Liste de ressortissants algériens faisant l’objet de mesures d’éloignement du territoire français : Le « Non » ferme d’Alger
Alger vient de signifier un refus catégorique face aux pressions exercées par Paris concernant l’expulsion de ressortissants algériens. Cette position ferme intervient après une semaine de tensions exacerbées par les déclarations et provocations du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
Le Secrétaire Général du Ministère des Affaires étrangères, de la Communauté nationale à l’étranger et des Affaires africaines, M. Lounès Magramane, a reçu hier au siège du ministère le Chargé d’Affaires de l’Ambassade de la République française en Algérie, pour lui remettre la réponse officielle d’Alger suite à la transmission d’une liste de ressortissants algériens faisant l’objet de mesures d’éloignement du territoire français. Dans sa réponse, communiquée sous forme de note verbale, l’Algérie n’a laissé aucune place à l’ambiguïté : « Dans cette réponse, l’Algérie réaffirme son rejet catégorique des menaces et des velléités d’intimidation, ainsi que des injonctions, des ultimatums et de tout langage comminatoire. En outre, l’Algérie désapprouve l’approche sélective de la France vis-à-vis des accords bilatéraux et internationaux liant les deux pays. Elle réaffirme qu’en ce qui la concerne, l’Algérie n’est animée que par le souci de s’acquitter de son devoir de protection consulaire à l’égard de ses ressortissants. » Ce refus s’articule autant sur la forme que sur le fond, comme l’explique clairement le communiqué du ministère : « S’agissant de la démarche de la partie française, celle-ci a été rejetée par les autorités algériennes sur les plans de la forme et du fond. Sur la forme, l’Algérie a fait valoir que la France ne pouvait, unilatéralement et à sa seule discrétion, décider de remettre en cause le canal traditionnel de traitement des dossiers d’éloignement. » Alger rappelle ainsi Paris à l’ordre concernant les procédures établies : « La partie française a, par conséquent, été invitée à respecter la procédure établie en la matière, en suivant le canal d’usage, celui entretenu entre les Préfectures françaises et les Consulats algériens compétents, et en préservant la manière de traitement habituelle, celle de procéder au cas par cas. » Sur le fond juridique du différend, l’Algérie insiste sur l’indissociabilité des cadres conventionnels : « Sur le fond, la réponse algérienne a souligné que le Protocole d’Accord de 1994 ne peut être dissocié de la Convention de 1974 sur les relations consulaires qui demeure le cadre de référence principal en matière consulaire entre les deux pays. De ce point de vue, la mise en œuvre de l’un ne doit pas se faire au détriment de l’autre, notamment lorsqu’il s’agit de la nécessité de veiller au respect des droits des personnes faisant l’objet de mesures d’éloignement. » En conclusion, Alger se montre inflexible : « Pour toutes ces raisons, les autorités algériennes ont décidé de ne pas donner suite à la liste soumise par les autorités françaises. Celles-ci ont été invitées à suivre le canal d’usage, en l’occurrence celui établi entre les Préfectures et les Consulats. »
Le jeu trouble de Retailleau
Cette crise diplomatique prend une tournure particulière à la lumière du comportement du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, dont les postures vis-à-vis de l’Algérie semblent répondre davantage à des ambitions personnelles qu’à un réel souci diplomatique. En menaçant publiquement de démissionner si le gouvernement français venait à « céder » face à l’Algérie, le ministre a sciemment compromis toute possibilité de résolution pacifique de cette crise. La chronologie des événements est révélatrice : le 15 mars, Retailleau annonçait dans une interview au Parisien qu’il pourrait quitter le gouvernement en cas de compromis avec Alger, alors que la veille, il avait déjà annoncé l’envoi d’une première liste de 80 personnes à expulser. Une stratégie qui s’apparente plus à une surenchère politique qu’à une démarche diplomatique constructive. Cette instrumentalisation de la relation franco-algérienne n’a pas échappé aux observateurs français eux-mêmes. L’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, n’a pas caché sa consternation sur le réseau social X : « En tant que diplomate, j’ai honte. Qu’un sujet aussi important que nos relations avec l’Algérie deviennent un simple pion dans une carrière politique me consterne. Et les intérêts de la France ? »
Les analystes estiment que Retailleau cherche délibérément un affrontement avec le gouvernement et le président Emmanuel Macron sur ce dossier spécifique, dans le cadre de sa stratégie pour prendre la présidence du parti Les Républicains, première étape avant la course à l’Élysée en 2027. Il sait pertinemment que l’Algérie ne peut accepter des injonctions formulées sous forme d’ultimatum, notamment après que le président de la République Abdelmadjid Tebboune a clairement exprimé en février dernier que « tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays. » La focalisation injustifiée sur l’Algérie apparaît d’autant plus flagrante lorsqu’on examine les chiffres officiels français. Selon la Cour des comptes, entre 2019 et 2022, le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) était similaire pour les trois pays du Maghreb : 4,4% pour l’Algérie et le Maroc, 5% pour la Tunisie.
Ce biais est encore plus évident à la lumière d’événements récents : alors que Retailleau instrumentalise l’attentat de Toulouse pour justifier sa posture anti-algérienne, un attentat similaire perpétré à Cannes par un ressortissant marocain sous OQTF n’a pas suscité la même véhémence de sa part ni de celle de ses alliés politiques.
Dans ce contexte tendu, la position algérienne consistant à rejeter la liste des expulsions et à rappeler les procédures établies est une réponse mesurée et fondée en droit face à des manœuvres qui relèvent plus de la politique intérieure française que de la diplomatie internationale. Le refus d’Alger de se laisser entraîner dans une escalade verbale ou dans des concessions sous la pression s’inscrit dans une tradition de défense de sa souveraineté et du respect des procédures diplomatiques conventionnelles.
Hocine Fadheli