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Ces voix qui s’élèvent contre le révisionnisme historique

Un mouvement prend forme en France s’opposant fermement au révisionnisme historique qui tente de minimiser les crimes coloniaux commis en Algérie. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte où plusieurs voix françaises s’élèvent désormais pour dénoncer les atrocités perpétrées durant la période coloniale, malgré les pressions exercées par les milieux politiques conservateurs.

Jean-Michel Apathie, éditorialiste respecté, s’est retrouvé au cœur d’une tempête médiatique après avoir osé établir un parallèle entre les massacres d’Oradour-sur-Glane et les exactions françaises en Algérie. « Chaque année en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Nous en avons fait des centaines en Algérie », avait-il déclaré lors d’un débat en évoquant les massacres de villages entiers les razzias, les décapitations, les viols et surtout les enfumades notamment  celles de la Dahra. Cette comparaison, factuelle mais incommodante pour une certaine France, qui lui a valu véritable cabale et a précipité son départ de RTL. Cette affaire s’inscrit dans un mouvement plus large où des Français, journalistes, historiens et chercheurs, bravent les résistances institutionnelles pour mettre en lumière la vérité historique concernant la colonisation française en Algérie.

Dans ce contexte, le média indépendant « Streetpress » a récemment consacré une vidéo à Florence Beaugé, journaliste au Monde, qui avait publié au début des années 2000 une enquête retentissante sur les sévices subis par la moudjahida Louisette Ighilahriz pendant la Guerre de libération nationale. Son article, « Torturée par l’Armée française en Algérie, Lila recherche l’homme qui l’a sauvée », paru à la Une du Monde le 20 juin 2000, a déclenché une onde de choc dans l’opinion publique française. Cette enquête courageuse a permis d’obtenir des aveux au plus haut niveau de la hiérarchie militaire française. Le général Massu a reconnu l’usage de la torture en déclarant : « Quand je repense à l’Algérie, cela me désole, on aurait pu faire différemment ». Plus troublant encore, Paul Aussaresses, ancien militaire, a révélé à Beaugé avoir « personnellement exécuté 24 personnes et dirigé un escadron de la mort », confirmant l’existence d’un « système de torture systématique depuis 1830 », tout en avouant qu’il « n’avait pas de remord ». Toutefois, il n’ a pas manqué d’avouer qu’il n' »avait pas de remord ». Selon « Streetpress », les témoignages recueillis par la journaliste du Monde ont mis en lumière les différentes méthodes de torture, incluant la torture à la baignoire, les exactions corporels, et les exécutions sommaires.

Se remémorer les crimes coloniaux oubliés

Dans ce sillage, un nouveau documentaire, « Algérie, sections armes spéciales », réalisé par Claire Billet, apporte des preuves supplémentaires sur l’utilisation d’armes chimiques prohibées par l’armée française. S’appuyant sur dix années de recherches de l’historien Christophe Lafaye, le film recueille des témoignages poignants de survivants algériens, comme celui d’Amar Aggoun : « L’armée française, après avoir pris d’assaut notre hameau à l’aide d’avions de guerre, en y larguant plusieurs bombes, nous a pourchassés jusqu’à une grotte de la région où nous étions allés nous réfugier. Devant notre refus de sortir de cette grotte, l’armée française a fait venir des hélicoptères chargés de gaz toxiques. » Le chercheur Amar Mansouri, spécialiste en génie nucléaire, a révélé que « entre 1830 et 1962, il y a eu 300 utilisations d’armes chimiques contre les Algériens, alors que 800 villages ont été détruits au napalm et 800.000 tonnes de TNT ont été déversées sur plusieurs régions du sud du pays ». Il a également documenté qu’en « 1845, au moins 1.000 personnes de la tribu d’Ouled Ryah (Mostaganem) ont été tuées par asphyxie dans une grotte », qualifiant ces actes de « génocides répétés ». Ce mouvement de vérité se heurte à une résistance farouche des institutions françaises et d’une certaine classe politique. Depuis l’ère Sarkozy jusqu’aux discours de Marine Le Pen et Éric Zemmour, une rhétorique révisionniste s’est imposée, tentant de réécrire l’histoire coloniale sous un jour plus favorable. Et face à ce mouvement, la résistance au sein des institutions françaises est là. Preuve en est la déprogrammation du documentaire de Claire Billet qui devait être diffusé la semaine dernière sur France 5.

Christophe Lafaye témoigne pour sa part avoir sollicité à plusieurs reprises le ministère français des Armées pour accéder aux archives de la Guerre de libération, en vain. Il a pourtant pu recenser « environ 450 opérations françaises impliquant l’utilisation d’armes chimiques en Algérie », estimant qu’il y a eu « au total entre 5.000 et 10.000 actions de ce type » sur l’ensemble du territoire algérien.

Cette résistance au négationnisme colonial fait écho aux écrits visionnaires d’Aimé Césaire qui, dans son « Discours sur le colonialisme » (1950), dénonçait déjà la barbarie inhérente au système colonial : « Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. » Face aux défenseurs des prétendus bienfaits de la colonisation, Césaire répondait : « On me parle de progrès, de ‘réalisations’, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. »

L’affaire Apathie, loin d’être un incident isolé, révèle une dynamique profonde où de plus en plus de Français confrontent leur passé colonial avec honnêteté. Ces voix qui s’élèvent contre le révisionnisme, mais font face aux pressions politiques et médiatiques. Pour les Algériens, ce mouvement représente un début de reconnaissance des souffrances endurées pendant 132 ans de colonisation qui devra toutefois trouver échos au sein des institutions. Il ouvre la voie à un dialogue plus équilibré entre les deux pays, fondé sur la reconnaissance des faits historiques plutôt que sur leur négation ou leur minimisation. Comme le soulignait Césaire, « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. »

Hocine Fadheli

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