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Après deux ans de conflit : Le Soudan au bord du gouffre humanitaire

Le Soudan a marqué mardi le sinistre anniversaire de deux années de conflit dévastateur, plongeant ce pays d’Afrique de l’Est dans ce que les Nations Unies qualifient désormais de « pire crise humanitaire au monde ».

Depuis le 15 avril 2023, date à laquelle les affrontements ont éclaté entre l’armée soudanaise dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les Forces de soutien rapide (FSR) commandées par son ancien adjoint Mohamed Hamdane Daglo, le pays s’est enfoncé dans une spirale de violence aux conséquences catastrophiques pour sa population. Les chiffres donnent le vertige : plus de 20 000 morts selon les estimations combinées des Nations Unies et des autorités locales, plus de 15 millions de personnes déplacées, soit près d’un tiers de la population soudanaise, et quelque 30 millions de Soudanais – environ deux tiers des habitants – ayant un besoin urgent d’aide humanitaire, dont 16 millions d’enfants. Face à cette situation dramatique, les organisations internationales multiplient les appels à l’action, dénonçant l’indifférence de la communauté mondiale. « La guerre a poussé le Soudan au bord du gouffre, » constate avec gravité Amy Pope, Directrice générale de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans un message vidéo publié à l’occasion de ce sombre anniversaire. « Des milliers de vies ont été perdues à cause des violences, des familles ont été déchirées et les espoirs et aspirations de millions de personnes ont été brisés par la famine, la maladie et l’effondrement total de l’économie, » poursuit-elle, dressant un tableau sans concession de la situation. L’OIM souligne particulièrement le sort des personnes déplacées qui, malgré le contexte, tentent désespérément de rentrer chez elles, uniquement pour « se retrouver dans un état de dévastation totale ». Ce constat alarmant est partagé par le Haut-Commissaire de l’ONU aux réfugiés, Filippo Grandi, qui met en garde contre les conséquences d’une poursuite de l’indifférence internationale. « Nous devons tout mettre en œuvre pour ramener la paix au Soudan. L’aide humanitaire et le soutien au développement doivent être renforcés. Continuer à détourner le regard aura des conséquences catastrophiques, » avertit-il dans une déclaration publiée lundi. M. Grandi dénonce sans détour l’attitude de la communauté internationale : « Les Soudanais sont assiégés de toutes parts : guerre, exactions généralisées, indignité, faim et autres épreuves. Ils sont confrontés à l’indifférence du monde extérieur, qui, depuis deux ans, ne s’intéresse guère à la paix au Soudan ni à l’aide à ses voisins. » La situation est particulièrement dramatique au Darfour, où les violences se sont intensifiées ces dernières semaines. Le président de la Commission de l’Union africaine, Mahamoud Ali Youssouf, a exprimé sa « profonde inquiétude face à l’escalade de la violence au Soudan, en particulier dans la région du Darfour du Nord », citant des rapports sur l’intensification des attaques des Forces de soutien rapide à El Fasher, notamment dans les camps de déplacés de Zamzam et d’Abu Shouk. « Ces attaques ont entraîné la mort de civils, y compris des enfants et des travailleurs humanitaires, » a-t-il déclaré, qualifiant ces violences de « violation grave du droit international humanitaire et des droits de l’homme ». L’Union africaine appelle à « une cessation immédiate et inconditionnelle des hostilités » et exhorte les FSR à « lever le blocus et à permettre un accès humanitaire sans entrave ». Les enfants paient un tribut particulièrement lourd dans ce conflit. Selon l’Unicef, les deux années de guerre « ont brisé les vies de millions d’enfants à travers le Soudan ». La directrice de l’agence onusienne, Catherine Russell, met en avant des chiffres effarants : les graves violations des droits des enfants « ont augmenté de 1.000% en deux ans ». Le nombre d’enfants tués ou mutilés est ainsi passé de 150 cas vérifiés en 2022 à une estimation de 2 776 pour 2023 et 2024. Les attaques contre les écoles et hôpitaux ont également connu une hausse dramatique, passant de 33 cas vérifiés en 2022 à 181 au cours des deux dernières années. Plus alarmant encore, le nombre d’enfants ayant besoin d’aide humanitaire a doublé, passant de 7,8 millions début 2023 à plus de 15 millions aujourd’hui. La crise nutritionnelle atteint des proportions catastrophiques. La famine a été officiellement déclarée dans au moins cinq lieux, dont le camp de déplacés de Zamzam au Darfour, récemment tombé sous le contrôle des FSR. Avec l’arrivée imminente de la saison des pluies et les risques d’inondations qui l’accompagnent, la situation pourrait encore s’aggraver. L’Unicef prévient que 462 000 enfants risquent de souffrir de malnutrition aiguë sévère entre mai et octobre. La dimension régionale de cette crise inquiète également les organisations internationales. L’OIM souligne que « avec la poursuite des déplacements transfrontaliers et la fragilité des situations dans les pays voisins comme le Soudan du Sud et le Tchad, le risque de déstabilisation régionale s’accroît ». Filippo Grandi abonde dans ce sens : « La stabilité de toute la région est menacée. Il existe un besoin urgent de protection humanitaire, mais aussi d’aide au développement afin que les gouvernements d’accueil puissent offrir aux réfugiés et à leurs propres populations un avenir meilleur. » Malgré l’ampleur des besoins, le financement de l’aide humanitaire reste dramatiquement insuffisant. L’OIM révèle que son plan d’intervention n’était financé qu’à hauteur de 10% en avril 2025. « Sans financement immédiat, les opérations seront gravement perturbées, et la collecte de données sera interrompue, affectant des millions de personnes qui se retrouveront privées d’une aide vitale, » prévient l’organisation, qui lance « un appel urgent à la communauté internationale pour un financement immédiat et durable afin d’intensifier ses opérations ». Amy Pope conclut son message par un appel poignant : « Le peuple soudanais ne peut se permettre d’attendre. La communauté internationale doit délivrer un message clair et uni : le peuple soudanais n’est pas oublié. » Deux ans après le début des hostilités, le Soudan se trouve donc à un carrefour critique. Sans une mobilisation internationale d’envergure et des efforts concertés pour mettre fin au conflit, le pays risque de s’enfoncer davantage dans une crise aux proportions inédites, avec des répercussions durables non seulement pour sa population mais pour toute la région. Comme le souligne l’Union africaine, « le bien-être du peuple soudanais doit rester la priorité absolue, » rappelant l’importance de « créer un environnement pacifique pour la stabilité et le développement à long terme » de ce pays meurtri par deux années d’un conflit dont on ne voit pas encore la fin.

Lyes Saïdi

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