Culture

Mouloud Feraoun : Une plume engagée contre les atrocités coloniales

Mouloud Feraoun (1913-1962) occupe une place singulière dans la littérature algérienne, à la fois comme témoin, chroniqueur et conscience morale durant la colonisation française.

Instituteur de formation et écrivain par vocation, Feraoun a su documenter avec une précision clinique et une sensibilité rare les horreurs de la colonisation française et la lutte acharnée du peuple algérien pour l’indépendance. Son œuvre, particulièrement son « Journal 1955-1962 », constitue un témoignage historique inestimable sur les exactions coloniales et les aspirations légitimes d’un peuple à la liberté. « Nous l’aurons notre indépendance, d’une manière ou d’une autre », affirmait-il avec conviction dans ce journal posthume qui révèle la profondeur de son engagement pour la cause nationale. Ce document, publié après son assassinat par l’OAS en mars 1962, dévoile un homme profondément préoccupé par le sort de ses compatriotes et déterminé à témoigner des atrocités commises au nom de la France coloniale. Sa plume acérée ne fait aucune concession lorsqu’il décrit les méthodes de répression : « Trois villages ont été bombardés et incendiés. Les hommes ont été emmenés, les femmes et les enfants errent à travers les douars à la recherche d’un asile. Les soldats ont semé la mort, la terreur, la désolation. » Ces lignes sobres mais percutantes illustrent la brutalité systématique employée contre les populations civiles. Plus troublant encore est son témoignage sur les exécutions arbitraires : « On fait sortir les hommes, on les parque, on lâche cinq chiens policiers qui se jettent sur cinq d’entre eux au hasard, qui les culbutent, les mordent, les traînent dans la boue. Ce sont ceux-là que le sort a désigné : on les relève, on les fusille à bout portant. » Cette description glaçante démontre la déshumanisation complète opérée par le système colonial. Natif des Ath Douala dans la wilaya de Tizi-Ouzou, Feraoun raconte de manière particulière les atrocités coloniales commises dans sa région : « Là-bas aussi, nouveau ratissage sur dénonciation. Treize compatriotes arrêtés. » L’atmosphère oppressante de cette période transparaît dans ses écrits lorsqu’il confie : « La guerre est là, partout. Elle nous entoure, nous étouffe, nous écrase. » Et plus loin : « Nous vivons dans la peur, la peur de la mort, la peur de la torture, la peur de l’inconnu. » Pourtant, malgré cette ambiance suffocante, Feraoun conserve une foi inébranlable en l’avenir : « Je crois en l’avenir de mon pays. Je crois en la capacité des Algériens à construire une nation libre et juste. » Ses romans comme « Le Fils du pauvre » (1950) et « La Terre et le Sang » (1953) complètent ce témoignage en dépeignant la vie quotidienne sous occupation coloniale et les transformations sociales induites par ce système. Son fils Ali a souligné que bien que son père « n’était pas un homme à crier son engagement sur tous les toits », il « était en étroite collaboration avec les dirigeants de la Révolution, notamment, les responsables de la Wilaya III historique ». Sa position d’instituteur lui conférait une proximité privilégiée avec les populations locales, faisant de lui un observateur particulièrement avisé des bouleversements sociaux engendrés par l’oppression coloniale. Le destin tragique de Feraoun, assassiné par l’OAS le 15 mars 1962, quelques jours seulement avant les accords d’Évian qui allaient mettre fin à la guerre de libération nationale qui se conclut par la victoire du peuple algérien, illustre paradoxalement la justesse de son combat et la menace que représentait sa lucidité pour irréductibles  de l’Algérie française. Soixante-trois ans après sa mort, son œuvre reste un témoignage essentiel pour comprendre les mécanismes de la violence coloniale et les aspirations légitimes du peuple algérien à l’indépendance, un héritage littéraire et politique dont la pertinence demeure intacte dans l’Algérie contemporaine.

Mohand Seghir

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