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Assassinat d’un jeune musulman dans une mosquée en France : Double standards, racisme et islamophobie mis à nu

Aboubakar Cissé, un jeune Malien de 22 ans, a été sauvagement assassiné vendredi alors qu’il priait seul dans une mosquée du département français du Gard. L’auteur lui a asséné une cinquantaine de coups de couteau avant de le filmer agonisant. Ce crime, dont le caractère islamophobe semble évident selon les premiers éléments de l’enquête, a suscité une vague d’indignation dans la communauté musulmane et au-delà, mais également des interrogations sur la réaction des autorités face à cet acte qualifié de terroriste par certains.

Trois jours après les faits, une information judiciaire a finalement été ouverte pour « meurtre avec préméditation et à raison de la race ou de la religion », comme l’a annoncé la procureure de Nîmes, Cécile Gensac. Cette enquête sera désormais menée par un juge d’instruction du pôle criminel de Nîmes. Toutefois, beaucoup s’interrogent sur l’absence de saisine du parquet national antiterroriste (Pnat), qui restait encore « en évaluation à ce stade », laissant la main au parquet d’Alès, une décision qui a provoqué l’indignation de Mourad Battikh, avocat de la famille de la victime, pour qui il ne fait « aucun doute » que ce meurtre est « un attentat » et « une attaque de nature terroriste ». « Il est évident que le Pnat doit se saisir de cette affaire sans délai », a-t-il plaidé dans un communiqué, estimant que « la communauté musulmane doit bénéficier du même traitement que tout autre citoyen ».

Les circonstances du meurtre ne laissent guère de place au doute quant à la motivation du tueur. Selon les sources proches de l’enquête, Olivier H., un Français sans activité professionnelle et inconnu des services de police, a préparé son attaque et proféré des insultes islamophobes, parlant notamment d' »Allah de merde ». L’homme n’avait aucun lien connu avec sa victime, et les caméras de vidéosurveillance de la mosquée ont capturé l’acte dans son intégralité. Plus troublant encore, l’assassin a utilisé son propre smartphone pour filmer sa victime après l’avoir poignardée avec un couteau à longue lame.

La communauté de La Grand-Combe s’est rapidement mobilisée pour rendre hommage à Aboubakar Cissé, fidèle habitué de la mosquée. Une marche blanche a rassemblé près de 2000 personnes dimanche après-midi dans cette commune de 5000 habitants. Partie de la mosquée, la marche s’est achevée devant la mairie par une minute de silence, les participants scandant le nom d’Aboubakar. Le même jour, à Paris, un rassemblement contre l’islamophobie a été organisé place de la République, auquel s’est associée Marine Tondelier, cheffe de file des écologistes, pour qui « la banalisation de l’islamophobie chez tant de médias et politiques met en danger la vie des musulmans ».

« Retailleau avait piscine »

La réaction des autorités face à cet acte barbare a suscité de vives critiques, notamment de la part des associations de lutte contre le racisme. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, a déploré sur franceinfo « la timidité des réactions de certains responsables politiques », visant particulièrement le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Je me demande si M. Retailleau, hier, avait piscine. On ne l’a pas entendu. Il y a des personnes qui parlent souvent beaucoup au moindre fait d’actualité », a-t-il déclaré avec ironie. Sopo a notamment reproché au ministre de s’être « précipité à Nantes » après l’attaque dans le lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides qui a fait une victime, « pour raconter à peu près n’importe quoi », alors qu’en tant que ministre des cultes, face à un crime « au moins en partie motivé par la haine envers les musulmans, il y a un silence pour le moins assourdissant ».

Ce double standard dans le traitement médiatique et politique de ce crime a également été pointé du doigt par Abdallah Zekri, recteur de la mosquée de la Paix à Nîmes et vice-président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). « Du matin au soir, vous allumez la télévision, qu’est-ce que vous entendez, l’islam, les musulmans, les migrants, les OQTF, il n’y a que ça », a-t-il souligné. Il a par ailleurs expliqué que de nombreuses mosquées recevaient des menaces sans que cela ne débouche sur des enquêtes concrètes : « Les gens ne portent pas plainte, car à chaque fois on nous dit que l’auteur ne peut pas être identifié, et donc l’affaire est classée ».

Des personnalités politiques de tous bords ont néanmoins condamné ce crime. Le Premier ministre François Bayrou a dénoncé sur X « une ignominie islamophobe », tandis que Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise, a déclaré que « l’islamophobie tue. Tous ceux qui y contribuent sont coupables ». Du côté des représentants religieux, la Grande Mosquée de Paris a évoqué la possible dimension « terroriste » du meurtre. Jean-François Bour, délégué national de la Conférence des évêques de France, a pour sa part estimé qu' »une réponse ferme à la haine antimusulmane » était « urgente ».

Dominique Sopo a souligné l’importance de documenter ces actes islamophobes : « Les actes doivent être au maximum répertoriés pour qu’il y ait une visibilité de cette agressivité, de ces propos, de ces actes parfois du quotidien qui sont absolument insupportables, qui, on le voit, sont aussi le signe d’une montée d’excitation dans une partie de la société qui peut mener au crime ». L’assassinat d’Aboubakar Cissé met en lumière la persistance de l’islamophobie dans la société française et soulève des questions sur la manière dont les crimes à caractère raciste ou islamophobe sont traités par la justice et les médias.

Lyes Saïdi

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