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La Cour des comptes souligne des progrès mais pointe d’importantes lacune : Le système de santé est-il armé face aux crises ?

L’Algérie dispose d’un cadre juridique solide et d’infrastructures renforcées pour faire face aux crises sanitaires, mais la coordination intersectorielle, la numérisation des données et la mise en œuvre opérationnelle restent insuffisantes, selon le rapport 2025 de la Cour des comptes qui pointe également les lacunes du plan anticancer 2015-2019.

L’évaluation de la Cour des comptes portant sur la résilience du système national de santé dresse un bilan contrasté. Si des progrès significatifs ont été accomplis, des défis majeurs persistent en matière de coordination intersectorielle et de mobilisation rapide des ressources. Le rapport couvre la période 2020-2022 et s’inscrit dans l’évaluation de la cible 3-d des objectifs de développement durable visant à « renforcer les moyens en matière d’alerte rapide et de gestion des risques sanitaires ». Le rapport pointe d’abord du doigt un arsenal juridique incomplet. L’Algérie s’est dotée d’un cadre juridique adapté avec l’adhésion au Règlement sanitaire international en 2013 et la loi relative à la santé de 2018. Néanmoins, la Cour relève une lacune majeure : « depuis sa promulgation en 2018, 15 textes ont été publiés sur 42 textes réglementaires prévus ». Cette publication partielle freine la mise en œuvre effective, notamment pour le calendrier des vaccinations obligatoires qui n’a toujours pas été publié. La Cour souligne aussi que le système s’appuie sur de nombreux acteurs coordonnés par les ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Intérieur et de la Solidarité. L’Institut Pasteur a joué un rôle crucial pendant la COVID-19, permettant de passer d’un seul laboratoire de dépistage à 42 en 2020. L’Agence nationale de sécurité sanitaire, créée en 2020, a élaboré une stratégie nationale 2025-2030.

Toutefois, la Cour constate que « les missions dévolues aux SEMEP ne sont pas suffisamment clarifiées, bien qu’elles constituent le cœur de métier du système de prévention nationale ». Ce n’est qu’en 2024 qu’une unité dédiée à la surveillance épidémiologique a été instituée.

Six comités intersectoriels ont par ailleurs été installés selon l’approche « une seule santé », couvrant les menaces épidémiques, la résistance aux antimicrobiens, les zoonoses et les maladies à transmission hydrique. Toutefois, le comité principal « n’a pas établi de rapport annuel d’activités depuis sa création ». Plus préoccupant, la Cour relève « l’absence d’un comité opérationnel intersectoriel pour les interventions aux urgences de santé », pourtant prévu par les textes. Le ministère n’a pas non plus mis en place de « plateforme numérique pour communiquer les risques et partager les mesures prises ».

Des ressources financières sans flexibilité

Le rapport met également à l’index la gestion des financements du secteur. Il rappelle ainsi que le budget du ministère de la Santé a progressé de 470 milliards de dinars en 2020 à plus de 642 milliards en 2022. Face à la pandémie, les crédits ont augmenté de 40%, dont 89,54% destinés à la COVID-19. Mais la Cour pointe une anomalie : « aucune dépense n’a été effectuée sur le compte d’urgence durant 2020-2022, en dépit des recettes cumulées totalisant 32,474 milliards de dinars ». L’arrêté d’application n’a été publié qu’en février 2023, soit trois ans après la réouverture du compte. Le rapport conclut que « le financement des urgences sanitaires manque de flexibilité pour la mobilisation rapide des ressources ». La Cour a également examiné les performances de l’auto-évalution dans le secteur, soulignant que l’auto-évaluation 2023 montre des résultats de 80% pour la surveillance, la gestion des urgences et les zoonoses. L’évaluation externe avec l’OMS en 2022 reconnaît que « le gouvernement algérien a engagé beaucoup d’efforts pour le renforcement des capacités ». Toutefois, elle note que « ces mesures n’ont pas été suffisamment communiquées au niveau international » et souligne la nécessité de « normaliser la collaboration entre les laboratoires au niveau du contrôle sanitaire aux frontières ».

L’un des défis majeurs concerne le système d’information du secteur souligne le rapport. Malgré l’existence d’applications, « la qualité et l’analyse des données restent insuffisantes ». Plus problématique : « le système du secteur de la santé n’est pas relié avec les systèmes des acteurs concernés par la prévention des risques sanitaires ». Pour la santé animale, les données sont collectées « au moyen de supports imprimés et scannés », sans base commune. Une stratégie nationale de numérisation a été lancée en 2022, incluant des plateformes pour les alertes épidémiologiques et le suivi des vaccinations.

Plan anticancer : une mise en œuvre décevante

Sans un autre chapitre, la Cour se penche sur la gestion du plan national cancer 2015-2019, lequel illustre, selon elle, les difficultés d’application des politiques de santé publique. La Cour des comptes rappelle que les autorités ont mobilisé 300 milliards de dinars dans la lutte contre le cancer, mais elle émet des réserves sur ce chiffre.

« L’estimation avancée de 300 milliards de DA (2,3 milliards de dollars au taux de change actuel) pour 2015-2019, sans fondement précis, ne permet pas d’évaluer correctement l’exécution financière du plan ni d’identifier les écarts entre prévisions et réalisations ». La Cour pointe de lourds dysfonctionnements : lenteur administrative, faible consommation des crédits d’équipement, retards dans la livraison des équipements et insuffisance chronique du personnel. Les centres de lutte contre le cancer, « des années après leur ouverture, ne sont pas entièrement mis en service », certains services essentiels demeurant inopérants. Le déficit en ressources humaines reste critique, avec des établissements ne couvrant en moyenne que 60% de leurs besoins. Les délais pour obtenir un rendez-vous de radiothérapie dépassent généralement six mois au Centre Pierre et Marie Curie d’Alger, symbole d’un système saturé face à l’augmentation continue des cas de cancer.

Malgré des efforts en construction et équipement des centres de lutte contre le cancer, « dans plusieurs domaines clés, la majorité des mesures préconisées n’ont pas connu de mise en œuvre effective ». Les lacunes concernent la lutte contre le tabagisme, le dépistage organisé, la modernisation des structures de diagnostic et « l’amélioration de la chaîne des soins, en particulier la chirurgie carcinologique, l’oncologie médicale et pédiatrique, la pharmacie oncologique et la radiothérapie ». La Cour souligne que « l’atteinte des objectifs requiert des améliorations dans le pilotage et le suivi, notamment à travers une implication active et coordonnée des différentes parties prenantes ».

Quatre recommandations prioritaires

La Cour formule quatre recommandations essentielles. D’abord, la publication des textes réglementaires d’application des lois sur la santé et la santé vétérinaire. Ensuite, l’activation effective de la coordination sectorielle « en mettant l’accent sur l’échange concret d’informations entre les secteurs ». Puis, le renforcement des observatoires régionaux de santé et des laboratoires de surveillance « compte tenu de leur importance dans la surveillance épidémiologique ». Enfin, le développement d’une « plateforme numérique interopérable permettant la collecte, le partage et l’analyse rapide des données épidémiologiques ».

Le rapport dessine ainsi le portrait d’un système en transition, disposant d’atouts certains mais devant surmonter des obstacles organisationnels pour atteindre ses objectifs de résilience face aux crises sanitaires.Malik Meziane

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