Des historiens français dressent un réquisitoire contre la puissance coloniale : Le 17 octobre 1961 marque le paroxysme de la violence coloniale
L’historien français spécialiste de la colonisation française, vice-président de la Ligue française des droits de l’Homme et auteur de plusieurs ouvrages sur la question, Giles Manceron aindiqué, dans un entretien à l’APS, que les massacres commis par la police française contre des manifestants algériens pacifiques, le 17 octobre 1961, à Paris marquent le paroxysme d’une violence coloniale exercée en Algérie depuis 1830. « Les massacres du 17 octobre 1961, en plein cœur de la capitale française, sont un évènement emblématique et un paroxysme de la violence coloniale qui s’est exercée pendant toute la durée de la colonisation de l’Algérie et en réponse à sa guerre l’indépendance nationale », a-t-il noté.« Cet événement, dont des historiens britanniques ont écrit que ce fut la répression d’une manifestation désarmée qui a fait le plus de victimes dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, a été ensuite dissimulé par le pouvoir français », ajoute Manceron. « Ils font l’objet d’une dissimulation qui doit, en plus de ses raisons, être maintenant étudiée et méditée. Pourquoi tant de violence alors que l’indépendance algérienne était à l’horizon, que les négociations d’Evian progressaient, que le général de Gaulle avait décidé l’arrêt des offensives militaires françaises en Algérie et avait chargé des militaires de protéger la délégation algérienne venue négocier les conditions de l’indépendance du pays ? »,s’est-il d’ailleurs interrogé. Par ailleurs, évoquant les propos du président français, Emmanuel Macron, l’historien spécialiste de la colonisation relèvera que ce dernier « avait eu la bonne idée de confier à un historien la tâche de remettre un rapport qui serait une base de réflexion sur la colonisation de l’Algérie et qui comporterait aussi des propositions d’initiatives en faveur de la reconnaissance des crimes que celle-ci a comporté ». Giles Manceron estime que salué ou critiqué, « le contenu du rapport Stora relève d’une bonne démarche. Mais voilà que ce même président (Macron) est sorti de son rôle le 30 septembre en tenant des propos sur l’Algérie qui ne devraient pas être tenus par un chef d’Etat », déplore l’historien qui relève que le plus grave de ces propos « concerne l’affirmation de l’inexistence d’une nation algérienne avant la colonisation française, ce qui est la reprise d’un élément traditionnel du discours colonial, et sa comparaison inexacte entre la tutelle ottomane exercée sur une partie d’El Djezaïr, la Régence d’Alger et le Beylik de Constantine, et le + rouleau compresseur + de la colonisation française qui s’est accompagnée d’une guerre de conquête, d’une annexion et d’une colonisation de peuplement massive ».
L’historien estime également qu’«avec ce type de déclarations, Emmanuel Macron tourne le dos à ses déclarations de 2017 qualifiant la colonisation de crime contre l’humanité ». Manceron fera remarquer qu’«au fil de son quinquennat, il (Macron) s’est appuyé de plus en plus sur les forces politiques réactionnaires qui cultivent la nostalgie de la colonisation, et, à l’approche de l’élection présidentielle de 2022, il accentue cette alliance. Ce qui a des conséquences sur le discours qu’il tient sur la mémoire de la colonisation et sur l’Algérie ». « Ce choix politique d’Emmanuel Macron relève de considérations de politique intérieure française, mais il a une influence sur la question du travail mémoriel à faire entre la France et l’Algérie. Il est incompatible avec les intentions qu’il avait affirmé dans ce domaine », a noté l’historien qui rappelle dans ce sens, « l’échec qu’avait connu le président Chirac quand il avait voulu donner, après 2002, des satisfactions aux nostalgique de la colonisation, avec une loi sur l’enseignement des +aspects positifs de la colonisation+, et voulu conclure en même temps un traité d’amitié avec l’Algérie ». Pour sa part, le chercheur en histoire, Fouad Soufi relève, dans une déclaration à l’APS, que l’Etat colonial français était « foncièrement raciste » en Algérie a regretté « le déni et le refus » de celui-ci de reconnaître ses multiples crimes, dont les massacres du 17 octobre 1961 perpétrés en France et ayant coûté la vie à des dizaines d’émigrés algériens. L’assassinat, en avril 1962, à Oran, par l’Organisation de l’Armée secrète (OAS) de 17 Algériens, hommes et femmes, alors qu’ils s’étaient réfugiés dans un garage ainsi que la dizaine de femmes des Aurès, assassinées par l’armée française avant d’être jetées dans un puits, estime Soufi, « sont bel et bien des massacres » qui ont hélas « pratiquement disparu de notre histoire ».
« Je crois que ce qui est important pour une connaissance toujours plus approfondie de notre histoire, c’est que, désormais, il nous faut nommer et non plus seulement compter ! » préconise-t-il. Il appellera à se poser toutes les questions sur les circonstances, les auteurs, le pourquoi et le comment des événements liés à la présence coloniale française en Algérie. Evoquant le poids de l’opinion publique et de l’électorat français, avant de considérer que le contentieux mémoriel entre les deux pays est « l’expression d’un conflit entre les mémoires nationales », Soufi fera remarquer que « très souvent, c’est la raison d’Etat qui prévaut en France ».« C’est l’occasion de rappeler que des cartons d’archives produites par l’Etat algérien, d’avant 1830, se trouvent encore en France. Un ancien Directeur général des Archives nationales l’avait signalé il y a plus de vingt ans et M. Benjamin Stora l’a confirmé dans son rapport à M. Macron » a rappelé le chercheur en histoire qui considère « trop grand » « l’écart » qui sépare les travaux effectués sur la mémoire et l’histoire en Algérie, comparativement à ceux réalisés dans l’ancienne colonie. Soufi appellera enfin à accorder une « juste place » à ces questions pour « mieux appréhender l’identité nationale, laquelle demeure sous-jacente à ce genre de débats ».
Akli Amor