Réhabiliter la Cour des comptes
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, docteur d’Etat en sciences économiques 1974,- expert comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille –France, haut magistrat premier conseiller et directeur général des études économiques à la Cour des Comptes 1980/1983 et ancien directeur d’étude aux ministères de l’Industrie et de l’Énergie.
La Cour des comptes, relevant directement du président de la République à l’instar de la Banque d’Algérie ne dépend pas de l’Exécutif, en relation avec l’ensemble des services de sécurité et les autres organes de contrôle. Elle est selon la Constitution l’institution suprême de contrôle des deniers publics.
La Cour des comptes devra avoir pour mission essentielle de servir avant tout comme institution de conseil, de prévision et de correction afin de protéger les gestionnaires contre les délits d’initiés et non comme outil de coercition car lorsque le mal est fait cela est déjà trop tard . Elle doit viser à favoriser une saine gestion et une utilisation performante des moyens et des ressources publics par les entités contrôlées. Rappelons que déjà en novembre 2021, le président de la République avait annoncé au quotidien allemand Der Spiegel un plan de réorganisation de la Cour des comptes, afin de favoriser le système de contrôle et de suivi des finances publiques conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution, qui a élargi les prérogatives de la Cour des comptes.
La Cour des comptes régie par l’ordonnance du 17 juillet 1995, modifiée et complétée par l’ordonnance du 26 août 2010 ayant été consacrée dans la nouvelle Constitution, comme l’organe suprême de contrôle des deniers publics (Journal officiel du 30 décembre 2020, portant révision constitutionnelle) . Ainsi, l’article 199 stipule que la Cour des comptes est une institution supérieure de contrôle du patrimoine et des fonds publics, contribuant au développement de la bonne gouvernance, à la transparence dans la gestion des finances publiques et à la reddition des comptes. Le président de la République nomme le président de la Cour des comptes pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois qui lui adresse un rapport annuel. La loi détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations, ainsi que ses relations avec les autres structures de l’État chargées du contrôle et de l’inspection. Institution supérieure du contrôle a posteriori des finances de l’État à compétence administrative et juridictionnelle, la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN et Sénat) dans le contrôle de l’exécution des lois de finance, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. Elle exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’État, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision. Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Il est prévu la consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi de finances et de règlement budgétaire, et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale, dont le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. Cependant, il existe différentes institutions de contrôle, outre l’urgence de la modernisation des outils d’information maîtrisant les nouvelles technologies, l’IGF, dépendante du ministère des Finances, ou d’autres institutions dépendantes du ministère de la Justice, dépendent de l’exécutif étant juge et partie, ne pouvant être impartial, sans compter l’organe de lutte contre la corruption, d’où l’importance d’une coordination sans faille, évitant les télescopages, produit de rapports de forces contradictoires, qui ont nui par le passé au contrôle transparent et qui explique les nombreuses dérives.
Les procédures de la Cour des comptes doivent répondre aux normes internationales qui concernent notamment la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision, la couverture limitée des contrôles et la standardisation des méthodes de travail. Selon les normes internationales, qui devraient s’appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d’apprécier les conditions d’utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’État, les établissements et organismes publics et, enfin, l’évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l’évaluation, au plan économique et financier, de l’efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d’objectifs d’intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l’État ou des organismes publics soumis à son contrôle. Il s’agit de poser les véritables problèmes, pour une application efficace sur le terrain. La Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions, peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et les administrations. Le manque de transparence des comptes ne date pas d’aujourd’hui, mais depuis l’indépendance. J’ai eu à le constater concrètement lors des audits que j’ai eu à diriger, assisté de nombreux experts et de cadres dirigeants d’entreprises publiques entre 1974/2016: sur Sonatrach entre 1974 et 1976, le bilan de l’industrialisation 1977- 1978, le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979 et 1980, au niveau de la cour des comptes, les contrôles sur les surestaries et les surcoûts au niveau du BTPH en relation avec le ministère de l’Intérieur, les 31 walis et le ministère de l’Habitat de l’époque où j’ai eu l’honneur de co présider une réunion avec Mr Abdelmadjid Tebboune lorsqu’il était alors Wali, l’audit sur l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008), l’audit, assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du bureau d’études Ernst &-Young, “le dossier des subventions des carburants -Ministère Énergie, 8 volumes, 780 pages-Alger 2008”,) le dossier Pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques et l’audit sur la situation économique premier ministère( 7 volumes 800 pages entre 2014/2016). Concernant Sonatrach et les différents audits que j’ai eu à diriger avec des experts, assisté des cadres du secteur ministère de l’Énergie et Sonatrach, il nous a été difficile de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et de Hassi Messaoud, tant du baril de pétrole que du MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile, et dans ce cas la mission de la Cour des comptes est limitée. Dans les administrations, disons que c’est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du début des années 1960/1970, ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Ayant eu l’occasion de visiter bon nombre de structures de contrôle au niveau international, le constat est que l’efficacité de la Cour des comptes , et d’une manière générale toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité, est fonction d’une bonne gouvernance reposant sur un système d’information fiable maîtrisant les nouvelles technologies dont l’impact de l’intelligence artificielle et afin de lutter contre les cyber attaques et au niveau de la gestion interne contre les surfacturations et les transferts illégaux de capitaux, posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans de grandes sociétés comme Sonatrach et Sonelgaz.
En conclusion, l’Algérie, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine ( voir notre interview à la télévision russe RT diffusion 25 janvier 16h06 heure de Moscou) a d’importantes potentialités pour devenir un pays pivot, sous réserve de profondes réformes structurelles et réhabiliter les vertus du travail, d’où l’urgence de s’adapter, au mieux de ses intérêts, au nouveau monde. Car, force est de reconnaître qu’en ce mois de janvier 2025 Sonatrach « est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach » (plus de 97/98% des recettes en devises avec les dérivés) et que l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée renvoyant à l’urgence d’une véritable décentralisation. Je ne saurai trop insister sur le fait que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un État de droit, avec l’implication des citoyens, tout cela accompagné par une cohérence et une visibilité dans la démarche de la politique socioéconomique, un renouveau de la gouvernance et pour plus de moralité afin de faciliter la symbiose État-citoyens. Le fondement de tout processus de développement, comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques, repose sur des institutions crédibles.
A.M.