SILA 2024 : La Révolution de Novembre au cœur des débats
Le 27e Salon International du Livre d’Alger (SILA) célèbre avec éclat le 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération nationale. Sous le slogan évocateur « Lire pour triompher », cette édition 2024 place la mémoire et l’histoire de Novembre 1954 au centre de ses préoccupations intellectuelles et culturelles.
Dans la grande salle de conférence de la SAFEX, historiens et chercheurs se succèdent pour débattre de l’écriture de cette page cruciale de l’histoire nationale. La conférence « Nos écrits sur Novembre 1954 » a particulièrement marqué les esprits en réunissant des figures éminentes de la recherche historique nationale comme Fouad Soufi, Ammar Mohand Amar, Mustapha Saadaoui et Redouane Chafou. Au cœur des discussions, une question fondamentale émerge : comment produire un savoir historique rigoureux sur cette période charnière ? Pour Fouad Soufi, ancien directeur des archives nationales, la réponse passe impérativement par « l’accès aux sources et aux archives ». Une position que renforce Ammar Mohand Amar, chercheur en anthropologie sociale et culturelle à Oran, qui insiste sur la nécessité d’une « position critique » permettant de contextualiser chaque document historique. La méthodologie occupe une place centrale dans ces réflexions. Les intervenants soulignent unanimement l’importance d’une approche scientifique rigoureuse, combinant analyse des archives, recueil des témoignages et croisement des sources. Cette exigence méthodologique s’avère d’autant plus cruciale que les enjeux mémoriels sont considérables. Un autre volet important des débats concerne la transmission de ce savoir historique. Mustapha Saadaoui, chercheur à l’université de Douira, met l’accent sur l’importance des échanges scientifiques entre chercheurs et sur la nécessité de publier les nouvelles découvertes dans des revues spécialisées. La formation de la nouvelle génération d’historiens constitue également un enjeu majeur, comme le soulignent l’ensemble des intervenants.
Dénoncer les crimes de guerre
Parallèlement, une rencontre particulièrement émouvante intitulée « Les historiens et la révélation des crimes coloniaux » a permis d’aborder la question sensible des crimes de guerre. L’historienne Malika Rahal, spécialiste reconnue de l’histoire de l’Algérie, a souligné l’urgence de collecter les témoignages des survivants et des témoins des exactions coloniales. Ces récits constituent, souligne-t-elle, des « preuves d’histoire indéniables » permettant notamment de comprendre comment « les disparitions forcées, notamment durant la bataille d’Alger, ont été un outil aux mains des autorités coloniales françaises ». L’historien Hosni Kitouni a quant à lui rappelé l’ampleur et la diversité des crimes commis : massacres de civils, viols, déportations, enlèvements d’enfants, dépossessions… Autant d’histoires individuelles qui restent encore à documenter et à écrire pour constituer une mémoire collective complète et précise de cette période. Cette édition du SILA, qui accueille plus de 1000 maisons d’édition venues de 40 pays, dont l’État du Qatar en tant qu’invité d’honneur, démontre ainsi sa capacité à conjuguer rayonnement culturel international et devoir de mémoire. La programmation dense, qui se poursuit jusqu’au 16 novembre, permet d’aborder l’histoire sous différents angles : conférences académiques, débats, présentations d’ouvrages, mais aussi rencontres culturelles et littéraires. L’accent mis sur la rigueur méthodologique et l’importance des sources traduit une volonté claire : dépasser la simple commémoration pour contribuer à une écriture scientifique et objective de l’histoire. Une démarche d’autant plus importante que les témoins directs de cette période se font de plus en plus rares, rendant urgent le travail de collecte et de documentation. Le SILA 2024 remplit ainsi pleinement sa mission culturelle et mémorielle, en offrant un espace de réflexion et de débat sur l’un des événements fondateurs de l’Algérie moderne. Au-delà de la célébration du 70e anniversaire du 1er novembre 1954, il contribue activement à la construction d’une conscience historique éclairée, basée sur la recherche rigoureuse et le dialogue entre les générations.
Mohamed Seghir