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Statut de la magistrature : Ce qui va changer

Le projet de loi portant statut de la magistrature compte 110 articles et confie au Conseil supérieur de la magistrature la gestion exclusive de la carrière des juges et introduit de nouvelles garanties d’indépendance.

Le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Lotfi Boudjemaa, a présenté dimanche devant les députés de l’Assemblée populaire nationale un projet de loi organique portant statut de la magistrature qui redéfinit en profondeur les droits, devoirs et carrière des juges. Ce texte de 110 articles, qui remplace la loi de 2004 jugée obsolète, vise à moderniser le cadre juridique de la magistrature et à l’aligner sur les dispositions de la Constitution de 2020, conformément aux instructions du président de la République qui a ordonné sa promulgation avant la fin de l’année. Lors de sa présentation devant les députés, le ministre de la Justice a souligné que la révision de la loi organique portant statut de la magistrature vient « jeter les bases d’une nouvelle étape pour le pouvoir judiciaire en Algérie, axée sur la spécialisation et la qualité, afin de conférer crédibilité et efficacité à l’action de la Justice ». Selon Lotfi Boudjemaa, la loi actuellement en vigueur, promulguée en 2004, « n’est plus adaptée, dans plusieurs de ses aspects, aux transformations politiques, sociales et institutionnelles profondes qu’a connues notre pays ». Cette révision s’inscrit ainsi dans un vaste chantier de modernisation de l’appareil judiciaire lancé après l’adoption de la nouvelle Constitution.

La principale innovation de ce projet de loi réside dans le repositionnement du Conseil supérieur de la magistrature comme organe unique de gestion du parcours professionnel des magistrats, de leur nomination jusqu’à leur mise à la retraite. Le texte vise à « consacrer le rôle du Conseil supérieur de la magistrature dans la supervision de toutes les questions professionnelles et disciplinaires inhérentes au magistrat », en « confiant au Conseil, exclusivement, la gestion du parcours professionnel du magistrat », a précisé le ministre. Concrètement, le bureau permanent du Conseil supérieur de la magistrature se voit accorder de nouvelles prérogatives. Il sera désormais habilité à répartir les nouveaux magistrats au niveau des juridictions, en coordination avec le ministère de la Justice qui définit les besoins de ces juridictions. Le Conseil aura également la charge d’approuver le programme de formation continue et spécialisée des magistrats, élaboré et mis en œuvre par le ministère. Cette réforme intègre une innovation notable avec la création de la fonction d’assistant-magistrat en appui à la Cour suprême et au Conseil d’État qui connaissent une forte augmentation du nombre de dossiers soumis, dans le but d’alléger la charge sur les magistrats et d’améliorer l’acte jurisprudentiel. Ces postes constitueront une étape obligée pour accéder aux plus hautes juridictions du pays.

Le projet de loi confère également au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir d’accorder des autorisations pour l’accomplissement de différentes missions, activités et actions propres au magistrat, de fixer les critères de promotion, et surtout, il lui transfère le pouvoir de suspension du magistrat, une prérogative jusque-là détenue par d’autres instances. Cette séparation claire entre l’autorité chargée de l’instruction, confiée à l’Inspection générale du ministère de la Justice qui sera habilitée à engager les poursuites disciplinaires au nom du garde des Sceaux, et celle compétente pour juger, assumée par le Conseil supérieur de la magistrature, constitue une avancée majeure dans la prévisibilité du droit disciplinaire.

Renforcer l’indépendance du magistrat

La révision vise également à « renforcer l’indépendance du magistrat et à préserver l’honneur de la profession de la magistrature », en accordant au magistrat des garanties pour l’exercice de ses missions, à l’instar du droit à la stabilité et à un régime salarial qui « le mettent à l’abri de toutes les tentations et influences », selon les termes du ministre Boudjemaa. Le principe de l’inamovibilité des magistrats est ainsi concrétisé, la mutation du juge devenant une exception, sur décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature, et uniquement lorsque les conditions de nécessité et de bon fonctionnement de l’appareil judiciaire sont réunies. Le magistrat pourra toutefois demander le transfert dans le cadre du mouvement annuel du corps des magistrats, ou pour des raisons objectives fixées par la loi organique, comme la compétence professionnelle, l’ancienneté, la situation familiale et l’état de santé.

Le texte reconnaît au juge une série de droits nouveaux, notamment le droit aux congés et le droit à l’exercice syndical. Il garantit également la protection de l’État en cas d’agression ou de menace liée à l’exercice de ses fonctions. Concernant le volet social, le salaire d’un juge comprendra des traitements, des indemnités et des primes proportionnels à la nature des fonctions qui lui sont confiées et aux responsabilités qui en découlent, dans l’objectif de préserver sa dignité, assurer sa protection et renforcer son indépendance.

Pour assurer le bon déroulement de la justice et « éviter au magistrat tout ce qui est de nature à l’exposer aux suspicions », le projet de loi interdit au magistrat l’appartenance à un parti politique, l’exercice d’une activité ou d’un mandat électoral politique, ou la pratique d’une autre activité lucrative, à l’exception de l’enseignement et de la formation, sous réserve d’une autorisation explicite du président du bureau permanent du Conseil supérieur de la magistrature. Le texte introduit également l’interdiction formelle d’utiliser les réseaux sociaux pour commenter ou débattre d’affaires judiciaires, une mesure destinée à protéger l’impartialité du juge et à éviter toute instrumentalisation médiatique.

En matière de retraite, le texte maintient le régime applicable aux fonctions supérieures de l’État, avec un âge de départ fixé à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, après 25 ans de service. Toutefois, il autorise des prolongations exceptionnelles jusqu’à 65 ans pour les magistrats des cours et tribunaux administratifs d’appel, et jusqu’à 70 ans pour ceux de la Cour suprême et du Conseil d’État. Le projet prévoit aussi la possibilité de recourir à leur expertise par le biais de contrats après leur départ officiel, une formule visant à capitaliser sur leur expérience tout en répondant aux besoins du système judiciaire.

Hocine Fadheli

admin

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