Économie

Retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat : Quelle conséquence pour le marché mondial du gaz ?

L’adoption tardive des règles de l’Article 6 de l’Accord de Paris lors de la COP29 en novembre dernier devait marquer un tournant décisif pour le marché mondial du carbone et, par extension, pour l’industrie gazière internationale. Pourtant, selon une analyse détaillée publiée par le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), cette avancée historique risque d’être compromise par les récents reculs politiques observés dans plusieurs économies développées, notamment le retrait annoncé des États-Unis de l’Accord de Paris.

Dans son rapport d’expertise signé par Masoumeh Moradzadeh, le GECF dresse un constat alarmant sur l’impact de ces bouleversements géopolitiques sur l’écosystème énergétique mondial. L’organisation, qui représente les intérêts des principaux exportateurs de gaz de la planète, ne mâche pas ses mots en dénonçant l’inconsistance des politiques climatiques occidentales et leurs conséquences sur la transition énergétique mondiale.

Le mécanisme de crédit carbone de l’Accord de Paris, baptisé PACM (Paris Agreement Crediting Mechanism), était censé révolutionner les échanges internationaux d’émissions en permettant aux pays d’utiliser des compensations carbone pour atteindre leurs objectifs climatiques nationaux. Après près d’une décennie de négociations complexes, les règles ont finalement été adoptées, ouvrant la voie à un marché carbone mondial harmonisé susceptible de générer jusqu’à 1 000 milliards de dollars de flux financiers annuels d’ici 2050.

Pour le secteur gazier, ces évolutions représentaient une opportunité stratégique majeure.

Le marché du carbone, une opportunité

Le GECF estime qu’un prix du carbone oscillant entre 25 et 75 dollars par tonne de CO2 pourrait considérablement accélérer la transition du charbon vers le gaz naturel, particulièrement dans la région Asie-Pacifique où la demande énergétique explose. L’organisation calcule qu’un prix optimal de 60 dollars par tonne maximiserait la consommation de gaz naturel, entraînant une augmentation cumulative de plus de 2 500 milliards de mètres cubes d’utilisation gazière et évitant l’équivalent de 12 000 millions de tonnes de charbon entre 2026 et 2050 dans cette seule région.

Cependant, cette perspective prometteuse se heurte désormais à une réalité politique décevante. Le GECF pointe du doigt l’attitude contradictoire des nations développées qui, après avoir prêché la transition énergétique pendant des années, font aujourd’hui marche arrière sur leurs engagements climatiques. Le retrait américain de l’Accord de Paris constitue selon l’organisation un signal particulièrement négatif, d’autant que les États-Unis représentent l’une des plus importantes économies mondiales et l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre.

Cette volte-face américaine sape la crédibilité du système international de tarification carbone en fragmentant le marché mondial et en limitant la demande de crédits carbone. Sans la participation active des États-Unis, les marchés carbone américains ne peuvent être formellement intégrés aux mécanismes internationaux de l’Article 6, réduisant considérablement l’échelle et la liquidité du PACM. Le GECF souligne que cette fragmentation affaiblit la convergence des prix mondiaux du carbone et ralentit les progrès vers les objectifs climatiques.

Protectionnisme déguisé !

L’organisation dénonce également l’hypocrisie de certains pays développés qui, tout en se retirant des accords climatiques, continuent d’imposer des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières comme celui de l’Union européenne. Ces dispositifs, perçus par le GECF comme des formes de protectionnisme déguisé, pénalisent les pays en développement et les exportateurs de gaz qui n’ont pas les moyens de mettre en place rapidement des systèmes de tarification carbone domestiques aussi sophistiqués.

Le rapport du GECF insiste sur le fait que le gaz naturel demeure indispensable à la transition énergétique mondiale, particulièrement dans les pays en développement qui ne disposent ni des infrastructures ni des capacités d’investissement nécessaires pour basculer directement vers les énergies renouvelables. L’organisation argue que les énergies renouvelables, malgré leurs progrès technologiques, ne se déploient pas assez rapidement pour répondre au double défi de la demande énergétique croissante et du remplacement du charbon.

Face à ces défis, le GECF appelle à une approche plus pragmatique de la décarbonation, privilégiant la substitution charbon-gaz comme solution immédiate et rentable. L’organisation souligne que cette transition reste plus accessible financièrement que le passage direct du charbon aux renouvelables, tout en offrant des réductions d’émissions substantielles. Le gaz naturel, en tant que combustible fossile le plus propre et source d’énergie dispatchable, conserve selon le GECF un rôle crucial pour maintenir la fiabilité et la stabilité des systèmes énergétiques pendant l’expansion des énergies intermittentes.

L’avenir du marché mondial du gaz naturel dépendra donc largement de la capacité des mécanismes internationaux comme le PACM à survivre aux turbulences géopolitiques actuelles et à maintenir des signaux prix suffisamment élevés pour incentiver la transition énergétique. Sans cette stabilité politique et réglementaire, les investissements dans les technologies de captage et stockage de carbone, essentielles pour décarboner davantage la filière gazière, risquent de stagner, compromettant les ambitions climatiques mondiales.

Samira Ghrib

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