ContributionDébats

Face aux turbulences de de l’économie mondiale : Les principaux déterminants du cours du pétrole et leurs impacts sur l’économie algérienne

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur de universités, expert international – Ancien directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach, membre de plusieurs organisations internationales -Président de la commission transition énergétique des 5+5 + Allemagne (2019).

Avec leurs dérivées, les hydrocarbures brut et semi brut représentent environ 98% des recettes de l’Algérie en devises. D’où la nécessité de comprendre les déterminants du cours du pétrole.

Selon le agences Reuters et l’AFP , dans un environnement instable, l’OPEP+ devrait maintenir les quotas actuels jusqu’à la fin 2023, ne prévoyant pas de réductions supplémentaires de la productionpour soutenir les prix, malgré la récente chute des prix du pétrole compte tenu du niveau élevé d’incertitude qui règne sur les marchés mondiaux et de la croissance économique mondiale, notamment causé par les inquiétudes concernant la santé des secteurs bancaires américain et européen. L’Opep+ maintiendra donc, selon ls mêmes sources, la réduction de la production de 2 millions de barils par jour conformément à l’accord d’octobre 2022. Le prix du pétrole connaît d’importantes fluctuations. Hier, vers 09H20 GMT, le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en mai prenait était coté à 75,47 dollars. Le WTI américain était à 75,42 dollars. Pour le prix sur le marché spot du gaz naturel qui revient presque au niveau de janvier 2021, selon la revue usine nouvelle devrait se négocier entre 50/60 dollars le mégawattheure pour l’année 2023 contre 300 dollars au moment du conflit en Ukraine. Le gaz était coté entre février et mars 2023 entre 48/ 52 dollars. Par exemple, le prix du MWh en France sur le marché du PEG en février 2023 est de 50, 678 euros le MWh. Cela a un impact sur les équilibres macro-économiques etsociaux de l’Algérie. Avec les dérivées, les hydrocarbures brut et semi brut représentent environ 98% des recettes en devises. D’où la nécessité de comprendre les déterminants du cours du pétrole lesquels sont au nombre de huit.

Les déterminants des cours du brut

Premièrement, l’élément central de la détermination du prix du pétrole est la croissance de l’économie mondiale et les tensions géostratégiques ainsi que des facteurs exogènes comme actuellement en mars 2023 la crise bancaire. En témoigne l’impact sur le cours des hydrocarbures et la croissance de l’économie mondiale de la faillite, aux USA des banques liées au monde de la crypto, secteur partiellement régulé qui est depuis le théâtre d’une série de scandales, entre faillites de banques ou plateformes poussant les régulateurs à chercher des solutions pour protéger les particuliers de fraudes. Il y a eu la faillite de la Silvergate Bank, spécialisée dans les crypto monnaies, le 9 mars 2023 , puis, le 24 mars celle de la Silicon Valley Bank (SVB), la “banque de la tech” et, enfin, de Signature Bank, également proche du monde des cryptos, le 12 mars. La Signature Bank qui disposait de 110 milliards de dollars d’actifs et de 88 milliards de dollars de dépôts et la SVB de 173 milliards de dollars de dépôts et ses actifs étaient estimés à 209 milliards de dollars, ce qui en faisait la seizième banque des Etats-Unis. Pour éviter la crise, la Fed a prêté environ 2 milliards de dollars au secteur bancaire. En Europe UBS a accepté de racheter Crédit Suisse, suite à sa faillite pour trois milliards de francs suisses (3,04 milliards d’euros) , selon le Financial Times qui compte parmi les 30 plus importantes banques du monde afin d’éviter un impact systémique, la Banque nationale suisse (BNS), ayant accepté de débloquer des liquidités pour 100 milliards de dollars en faveur de Crédit Suisse dans le cadre de l’accord. Cependant, ces mesures n’ont pas empêché un effet de contagion. Après les USA et la Suisse , touchés par des faillites entre le 2 et le 25 mars 2023, la Zone euro a été touchée par cette crise comme le démontrent les difficultés de la Deutsche Bank qui le 24 mars 2023 a perdu en clôture -8,5% entraînant dans sa chute à Paris la Société générale qui a perdu – 6,13% et BNP Paribas – 5,27% .Les principaux dirigeants européens se veulent rassurant car face au regain de stress sur les marchés, la présidente de la Banque centrale européenne et le chancelier allemand ont assuré le mars que les banques dans la Zone euro étaient robustes et disposaient de positions solides en termes de capital et de liquidités . Selon bon nombre d’experts nous sommes encore loin du scénario de la banque Lehman Brothers, qui a fait faillite alors qu’elle disposait de plus de 600 milliards de dollars d’actifs et était surtout l’une des premières banques d’affaire mondiale. A l’époque, presque toutes les banques de la planète étaient clientes de Lehman Brothers, d’où un effet domino quasiment immédiat qui s’en est suivi. D’où l’optimisme mesuré d’une relance de l’économie mondiale en 2023, mais aucun expert ne peut prévoir ce qui peut se passer au-delà de 2025, du fait d’importantes nouvelles mutations du modèle de consommation énergétique et des impacts externes imprévisibles.

Deuxièmement, il y a le respect des accords de l’OPEP+. L’OPEP représente environ 35% de la production commercialisée mondiale et si l’on inclut l’OPEP+ plus de 50% de la production de pétrole, le plus gros producteur étant la Russie . Au sein de l’OPEP, l’Arabie saoudite est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l’offre mondiale, et donc sur les prix, tout dépendant d’une entente l’Arabie saoudite, la Russie dans le cadre de l’OPEP+ pour déterminer le prix plancher. Pour le Gaz il est utopique pour l’instant de parler d’un marché mondial de gaz, plus de 65% étant des marchés régionaux segmentés se faisant par canalisation, mais avec une percée croissante du GNL.

Troisièmement, on doit tenir compte du poids des USA qui sont l’un des plus grands producteurs mondiaux d’hydrocarbures grâce au pétrole et gaz de schiste. Du côté de l’offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévu de la production de pétrole (non conventionnel) aux USA qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à un niveau fluctuant entre 8,5 et plus de 10 millions de barils jour , où les gisements marginaux les plus nombreux deviennent rentables à un cours du baril supérieur à 60 dollars. Les Etats-Unis, importateur par le passé, sont devenus le plus grand producteur de pétrole brut (tenant compte de la consommation intérieure) devant l’Arabie saoudite et la Russie. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de gaz naturel liquéfié (GNL). 30 projets sont en cours de réalisation, grâce au gaz de schiste pesant ainsi sur le marché mondial du GNL.

Quatrièmement, l’on doit tenir compte du conflit en Ukraine qui a bouleversé toute la carte énergétique avec la décision du G7 plus l’Australie de plafonner prix du pétrole russe par voie maritime à 60 dollars le baril et les dérivées du pétrole russe à compter de février 2023, ainsi que la décision récente de la commission européenne de plafonner le prix du gaz à 180 dollars le mégawattheure. Certes, ces plafonnements n’ont de chance de succès que si ces prix se rapprochent de ceux du marché. Mais cela remet en cause la stratégie expansionniste russe en direction de l’Europe à travers le North Stream et le South Stream d’une capacité de plus de 125 milliards de mètres cubes gazeux pour approvisionner l’Europe, plus de 45% avant les tensions, le North Stream, les livraisons de gaz russe en direction de ‘l’Europe ayant fortement baissé en 2022 de plus de 46%, expliquant d’ailleurs les tensions énergétiques en Europe. La Russie se tourne actuellement vers l’Asie et vend son gaz à la Chine et à l’Inde à des prix préférentiels. Selon l’AFP, les présidents russe et chinois sont parvenus mardi dernier à un accord sur le gigantesque projet de gazoduc Force de Sibérie 2, afin de réorienter l’économie russe vers l’Asie face aux sanctions internationales. Avec la mise en service d’un gazoduc d’une capacité de transport de 50 milliards de mètres cubes de gaz sur 2600 kilomètres de long qui reliera la Sibérie au Xinjiang chinois (nord-ouest), via les steppes de Mongolie, Force de Sibérie, qui part lui de l’Extrême-Orient russe où en 2022, les livraisons de gaz ayant atteint 15,5 milliards de mètres cubes, les quantités attendues de livraisons à terme représenteront autant que Nord Stream 1, (55 milliards de mètres cubes), l’objectif d’ici 2030 étant de livrer au total à la Chine environ 98 milliards de mètres cubes de gaz et 100 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié. Cela aura un impact sur la future carte énergétique mondiale, mais ce projet de canalisation Sibérie Chine devra mettre plusieurs années avant son exploitation.

Cinquièmement, il faut prévoir le retour à terme de certains producteurs pénalisés par des conflits internes ou de sanctions internationales : par exemple de la Libye, sous réserve d’une stabilisation politique qui dispose de des réserves de 42 milliards de barils de pétrole et plus de 1500 milliards de mètres cubes gazeux, pour une population ne dépassant pas 6,5 millions d’habitants, pouvant facilement produire plus de 2 millions de barils/jour. Il y a aussi l’Irak, pouvant aller vers plus de 7 millions/jour et l’Iran, s’il y a accord sur le nucléaire ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant d’exporter entre 4/5 millions de barils jour, et possédant le deuxième réservoir de gaz traditionnel mondial, plus de 35 000 milliards de mètres cubes gazeux, derrière la Russie 45 000 et avant le Qatar 20 000, sans oublier la plus grande réserve de pétrole du monde avant l’Arabie Saoudite le Venezuela. Le Venezuela possède les premières réserves de pétrole du monde ( certes du pétrole lourd ) avec 298,353 milliards de barils, 17,7% au niveau mondial et les huitièmes de gaz naturel avec 197,089 de pieds cubes.

Sixièmement, nous avons les nouvelles découvertes dans le monde en offshore en Méditerranée orientale 20 000 milliards de mètres cubes gazeux et en océan Arctique où si on rapporte ces calculs à l’échelle mondiale, l’Arctique contiendrait 13 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel mondiales, expliquant en partie les tensions au niveau de ces régions, leur exploitation étant fonction du coût élevé. En Afrique, le Mozambique (plus de 4000 milliards de mètres cubes gazeux de réserves) pourrait être également le troisième réservoir d’or noir en Afrique.

Septièmement, les politiques de la transition énergétique seront déterminantes pour un nouveau modèle de consommation énergétique mondial qui influe sur les prix des hydrocarbures transitionnels. D’ici à 2030/2035, les investissements prévus dans le cadre de la transition énergétique USA/ Chine/Europe/Inde devraient dépasser les 4000 milliards de dollars et les grandes compagnies devraient réorienter progressivement leurs investissements dans ces segments rentables à terme, les industries de la vie pour reprendre l’expression de Jacques Attali. Les USA/Europe représentent actuellement plus de 40% du PIB mondial qui dépasse le seuil des 100.000 milliards de dollars en 2022, pour une population inférieure à un milliard d’habitants. Et si les Chinois, les Indiens et les Africains avaient le même modèle de consommation énergétique, il faudrait cinq fois la planète pour répondre à leurs besoins. Il est prévu en Europe la diminution de 50% de de la consommation des hydrocarbures traditionnels en 2030, avec une plus grande efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert.

Huitièmement, il ne faut pas oublier les fluctuations des stocks américains et souvent oubliés les stocks chinois, la chine et l’inde tirant fortement la demande mondiale. N’omettons pas la cotation du dollar, toute hausse ou baisse du dollar pouvant entraîner un écart sur le prix des hydrocarbures. La cotation euro/dollar le 24/03/2023 est de 1,0735 dollar pour un euro. Ainsi selon le FMI , en novembre 2020 la part de l’euro dans les paiements mondiaux s’élevait à 38 %, , tandis que celle du dollar américain se situait aux alentours de 60 %, , son plus bas niveau depuis 25 ans, au profit d’autre devises tel que l’euro, le rouble, le yuan (Renminbi) ou même l’or. En novembre 2020, la part de l’euro dans les paiements mondiaux s’élevait à 38 %, sa part dans les avoirs de réserves de change était d’environ 20 % en juin 2020, tandis que celle du dollar américain se situait aux alentours de 60%, en précisant que l’appréciation récente du dollar aura des tensions grandissantes sur les dettes souveraines. A l’avenir sous l’impulsion des Brics et notamment de la Chine avec des réserves de change de 3140 milliards de dollars en février 2023 et un PIB en 2023 approchant les 20.000 milliards de dollars, la création de la banque de développement des transactions entre certains pays, du pétrole et du gaz pourraient se faire, avec la crise actuelle, en roubles russes et surtout en yuan chinois.

Une aisance fragile

En conclusion, le cours élevé des hydrocarbures en 2022 a permis une relative aisance financière. Selon le dernier rapport de la Banque d’Algérie ayant atteint, le prix moyen du pétrole a atteint de 109 dollars dans les neufs premiers mois de l’année 2022 contre 72,7 dollars en 2021, tandis que ceux du gaz ont plus que doublé, passant de 5,2 à 11,5 dollars le million de BTU. Ce qui a positivement impacté les réserves de change de l’Algérie, évaluées en février 2023 à environ 63 milliards de dollars, avec une baisse de l’encours de la dette extérieure passant de 3,062 milliards équivalent dollars fin décembre 2021, à 2,914 à fin septembre 2022. L ’Algérie et cela est reconnu par la majorité de la communauté internationale, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine a les potentialités pour le redressement national entre 2023/2025. Pour consolider sa position stratégique, elle doit doubler son PIB pour atteindre 350/400 milliards de dollars entre 2023/2025, étant en 2022 selon le FMI à 193 milliards de dollars, avec une part croissante hors hydrocarbures, si elle veut avoir une influence sur les décisions internationales et non être spectatrice, au sein des zones de libre échange ; qu’elle soit , arabe, africaine, avec l’ Europe ou au sein des BRICS avec une éventuelle adhésion qui sera examinée lors du prochain sommet des BRICS prévu l’été prochain en Afrique du Sud. Car une Nation n’est forte et une diplomatie écoutée que si son économie est concurrentielle au niveau mondial et la Chine en le parfait exemple.

A.M.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *