La France face à l’escalade des crimes islamophobes : La Grande mosquée de Paris accuse
La France traverse une période sombre marquée par une escalade inquiétante de la violence islamophobe qui suscite l’émoi. En l’espace d’un mois, deux crimes odieux ont endeuillé la communauté musulmane française et interpellé les pays du Maghreb sur la sécurité de leurs ressortissants dans l’Hexagone. Ces événements tragiques révèlent l’ampleur d’un phénomène qui dépasse désormais le stade des discours de haine pour basculer vers le passage à l’acte meurtrier. Le 25 avril dernier, Aboubakar Cissé, un jeune Malien de 22 ans, était sauvagement égorgé alors qu’il accomplissait ses prières dans une mosquée du Gard. Ce crime d’une barbarie inouïe avait déjà soulevé une vague d’indignation au sein de la communauté musulmane française qui avait organisé des marches de protestation pour dénoncer cet acte terroriste. Beaucoup s’interrogeaient alors sur l’identité de la prochaine victime de cette haine aveugle qui semblait s’enraciner dans une partie de la société française.
La réponse tragique est arrivée le 31 mai avec l’assassinat d’Hicham Miraoui, un Tunisien de 35 ans, abattu par balles par son voisin dans le Var. L’auteur du crime, animé par des motivations clairement racistes et islamophobes, a ensuite diffusé des vidéos sur les réseaux sociaux dans lesquelles il exprimait sa haine contre les musulmans. Cette mise en scène macabre témoigne d’une volonté délibérée de « troubler l’ordre public par la terreur », selon les termes du Parquet national antiterroriste qui s’est saisi de l’affaire. L’homme a été arrêté en possession de plusieurs armes de guerre, révélant l’ampleur de sa préparation criminelle.
La Grande mosquée de Paris, par la voix de son recteur Chems-eddine Hafiz, a exprimé sa vive condamnation de ces « actes terroristes » qui frappent successivement la communauté musulmane. « Face à cet acte terroriste, la Grande mosquée de Paris appelle à une prise de conscience urgente et nationale sur le danger des discours xénophobes, racistes et islamophobes », a déclaré le recteur dans un communiqué officiel. L’institution religieuse établit un lien direct entre ces crimes et l’atmosphère délétère entretenue par certains discours politiques et médiatiques.
« Il est temps de s’interroger sur les promoteurs de cette haine qui, dans les sphères politiques et médiatiques, sévissent en toute impunité et conduisent à des faits d’une extrême gravité », a ajouté Chems-eddine Hafiz, pointant du doigt la responsabilité des élites françaises dans la banalisation du discours islamophobe. Cette accusation directe contre les « promoteurs de la haine » résonne particulièrement dans un contexte où plusieurs personnalités politiques françaises ont multiplié les déclarations controversées contre l’islam et les musulmans.
Retailleau au banc des accusés
L’inquiétude dépasse désormais les frontières françaises pour gagner l’ensemble du Maghreb. La Tunisie, pays d’origine de la dernière victime, a vivement condamné cet « acte ignoble » et appelé les autorités françaises à garantir la sécurité de la communauté tunisienne en France. Lors d’un entretien téléphonique avec son homologue français Bruno Retailleau, le ministre tunisien de l’Intérieur, Khaled Nouri, a souligné que « les discours de haine et les appels à l’intolérance constituent souvent un terreau favorable à ce type de violences barbares ».
La réponse du ministre français de l’Intérieur soulève cependant des interrogations sur la sincérité de l’engagement des autorités françaises. Bruno Retailleau a certes assuré que « ce criminel ne représente ni la société française, ni les valeurs de la République » et que « le racisme doit être sévèrement puni », mais ses propres déclarations publiques contribuent à alimenter le climat de stigmatisation. Son slogan « à bas le voile », prononcé fin mars lors d’un rassemblement « contre l’islamisme », illustre parfaitement cette contradiction entre les déclarations officielles apaisantes et les prises de position publiques controversées.
Cette situation paradoxale révèle l’ampleur du défi auquel fait face la France dans sa gestion de la diversité religieuse. La surenchère politique autour de l’islam, sous couvert de lutte contre l’islamisme politique et la radicalisation, a fini par créer un climat irrespirable pour la communauté musulmane française, composée majoritairement de citoyens français à part entière. Ce n’est plus seulement l’immigré ou l’étranger qui est visé, mais une frange entière de la société française.
L’organisation SOS Racisme dénonce le « résultat d’un travail minutieux mené par le camp du racisme et visant à rendre légitime l’expression du racisme en mots et en actes ». Cette analyse rejoint celle de nombreux observateurs qui établissent un lien direct entre la libération de la parole raciste dans les sphères politiques et médiatiques et le passage à l’acte de certains individus radicalisés.
La publication récente par le ministère de l’Intérieur français d’un rapport intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » a encore exacerbé les tensions. La Grande mosquée de Paris a mis en garde contre les risques de stigmatisation, refusant « que la lutte légitime contre l’islamisme ne devienne un prétexte pour stigmatiser les musulmans et servir des agendas politiques particuliers ». L’institution dénonce un discours politique qui tend à « construire un problème musulman » et à normaliser « un discours discriminatoire de plus en plus décomplexé ».
Salim Amokrane