Exposition « Filunion » à la galerie Baya : Quand l’art contemporain sublime l’unité nationale
À l’occasion de la Journée nationale de la mémoire, la Galerie Baya du Palais de la Culture Moufdi-Zakaria d’Alger accueille jusqu’au 22 mai une exposition singulière qui fait dialoguer patrimoine architectural, identité nationale et création contemporaine. « Filunion », œuvre de l’artiste plasticien Maamar Guerziz, propose une lecture inédite du paysage urbain algérien à travers près de quarante toiles réalisées selon la technique du « One line drawing », consistant à dessiner d’un seul trait continu. Cette démarche artistique, aussi exigeante que symbolique, trouve une résonance particulière avec le propos même de l’exposition : tisser le fil invisible qui relie les différentes régions d’Algérie dans une même trame identitaire et patrimoniale. Maître de conférence à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts et docteur en arts plastiques, Maamar Guerziz déploie un univers créatif où la virtuosité technique se met au service d’une vision profondément patriotique. Chaque toile, présentée dans un format uniforme de 1m x 80 cm, constitue une pièce d’un puzzle national que l’artiste assemble méticuleusement à travers cinq registres esthétiques complémentaires. Le premier volet de cette exploration visuelle s’attache à mettre en valeur les mosquées de différentes époques, érigées en symboles identitaires de chaque région. Ces édifices architecturaux, conçus et construits « selon des conceptions et avec une main d’œuvre exclusivement algériennes », deviennent sous le trait de l’artiste les gardiens d’une mémoire collective et les témoins d’un savoir-faire ancestral. Le deuxième registre, intitulé « Noir et Blanc », transcende la simple référence technique pour servir « une vision profondément artistique qui consiste à compléter la première partie en donnant plus d’éclat aux villes représentées, qui s’imposent plus facilement au regard du visiteur et deviennent ainsi plus présentes et lumineuses, particulièrement avec l’utilisation des couleurs argentées et dorées ». Cette approche chromatique épurée souligne avec force les contours architecturaux tout en leur conférant une dimension presque sacrée. L’originalité de la démarche de Guerziz se révèle pleinement dans les registres suivants qui explorent les interconnexions entre les villes algériennes. Le troisième registre, « Une ville qui accueille une autre », unit « les symboles architecturaux de deux villes dans un même dessin et dans le même élan », tandis que le quatrième et le cinquième traitent respectivement de « la ville qui complète une autre » et « une ville qui reflète une autre ». Cette mise en relation visuelle trouve son expression la plus aboutie dans un quadriptyque emblématique fusionnant les représentations d’Alger, Ghardaïa, Constantine et Tlemcen, incarnant symboliquement les quatre points cardinaux de la nation algérienne et illustrant l’idée maîtresse que « toutes les villes d’Algérie n’ont en fait qu’une seule âme ». La créativité de l’artiste ne se limite pas au seul domaine pictural mais s’étend également à une démarche linguistique originale. Maamar Guerziz propose pour ses œuvres des titres issus d’un travail d’anagrammes, de compositions lexicales et de lectures palindromiques qui viennent renforcer la dimension unificatrice de son projet. Ainsi naissent des appellations comme « Yadragh » pour Ghardaïa, « Skiba » évoquant la fusion de Skikda et Annaba, « Narhaw » pour Wahran (Oran), « Alechnekh » pour Khenchela, « Abbana » pour Annaba, « Trougout » pour Touggourt, « Afledj » pour Djelfa, « Arksib » pour Biskra, « Awachtek » pour Ketchawa, ou encore « Regland » pour Djamaâ El Kébir. Ce jeu poétique sur les toponymes algériens crée un métissage linguistique qui fait écho à la démarche plastique d’entrelacement et d’union. Au-delà de cette célébration de l’unité nationale, l’exposition n’élude pas les pages douloureuses de l’histoire. Deux toiles particulières se détachent du corpus pour condamner avec force l’injustice et la violence. « La plume de l’artiste ne manquera pas de condamner l’abjection et la barbarie de la France coloniale, rappelant ainsi, les enfûmades du Dahra et les massacres du 8 mai 1945 et dénonçant les génocides et crimes de guerre lâchement perpétrés par l’armée d’occupation sioniste contre le peuple palestinien, à travers deux toiles distinctes mais identiques dans la forme et le contenu, dominées par le blanc du linceul et le rouge du sang versé des innocents ». Ces œuvres, par leur sobriété chromatique et leur puissance évocatrice, inscrivent le travail de Guerziz dans une dimension mémorielle et politique qui dépasse le cadre strictement artistique. « Filunion » se présente ainsi comme une manifestation artistique totale où la maîtrise technique, l’inventivité formelle et la profondeur du propos se conjuguent pour offrir au public une expérience esthétique qui est aussi une méditation sur l’identité nationale. En traçant d’un seul trait les contours du patrimoine architectural algérien, Maamar Guerziz dessine en filigrane le portrait d’une Algérie une et indivisible, riche de sa diversité et forte de son unité. Son exposition, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de la commémoration de la Journée nationale de la mémoire, invite le visiteur à suivre ce fil d’Ariane artistique qui relie le passé au présent, la tradition à la modernité, et les différentes régions du pays dans une même trame narrative et visuelle.
Mohand S.