construit à partir de 6 indicateurs regroupant au total 38 variables. Il prend en compte des données relatives à l’environnement, aux inégalités et aux discriminations, au droit du travail et aux législations sociales, à la corruption et à l’information. Les pays du Nord de l’Europe Scandinavie (Suède, Norvège, Danemark, Finlande, et l’Islande) dominent en s’arrogeant les premières places. Ces pays nordiques sont souvent loués pour leur engagement envers l’égalité, la durabilité, les droits de l’homme et leur approche inclusive des affaires. En effet, La Norvège est un exemple de pays qui intègre les critères ESG (environnement social, gouvernance) dans ses investissements via son fonds souverain, le Government Pension Fund Global (GPFG). Ce fonds est réputé pour ses critères stricts en matière de RSE pour ses investissements.
En Afrique, la première place est réservée au Burkina Faso 38ème au niveau mondial, suivi du Sénégal la 44ème place. Ces positions pourraient apparaître lointaines mais elles sont en progrès par rapport aux années antérieures et témoignent des évolutions que connaît ce continent, l’Afrique de sud au rang 95. Pour les pays arabes le Maroc est en tête de peloton au rang 54 suivi par la Tunisie 59, l’Algérie au rang 124, l’Egypte 134, l’Emirats Arabes Unis 155, l’Arabie Saoudite 184. Pendant que le japon (la surprise) est positionné au rang 52, la Russie 114, bien que la Chine au rang 191 mondialement.
Sur le continent américain, le premier pays est au sud : il s’agit de l’Uruguay qui trouve ici une place sans surprise 27éme. Au Nord de l’Amérique, le Canada (41ème) est très loin devant les USA dont la mauvaise performance (151ème place) surprend.
La situation en Algérie
En Algérie, un retard remarquable est enregistré en la matière par rapport aux autres pays, mais nous constatons une prise en compte accrue de critères sociaux, sociétaux et environnementaux dans les stratégies de comportements de la société algérienne. D’ailleurs, la solidarité intercommunautaire, et entre les citoyens de la société, voire même le concept selon lequel les parties prenantes doivent apporter leur contribution à la société, existe depuis longtemps en Algérie et dans pays musulmans. La zakat, qui est une pratique courante parmi les entreprises et les individus. Le concept philanthropique du waqf, aussi, désigne dans le droit musulman une donation d’actifs à des fins religieuses ou caritatives. La twiza dans quelques régions du pays, elle aussi, participe à la solidarité communautaire en Algérie.
En dépit que l’Algérie ait d’ores et déjà signé un certain nombre de traités d’échange internationaux et ait adhéré à des référentiels internationaux et également avec les nations unies, il n’y a pas encore suffisamment de maturité en terme de tout ce qui est développement durable. Il y a une certaine prise conscience dans quelques entreprises sur cette question, a l’instar de Sonatrach, qui compte lancer d’ici 10 ans un vaste projet de reboisement sur une superficie de 520 000 hectares, avec un investissement estimé à un milliard de dollars, même si son objectif est le stockage naturel du carbone, il vise en sus des enjeux environnementaux et sociétaux. La RSE se développe progressivement mais inégalement selon les secteurs et la taille des entreprises. Aussi, on constate ces dernières années, que plusieurs entreprises algériennes, toutes tailles confondues, se sont engagées dans la refonte de leurs pratiques managériales. Elles ont choisi la voie de la conformité aux normes et standards internationaux de management, tels que l’ISO 9001, 14001, 19001, 26000…etc.
A l’heure actuelle, les entreprises algériennes sont au centre des préoccupations politiques et industrielles de l’État. Elles sont des structures créatrices et de préservatrices d’emplois. Mais en dépit de leurs atouts, la majorité des entreprises algériennes n’accordent que très peu d’intérêt à l’engagement social et environnemental. Certes leur gouvernance actuelle ne leur permet pas souvent de répondre efficacement aux problèmes environnementaux auxquels elles sont confrontées. Ce manque d’engagement environnemental peut être expliqué par le non bénéfice d’un accompagnement adéquat susceptible de soutenir leur démarche d’engagement environnemental, nonobstant que cet accompagnement ne puisse être assuré sans une connaissance parfaite de la réalité sociale et environnementale des entreprises.
Une étude de l’OCDE a été menée en 2018 auprès de 638 entreprises, majoritairement cotées en Bourse, pour comprendre le degré de connaissance et de prise en compte des pratiques de RSE/CRE dans 18 pays MENA, dont six économies examinées (Algérie, Autorité palestinienne, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc et Tunisie). Les résultats ont montré qu’une majorité des entreprises (64 %) tiennent compte d’une manière ou d’une autre des aspects environnementaux ou sociaux. Parmi elles, 31 % déclarent appliquer une stratégie globale pour intégrer les questions de développement durable dans leur organisation et en consultation avec toutes les parties prenantes.
La RSE : une volonté responsable
De manière générale, la responsabilité sociale de l’entreprise est une démarche qualitative, dont l’évaluation peut être complexe, ainsi que sa mise en œuvre dans la pratique, d’où la nécessité d’étoffer les métiers concernés pour qu’ils soient capables de traduire ces enjeux dans leurs tâches quotidiennes.
L’engagement en RSE peut générer des avantages concurrentiels soit interne ou externe et contribuer à la durabilité à long terme de l’entreprise, tout en ayant un impact positif sur la société et l’environnement. Parmi ces avantages : l’amélioration de la réputation et de l’image de marque, l’accès à de nouveaux marchés et opportunités commerciales, la réduction des coûts opérationnels, l’attraction et rétention des talents, la réduction des risques et conformité réglementaire, le renforcement des relations avec les parties prenantes.
In fine, en dépit que certaines écoles recommandent l’éloignement des pratiques de responsabilité sociale et de se concentrer sur la recherche du profit financier, notre Algérie n’est pas en marge des grands défis sociaux, sociétaux et environnementaux qui sont posés à la planète, et faitt émerger une sensibilité citoyenne en faveur du développement durable. Si les évolutions actuelles de la société poussent les entreprises en Algérie et partout dans le monde à s’engager dans des démarches de responsabilité sociale, celles-ci en retirent aussi des bénéfices stratégiques tangibles. Dans le même contexte, il est recommandé de réaliser des analyses au niveau des communautés et des processus d’intégration, afin de mieux comprendre dans quel contexte les communautés collaborent avec les entreprises et de quelle façon elles évaluent la sociabilité de ces dernières. En outre, de telles analyses pourraient permettre de mieux comprendre les façons de stimuler ces interactions afin d’initier le développement économique et sociétale de communautés ciblées.
Par ailleurs, la RSE doit être considéré comme une structure ou un projet rattachée directement à la direction générale des entreprises, qui était auparavant dans la majorité des cas rattachée à la Communication ou aux ressources humaines des entreprises, dans une optique centrée sur l’image de marque ou sur la marque employeur. Ce qui démontrerait désormais que les entreprises iront au-delà du simple vernis écologique et social et introduisent le développement durable au cœur de leurs modèles d’affaires. ■