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Liberté d’expression dites-vous ?

La France, ce pays qui se targue d’être le berceau des droits de l’homme et le défenseur infatigable de la liberté d’expression, vient de montrer une fois de plus les limites de ses grands principes lorsqu’il s’agit de son propre passé colonial. L’affaire Jean-Michel Aphatie en est l’illustration parfaite. L’éditorialiste a été mis « en retrait » de l’antenne de RTL suite à des propos tenus le 25 février dernier concernant les massacres perpétrés par la France durant la conquête de l’Algérie. La radio a préféré écarter temporairement ce journaliste chevronné plutôt que d’engager un véritable débat historique, révélant ainsi un deux poids deux mesures flagrant dans l’application du principe de liberté d’expression.

Que s’est-il passé exactement ? Lors d’une discussion sur les relations diplomatiques franco-algériennes dans l’émission RTL Matin, Aphatie a osé établir un parallèle entre le massacre d’Oradour-sur-Glane commis par les Nazis, commémoré chaque année en France, et les nombreux massacres similaires commis par l’armée française en Algérie durant la période coloniale. « On en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? » a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Les nazis n’existaient pas. On ne s’est pas comportés comme des nazis. Les nazis se sont comportés comme nous, nous l’avions fait en Algérie. » Des propos qui ont déclenché une tempête médiatique, mais dont la base factuelle a été confirmée par de nombreux historiens. La sanction n’a pas tardé : RTL a demandé à Jean-Michel Aphatie de « se tenir en retrait de l’antenne » dès le 5 mars, officiellement parce qu’il n’a pas souhaité s’excuser ou revenir sur ses propos. Cette décision révèle le malaise d’une France qui peine toujours à regarder en face son passé colonial. Comme l’a souligné Edwy Plenel, rédacteur en chef de Mediapart, en défendant son confrère, Aphatie n’a fait que son travail de journaliste en évoquant des faits historiques documentés sur les crimes commis pendant la colonisation. Le paradoxe est saisissant. D’un côté, la France se pose en championne mondiale de la liberté d’expression, notamment lorsqu’il s’agit de défendre le droit à la caricature ou à la critique des religions. De l’autre, elle s’empresse de museler ceux qui osent questionner les zones d’ombre de son histoire nationale. Ce deux poids deux mesures est d’autant plus frappant que les faits évoqués par Aphatie sont largement attestés par les travaux historiques. Comme l’a rappelé Plenel, des historiens comme François Maspero et Pierre Vidal-Naquet ont abondamment documenté ces atrocités, mentionnant notamment les exactions commises sous le commandement du maréchal Bugeaud. L’affaire Aphatie n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une longue tradition de réticence à aborder de front la question coloniale en France. Quand il s’agit de défendre Charlie Hebdo ou Salman Rushdie, la liberté d’expression est un principe sacré et intangible. Mais quand un journaliste évoque les villages algériens dont les habitants ont été asphyxiés dans des grottes par l’armée française, cette même liberté devient soudainement négociable.

Cette asymétrie dans l’application des principes démocratiques révèle une France qui n’a pas encore soldé les comptes de son passé colonial. Tandis qu’elle donne des leçons de liberté au monde entier, elle peine à accepter un regard critique sur sa propre histoire. En écartant Aphatie pour avoir rappelé des faits historiques, RTL a involontairement mis en lumière ce paradoxe d’une république qui prône la liberté d’expression mais la restreint dès que le récit national officiel est remis en question. Dans un pays où l’on se gargarise des valeurs des Lumières, certaines ombres semblent encore trop menaçantes pour être exposées au grand jour.

Azzedine Belferag

admin

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