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Impact sur l’économie algérienne des mutations énergétiques mondiales

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien Directeur d’études ministère de l’Énergie et de la Sonatrach et président de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne 2019/2021.

La Banque d’Algérie vient de dresser un bilan relativement objectif sur le bilan de Sonatrach pour 2024.

Selon les données officielles du dernier forum du gaz tenu à Alger et de plusieurs conseils des ministres (source APS), les réserves de pétrole de l’Algérie sont estimées entre 11 et 12 milliards de barils, celui du gaz traditionnel environ 2 500 milliards de mètres cubes gazeux. L’Algérie possède le troisième réservoir mondial de pétrole et de gaz de schiste, mais également d’importantes potentialités dans le solaire et l’hydrogène, mais devant également miser sur l’efficacité énergétique et revoir son modèle de consommation énergétique.

1. Les données de la Banque d’Algérie

Dans le rapport de la BA qui vient de paraître cette fin septembre 2025, les exportations globales des hydrocarbures en 2024 ont été caractérisées par une baisse de 5% en volume et 10% en valeur pour se stabiliser à 45,2 milliards de dollars contre 50,4 milliards en 2023 et 60 milliards de dollars en 2022. À ce montant du chiffre d’affaires, pour le profit net devant déduire les charges, il faut déduire le transfert de bénéfices pour les entreprises étrangères opérant dans le secteur des hydrocarbures où, en 2024, le montant total des bénéfices transférés a atteint 3,08 milliards de dollars, réparti entre le pétrole brut (2,18 milliards de dollars), le gaz naturel (381 millions de dollars), le GPL (273 millions de dollars) et les condensats (241 millions de dollars). Cette baisse des exportations, selon le rapport de la Banque d’Algérie, s’explique par le ralentissement de la demande mondiale, la baisse des prix qui se sont contractés de 8,1% et de 1,5% pour les hydrocarbures liquides, mais également par, je cite le rapport, « le recul de l’activité d’extraction des hydrocarbures et des activités annexes, une contraction de la valeur ajoutée de 2,9% en 2024 contre une croissance de 4,9% en 2023 ». Les prix pour Sonatrach au niveau international 2024 ont atteint, selon la BA, 82,0 dollars le baril. Le prix du gaz naturel liquéfié (GNL) a diminué en 2024, passant de 14,3 dollars le million de BTU (MMBtu) en 2022 à 12 dollars en 2023 et à 10,5 dollars en 2024 (pour le gaz par canalisation, plus de 70% des exportations, il faut encore soustraire environ 2 à 3 dollars de moins). Si, selon l’AIE, la moyenne du cours du pétrole serait entre 66 et 67 dollars le Brent pour 2025 et pour le gaz 30 dollars le mégawatt-heure, et si Sonatrach maintient le même volume d’exportation qu’en 2024, les recettes de Sonatrach seront inférieures à 40 milliards de dollars fin 2025, alors que le déficit budgétaire dépasse, selon la loi des finances 2025, 63 milliards de dollars.

Plus précisément, le rapport de la Banque d’Algérie mentionne qu’en 2024, en volume, les exportations de pétrole brut de l’Algérie en 2024 ont été estimées à 145 millions de barils par an et les exportations de gaz naturel à 34 à 39 milliards de mètres cubes par an. Les exportations algériennes en gaz naturel durant les années 2023 et 2024 sont presque équivalentes, mais la valeur des exportations a été de 13,04 milliards de dollars en 2024 contre 16,4 milliards pour 2023, représentant 28,8%. Cette baisse de la valeur des exportations est due à la baisse des prix sur le marché international. Idem pour les exportations du pétrole brut avec un montant de 11,89 milliards de dollars en 2024 contre 12,15 milliards de dollars en 2023, soit 26,3% des recettes totales. Pour les autres catégories, nous avons les produits raffinés d’un montant de 9,17 milliards de dollars, les exportations de gaz de pétrole liquéfié (GPL) 3,31 milliards de dollars et les exportations de condensats 1,72 milliard de dollars.

Mais ce que l’on ne doit jamais oublier, c’est la forte consommation intérieure tant du pétrole que du gaz. Sans compter qu’il faut injecter 15 à 20% de la production dans les puits pour éviter leur épuisement, près de 45 à 50% est la consommation intérieure liée aux subventions des produits énergétiques (voir étude réalisée sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul, assisté des cadres dirigeants de Sonatrach et du bureau d’études américain Ernst & Young, 8 volumes, 680 pages devant députés à l’APN en 2008 pour solutionner ce problème, dossier gelé à ce jour).

Ainsi, en 2024, la consommation intérieure d’énergie en Algérie a atteint 55 millions de tonnes équivalent pétrole avec une consommation de gaz naturel s’élevant à près de 55 milliards de mètres cubes, absorbée majoritairement par la production électrique et la demande interne. Cette forte consommation, bien que stratégique pour la stabilité et le coût abordable de l’énergie pour les Algériens, sacrifie une partie importante du potentiel d’exportation du pays.

2. Corroboration avec les données de l’ONS

Ces données, en tendance, corroborent celles de l’ONS, institution de la statistique du gouvernement pour qui il y a creusement du déficit commercial. Pour le premier trimestre 2025, le déficit a été de 269 milliards de dinars, s’expliquant par une hausse de 19,4% des importations et une chute de 5,8% des exportations comparé à la même période 2023. Au même rythme, le déficit commercial serait de 1 076 milliards de dinars, soit au cours de 130 dinars un dollar, 8,27 milliards de dollars, montant auquel il faudra ajouter les importations de services en devises (renvoyant à l’exode massif de cerveaux) qui ont été en 2024 d’environ 6 milliards de dollars, car le document le plus fiable, ce n’est pas la balance commerciale mais la balance des paiements. C’est que nous avons des exportations d’hydrocarbures certes dominantes mais en diminution et des exportations hors-hydrocarbures marginales qui ont atteint 5,81 milliards de dollars en 2022, 4,77 milliards de dollars en 2023. En 2024, la baisse a continué avec 3,56 milliards en 2024. Durant le premier trimestre 2025, elles ont atteint 885 millions de dollars contre 982 millions de dollars par rapport à la même période de 2023, ce qui donnerait un montant en 2025 inférieur à celui de 2024, une baisse des exportations hors hydrocarbures, y compris les dérivés d’hydrocarbures inclus pour 67%, de près de 40% par rapport à 2022.

Car pour pouvoir exporter dans ce monde impitoyable où la concurrence est vivace, il faut, loin des circuits bureaucratiques, des décisions se prenant en temps réel, des entreprises compétitives en termes de coût et qualité. Se pose cette question : quel impact de la situation de Sonatrach sur l’économie algérienne, comme vient de le rappeler le rapport du 30 juin 2025 du FMI qui reste fortement dépendante des hydrocarbures ? Cette dépendance expose le pays aux variations des prix internationaux, limitant la stabilité financière qui assurent 40% des recettes publiques et près de 95% des exportations. Les 5% restant, selon les statistiques officielles du gouvernement (ONS et douanes), sont constitués à plus de 67% de dérivés d’hydrocarbures, donnant hydrocarbures brut et dérivés plus de 98%.

En cas de chute des recettes de Sonatrach, il y a risque de tensions budgétaires, une augmentation de la dette publique à moyen terme, et ce accentué par l’incertitude mondiale persistante et la volatilité des cours des hydrocarbures qui devraient freiner les exportations et l’investissement, contribuant à creuser le déficit courant. La loi de finances 2025 prévoit, reflet de la baisse des exportations et de l’accroissement des importations, y compris les services souvent oubliés, les recettes budgétaires ont été estimées à 8 523,06 milliards de DA et des dépenses de 16 794,61 milliards de DA, ce qui résulte en un déficit budgétaire de 8 271,55 milliards de dinars, donnant un déficit budgétaire au cours de 130 dinars un dollar de 63,64 milliards de dollars.

Bien que pour 2025, le gouvernement table sur un taux de croissance de 4,5%, alors que pour la Banque mondiale pour 2025 ce taux devrait baisser pour s’établir à 3,3% et pour le FMI 3,4%, que les réserves de change s’établissent à 67,8 milliards de dollars selon le FMI qui ne mentionne pas si au sein de ce montant est comptabilisé les 173 tonnes d’or évaluées au cours de fin décembre 2024 selon les fluctuations entre 18 et 20 milliards de dollars, ainsi que les DTS déposés au FMI, couvrant environ 14 mois d’importations fin 2024, il y a lieu d’analyser les incidences sociales et sécuritaires de la baisse des recettes de Sonatrach :

Premièrement, les litiges avec l’Europe, principal partenaire de l’Algérie, plus de 50% des échanges commerciaux, qui accuse un déficit commercial avec l’Algérie en incluant les hydrocarbures, ayant eu recours à l’arbitrage international. L’Europe devant diminuer, selon les rapports de la Commission de Bruxelles, horizon 2030, ses importations de pétrole et gaz du fait de sa politique de transition énergétique à travers le plan REPowerEU, efficacité énergétique et énergies renouvelables, et imposant dès 2027 des normes pour la protection de l’environnement. En 2024, Sonatrach devant s’y adapter, les renouvelables ont représenté près de 47% de l’électricité européenne.

Deuxièmement, la taxe décidée par le président américain de 30% qui concerne les hydrocarbures (bruts ou raffinés), les produits sidérurgiques, les engrais azotés et les ciments, ayant certes un impact relativement faible puisque les échanges commerciaux entre l’Algérie et les USA sont en 2024 de 3,5 milliards de dollars. Les exportations américaines vers l’Algérie étant de 1 milliard de dollars, soit une baisse de 15,5% par rapport à 2023, et les importations américaines de l’Algérie de 2,5 milliards de dollars, en recul de 18,7%, une balance en faveur de l’Algérie.

Troisièmement, l’accord ferme UE-États-Unis de juillet 2025 ayant fixé un objectif de 250 milliards de dollars d’achats annuels d’énergie américaine, sur un volume de 750 milliards de mètres cubes gazeux sur trois ans, incluant le GNL qui est en hausse, le premier fournisseur de GNL de l’Europe, près de 45% de ses importations en 2024, sur une facture énergétique totale de l’UE qui s’est élevée à environ 435,5 milliards de dollars en 2024, selon l’infographie du Consilium europa.eu. L’Algérie dans sa future stratégie devra tenir compte, sans compter les pays du Golfe dont l’Arabie Saoudite, les Émirats et le Qatar, des nombreux contrats signés récemment, dont 8 milliards de dollars en 2023 entre la Libye et le groupe italien l’ENIE (premier réservoir de pétrole en Afrique, plus de 44 milliards de barils), et l’entrée de nombreux producteurs en Afrique : le Nigeria, le Mozambique (deuxième réservoir de gaz en Afrique, 5 000 milliards de mètres cubes gazeux après le Nigeria), le Gabon, et le couple Mauritanie-Sénégal risquant d’impacter les exportations algériennes dans le futur.

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