L’Africom n’organisera plus les manœuvres African lion au Maroc : Séisme politique au sein du Makhzen
L’annonce, mardi, par son commandant en chef, le général Stephen J. Townsend, de la décision du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) de déplacer les manœuvres « African lion » dans un pays autre que le Maroc a fait l’effet d’une véritable douche froide dans les hautes sphères du Makhzen.
Sans doute, personne ne s’attendait dans les hautes sphères dirigeantes marocaines à ce que la demande du sénateur républicain Jim Inhofe, qui avait appelé cette semaine l’administration Biden à ne plus organiser ces exercices militaires au Maroc en raison de l’ «absence de volonté et de sérieux» de Rabat pour résoudre la question du Sahara occidental, ne soit entendue et encore moins prise au sérieux au Pentagone. Et pourtant, il a suffit d’à peine quelques petites journées pour voir le Pentagone, administration dont dépend l’Africom, rejoindre l’avis du vénérable et respecté sénateur républicain Jim Inhofe.
La sortie médiatique du général Stephen J. Townsend a provoqué un véritable séisme politique à Rabat et suscité une panique généralisée au sein de l’establishment marocain. Elle a fait voler en éclats les certitudes les plus ancrées au Maroc. Les spins doctors de Mohammed VI ont pris peur car ils ont compris que la décision de délocaliser les manœuvres African lion n’a pas pu être le seul fait de l’Africom ou du Pentagone. De l’avis des spécialistes des États-Unis et des questions de défense, rien n’aurait pu se faire sans le feu vert de la Maison-Blanche. Autrement dit, Mohammed VI et son collège de sinistres conseillers découvrent à leur dépend que l’Oncle Sam ne leur était pas complètement acquis comme ils le pensaient jusque là.
Ils découvrent aussi avec effarement que l’État profond au États-Unis est lucide dans son traitement de la crise que traverse actuellement le Maghreb, une crise alimentée ces dernières années par le Maroc à coup de provocations à l’égard de l’Algérie. Mieux, il existe au sein des principaux rouages de l’administration et des différentes institutions américaines un fort courant d’opinion favorable à un règlement rapide du conflit du Sahara Occidental sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le meilleur représentant de ce courant légaliste est sans aucun doute John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du président Donald Trump. Il a provoqué de longues nuits blanches et de terribles angoisses au Makhzen lorsqu’il s’est emparé du dossier du règlement du conflit du Sahara Occidental. Aujourd’hui encore, la délocalisation des manœuvres African Lion est justifiée noir sur blanc par le dossier du Sahara Occidental. Et c’est en cela que le Makhzen a en réalité essuyé un cinglant camouflet politique dont les répercussions se feront certainement ressentir pendant longtemps encore.
Le Maroc est certes un allié de longue date des États-Unis. Leur relation militaire s’est surtout forgée au plus fort de la guerre froide. L’armée américaine avait même installé des bases sur le territoire marocain. Mais maintenant que la guerre froide est terminée, le Makhzen ne revêt qu’une importance secondaire pour Washington. Il apparaît clairement que les Etats-Unis ne veulent pas s’aliéner un pays comme l’Algérie qui revêt une importance de premier plan pour la stabilité du Maghreb et de la sous-région sahélienne. Les Américains ont effectivement tenu compte du fait que ces exercices militaires n’étaient pas appréciés à Alger, surtout qu’ils se déroulaient à un jet de pierres de la frontière algérienne et sahraouie. Au plan politique et à la longue, ils (les exercices) pouvaient déteindre négativement sur les relations algéro-américaines.
L’administration Biden à donc compris que poursuivre l’organisation des manœuvres African Lion au Maroc ne valait pas la chandelle surtout que l’Algérie est un partenaire très apprécié par Washington dans la lutte contre le terrorisme en Afrique et que les relations algéro-américaines en matière d’échanges économiques et commerciaux sont sur une courbe ascendante. La preuve c’est que les États-Unis étaient l’invité d’honneur lors de la toute dernière foire internationale d’Alger. L’annonce du général Stephen J. Townsend permet ainsi de penser qu’on revient à une situation d’équilibre dans la région même si les États-Unis continuent à cultiver une sorte d’ambiguïté stratégique. Mais cela c’est un autre débat.
Khider Larbi