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USA-Chine : Le choc des titans

Un nouveau front du conflit entre la Russie et l’Otan vient de s’ouvrir. Un nouvel acteur risque d’être impliqué, malgré la neutralité qu’il affiche, dans cette confrontation entre deux pôles diamétralement opposés. Agacés par les alternatives que les services financiers chinois peuvent représenter pour la Russie, les États-Unis cherchent à imposer à Pékin un choix qu’il n’entend pas faire.  

S’achemine-t-on vers un conflit global ? La situation se complique et les tensions géopolitiques s’exacerbent et se diffusent à travers de nouveaux fronts que l’Otan est en train d’ouvrir. Les batteries de sanctions imposées à la Russie, son exclusion du système swift, l’embargo US sur ses hydrocarbures, le gel d’une partie de ses réserves de change et le défaut de paiement artificiel dans lequel l’Occident veut la mettre ne produisent pas l’effet espéré. Car Moscou bénéficie d’alternatives et pas des moindres. La Russie fait recours au système chinois Unionpay pour pallier au retrait des services financiers Visa et Mastercard. Moscou et Pékin travaillent ensemble afin de fusionner le système russe de transfert de messages financiers, ou SPFS, et le système chinois de paiement interbancaire transfrontalier, ou CIPS pour créer une alternative au système Swift. Le rapprochement russo-chinois ne s’arrête pas là. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont bondi de près de 40 % depuis le début de l’année. La Russie entend ouvrir les portes de son marché aux entreprises de l’Empire du milieu, tandis que ce dernier affiche sa prédisposition à bénéficier des bienfaits des hydrocarbures russes. Les deux pays ont d’ailleurs signé un accord, début mars, pour la construction d’un gazoduc pour le transport de 50 milliards de m3 de gaz par an.  Et la Chine n’est pas la seule à vouloir profiter de l’opportunité. L’Inde a annoncé hier sa prédisposition à prendre le pétrole russe que Moscou lui offre au rabais, et pense même à trouver des solutions de paiement Rouble-Roupie pour contourner le système dollar. L’Iran, que l’on veut entrainer dans une opposition avec Moscou, a affiché la couleur. Il ne sacrifiera pas ses relations privilégiées avec la Russie pour sauver un accord sur le nucléaire qui lui impose plus de restrictions qu’il ne lui accorde de privilèges. Le ton a d’ailleurs été donné par le ministre iranien des affaires étrangères à la veille de sa visite à Moscou prévue aujourd’hui. 

Tout cela a le don d’excéder Washington qui a décidé de montrer les muscles. Jake Sullivan, Conseiller US à la sécurité nationale a averti dimanche que l’Oncle Sam empêcherait quiconque de permettre à la Russie de contourner les sanctions imposées par l’Otan à la Russie, au mépris total du principe de souveraineté des Nations. Et la première cible est bien entendu la Chine. D’ailleurs les Américains n’hésitent pas à l’accuser « d’apporter un soutien militaire et économique » à la Russie dans le conflit en Ukraine, afin de faire pression sur Pékin. D’ailleurs, Jake Sullivan a rencontré hier à Rome Yang Jiechi, le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie, pour lui transmettre « l’avertissement », selon ce que rapportent les médias occidentaux. Une question demeure. La démarche américaine va-t-elle vraiment avoir de l’effet et poursuit-elle réellement l’objectif de faire obstacle entre Moscou et Pékin ?

Une puissance émergente en Orient

Il est clair que la Chine n’a pas du tout l’intention de se plier aux désidératas des États-Unis et de l’Otan. Et la réaction de Pékin a été immédiate. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a dénoncé hier la désinformation occidentale concernant la prétendue implication de la Chine dans le conflit ukrainien. Il a également exhorté les États-Unis à respecter la souveraineté de la Chine et d’arrêter de jouer la carte de Taïwan.  La messe est donc dite. Il est clair d’ailleurs que la tentative américaine d’impliquer la Chine dans le conflit poursuit d’autres objectifs qui entrent dans le cadre de la politique US destinée à arrêter la montée en puissance de la Chine. C’est dans ce contexte que s’inscrit justement le soutien militaire apporté par Washington à Taïwan et c’est le cœur de l’alliance nucléaire indopacifique Aukus qui réunit les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie.  

Le fait est que la Chine a bâti au fil des ans un système qui peut constituer une alternative économique viable au système assis sur le dollar et n’a fait que consolider les éléments de sa puissance. En 2018, la signature du Partenariat régional économique global (RCEP) – le plus vaste accord de libre-échange au monde, promu par la Chine – entre l’Empire du Milieu, le Japon et 13 autres pays d’Asie et du Pacifique lui permet de s’imposer comme première puissance économique mondiale.  La Chine a réussi à mettre en place un système de swap devises alternatif et auquel de nombreux pays ont adhéré, en Asie et en Afrique. Elle  a créé un marché obligataire régional dynamique. L’Empire du Milieu s’est imposé comme premier créancier au monde et à consolider la place de la monnaie chinoise « Renminbi » comme monnaie de réserve internationale majeure qui risque de détrôner le Yen et la Livre Sterling à très court terme. Il a également travaillé à diversifier les devises de ses 3200 milliards de dollars de réserves de change pour réduire son exposition au dollar et a imposé à ses banques de détenir pas moins de 1.000 milliards de dollars de réserves de change. La Chine a enfin renforcé l’assise de son PIB sur la consommation interne pour renforcer la résilience de son économie qui était très orientée vers l’export. Cela démontre non seulement les facteurs de force de la Chine sur le plan économique, qui est également une puissance militaire nucléaire, mais aussi sa résilience envers de possibles sanctions que l’Occident pourrait lui imposer. En réalité, une telle possibilité ne servirait qu’à accélérer le découplage économique mondial déjà en cours avec l’impact à attendre sur l’économie mondiale et notamment sur les économies européennes. Car ne l’oublions pas, la Chine est plus que l’atelier du monde. C’est un acteur majeur de l’industrie des composants et des semi-conducteurs essentiels à l’industrie. Elle contrôle plus de 85% des terres rares. Mieux encore, c’est le champion de l’industrie de l’éolien et produit 70% des panneaux photovoltaïques. Enfin, le chinois CATL assure 30% de la production du marché des batteries, notamment pour les véhicules électriques et fournit des géants du domaine comme Tesla et Volkswagen. Autrement-dit, le découplage sur lequel Washington compte pour « affaiblir » la Chine risque de compromettre les objectifs de transition énergétique sur lesquels l’Europe compte pour se passer du gaz russe. Mieux encore, ce découplage risque d’accélérer l’émergence d’un pôle alternatif et résilient au système dollar. 

Samira Ghrib

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