Les syndicats dénoncent la vie chère et l’aggravation de la crise sociale : Le Maroc assis sur une bombe sociale
La protestation contre l’aggravation de la crise sociale, la vie chère et la dégradation vertigineuse du pouvoir d’achat reprend de plus belle au Maroc.
Des sit-in ont été organisés dimanche dans tout le royaume à l’appel de la Confédération démocratique du travail (CDT, gauche) pour dénoncer la récente envolée des prix des denrées alimentaires et du carburant, source de grogne populaire. Des groupes de militants de la CDT se sont rassemblés dans plusieurs villes à l’instar de Rabat et Casablanca. Craignant d’être emporté par la grogne populaire, le Makhzen a sorti la matraque et empêché les marches prévues d’avoir lieu. Programmés depuis plusieurs jours, les défilés contre la vie chère se sont transformés en sit-in devant les sièges des sections locales de la CDT « à la suite de la décision des autorités d’interdire les marches », a précisé à la presse Rajae Kassab, membre du bureau exécutif de la CDT.A Rabat, plusieurs dizaines de manifestants, encerclés par les forces de l’ordre, ont scandé des slogans contre « la dégradation du pouvoir d’achat ». « Nous sommes venus (…) pour alerter les responsables sur la situation sociale tendue », a également expliqué à la presse le syndicaliste de la CDT, Rachid Lemhares. Othmane Baqa, secrétaire général de la CDT à Rabat, pointe lui aussi la responsabilité du gouvernement. « Ces politiques ont fermé les yeux sur les grands agriculteurs, les grands commerçants, ont exporté la majorité des légumes et des fruits. Et le citoyen marocain, qui a produit ces richesses, voit des prix exacerbés quand il va au marché. Les politiques publiques mettent en danger la sécurité alimentaire de la nation marocaine », a-t-il dénoncé. La flambée ces derniers jours des prix des légumes, des fruits et de la viande a soulevé les vives critiques des syndicats, de l’opposition parlementaire et des médias locaux. L’inflation a atteint un pic de 8,3% à la fin 2022. Par exemple, le prix de la viande rougede 70 dirhams le kilo (environ 7 euros) est passé à 110 dirhams (environ 11 euros) en l’espace de quatre mois. La situation est intenable pour la majorité des Marocains qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cette situation fait du Maroc une véritable bombe sociale qui peut exploser à n’importe quel moment. Décrié de toutes parts, le gouvernement marocain qui a pris un virage ultralibéral ne veut pas changer de cap.
Monopoles et conflits d’intérêts
Le gouvernement marocain « n’a pas de vision » pour corriger les déséquilibres du marché et « n’a pas la volonté » de lutter contre le monopole et la spéculation, qui a entraîné une aggravation de la situation sociale des Marocains et une augmentation de leur vulnérabilité et pauvreté, averti à ce sujet l’Observatoire de l’action gouvernementale. Dans un rapport relayé au début du mois par des médias locaux, cet observatoire a indiqué que « l’inflation a atteint des niveaux sans précédent au Maroc, ce qui a entraîné une aggravation de la situation sociale des Marocains et une augmentation de la vulnérabilité et de la pauvreté ».
Le rapport sur l’inflation et les prix élevés a noté que « le gouvernement n’avait aucune vision concernant la résolution et la correction des déséquilibres structurels dont souffre le système d’approvisionnement des marchés marocains en divers produits et matériaux ». La même source a relevé également « le manque de volonté du gouvernement de lutter contre le monopole et la spéculation, alors que ses membres et composantes reconnaissent l’existence de ces pratiques et leur responsabilité dans l’aggravation de la situation, en plus de leur refus de s’attaquer au problème du monopole en ce qui concerne notamment le carburant ». L’observatoire en question a souligné aussi « l’absence de la vision prospective nécessaire pour anticiper la recherche de solutions aux crises, et les atermoiements injustifiés dans la recherche de solutions appropriées pour prévenir l’aggravation de la crise des prix élevés, notamment en ce qui concerne les denrées alimentaires ».
L’on a évoqué à ce titre la crise liée à la viande et au lait qui a été soulevée au niveau du gouvernement il y a plus d’un an, mais, d’après le rapport, ce dernier « a suspendu la recherche d’une solution jusqu’à ce que la crise s’aggrave et que ses effets affectent le pouvoir d’achat des citoyens ». La même source a relevé « l’absence de toute vision de réforme du système de commercialisation des produits alimentaires, qui comprend les marchés de gros, ce qui aggrave la crise des prix élevés ».
Chômage endémique et conditions de travail désastreuses
Parallèlement au problème de la vie chère, le Maroc enregistre des taux très élevés de chômage. Une association marocaine a d’ailleurs dénoncé au début du mois la détérioration « accélérée » des conditions de travail dans lesquelles évoluent plus de 2 millions d’ouvriers et la propagation du phénomène des usines dites « clandestines », mais tolérées par les autorités qui cautionnent la violation des droits des travailleurs. Dans un communiqué publié à l’occasion du deuxième anniversaire de la tragédie de Tanger, qui a coûté la vie à 28 ouvriers dans un atelier de textile, le Réseau Jonction pour la défense des droits des travailleurs a critiqué vertement « la détérioration accélérée des conditions de travail et la propagation du phénomène des usines dites secrètes, au vu et au su des autorités qui cautionnent la violation des droits des travailleurs ».
Le réseau regrette le fait que le phénomène révélé par la tragédie de Tanger « n’ait reçu aucune attention de la part des autorités concernées », car, selon la source, des usines similaires existent toujours, « réparties par centaines dans les grandes villes, où les différentes autorités tolèrent l’horrible détérioration des conditions de travail, les violations des droits des travailleurs et la menace pour leur sécurité et leur vie, sous prétexte de créer des opportunités d’emploi ». Le réseau confirme en outre que « la politique de l’Etat en matière d’emploi n’avait pas changé après le drame, car les dispositions visant à prévenir les risques professionnels et préserver la santé et la sécurité sur les lieux de travail sont incomplètes et l’appareil de contrôle faible, sinon inefficace ». Il faut savoir qu’au Maroc, le secteur informel représente 20% du produit intérieur brut. Au moins 2,4 millions de Marocains travaillent dans des conditions désastreuses, sans sécurité sociale, sans assurance médicale, sans plan de retraite et sans aucune protection juridique, d’après les rapports officiels.
Khider Larbi