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Plafonnementdu prix du pétrole russe à 60 dollars : La décision du G7+Australie est-elle opérationnelle ?

Par le Pr. Abderrahmane Mebtoul

Expert international et directeur d’études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach 1974/1979-1990/1995-2000/2007-2013/2015

Le plafonnement des prix du pétrolerusse pourrait avoir un effet pervers avec le risque de voir la pénurie d’hydrocarbure s’accroître en raison de la baisse de l’offrede pétrole russe (la Russie est le 2e exportateur mondial), et les prix de l’énergie augmenter à un tel point que le monde se retrouve pénalisé par ces sanctions renforçant la récession économique mondiale et l’inflation.

Au moment où le G7+ Australie a décidé de plafonner le prix du pétrole russe à 60 dollars -décision entrée en vigueur lundidécembre 2022-le cours du pétrole a été coté le 5 décembre à la mi-journée à 88,09 dollars pour le baril de Brent de la Mer du Nord et 82,39 dollars le baril de pétrole américain WIT. Le prix du gaz sur le marché spot qui a culminé il y a quelques mois à plus de 300 euros le TTF néerlandais, s’échange aujourd’hui à une moyenne de 130-135 euros, voire un peu plus selon l’échéance.Face aux incertitudes de l’économies mondiale -le FMI annonce une récession pour 2023-lors de la réunion de l’OPEP+ le 04 décembre, les représentants des treize membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs dix alliés ont convenu de garder le cap décidé en octobre d’une réduction de deux millions de barils par jour jusqu’à fin 2023.

Le poids économique des pays en présence

Le PIB mondial est estimé à 84.700 milliards de dollars en 2020 devrait franchir la barre des 100.000 milliards de dollars pour la première fois en 2022.Étant dominée par les hydrocarbures et étant surtout une puissance militaire pour une population de 146 millions d’habitants, le produit intérieur brut russe devrait augmenter de 2,9%, pour s’élever à 1.703 milliards de dollars en 2022. Les sanctions ayant eu pour l’instant un impact mitigé sur les équilibres financiers, les exportations d’hydrocarbures russes représentaient 46% de ses exportations totales en valeur, l’Europe ayant contribué presque pour moitié à ses recettes pétrolières. Selon l’institut Montaigne, les ventes de pétrole russe ont atteint 179 milliards de dollars en 2021, contre 62 milliards pour le gaz. Quant à l’espace européen dominé économiquement par l’Allemagne et à un degré moindre par la France, il est utile de noter que l’Eutrope a une population de 440 millions d’habitants -Grand-Bretagne non incluse- et un PIB de 14.476 milliards en 2021. En incluant la Grande-Bretagne qui a un PIB de 2.695 milliards USD, nous aurons un total de 17.171 milliards de dollars. Pour leur part les Etats-Unis d’Amérique ont un PIB qui a été de 22.900 en 2021 et les prévisions pour 2022 donnent 24.793 pour 332 millions d’habitants.L’espace occidental, le plus riche du monde pour une population inférieure à 1 milliard d’habitants accaparent près de 40% de la richesse mondiale. En Asie, la Chine, pays clé, compte une population estimée en 2021 à plus de 1,41 milliard d’habitants pour un PIB prévu en 2022 de 18.460 milliards de dollars et les extrapolations la donnant horizon 2030 comme la première puissance économique du monde. Il ne faut pas oublier l’Inde dont le PIB a été estimé en 2021 à 3.250 milliards de dollars pour une population de plus de 1,39 milliard d’habitants. Ces deux pays qui ont un poids important au sein des BRICS qui représentent 25% du PIB mondial mais plus de 45% de la population mondiale en 2021. Ces données préfigurent un grand bouleversement mondial avec toutes les adhésions attendues et appelées à contrebalancer les poids de l’Europe et des USA dans un monde multipolaire.

 Le plafonnement des prix du pétrole russe se traduira-t-il par une fermeture des vannes

Quels sont les pays qui influent sur le prix du gaz et du pétrole ?

Les pays qui influent sur le prix du pétrole en référence à leurs réserves potentiels sont l’Arabie Saoudite, la Russie les USA qui produisent plus de 10 millions de barils par jour chacun. Le Venezuela, du fait des sanctions et bien que possédant la plus grande réserve mondiale de pétrole à plus 299 milliards de barils avant l’Arabie Saoudite 267milliards, pèse peu sur l’échiquier d’autant plus que l’essentiel de réserves sont constituées de pétrole lourd situées dans la ceinture de l’Orénoque. Les plus grandes réserves prouvées se trouvent essentiellement dans des pays de l’Opep, à l’image de l’Iran qui dispose de 157 milliardsou l’Irak avec 143 milliards de barils. L’Algérie dispose 12 milliards de barils de réserves. Sur le marché gazier nous devons distinguer les exportations par canalisations dominantes avec une plus de 65% et les exportations par GNL ayant progressé de 5% en 2021. Dans le GNL, trois pays totalisent les 60% des exportations à savoir l’Australie (21,1%), le Qatar (20,7%) et les Etats-Unis avec l’exploitation du ga de schiste exporté vers le marché européen détient 18,0% des parts des exportations mondiales de GNL. La Russie a une part de 8,2% ; la Malaisie : 7,4% ; le Nigéria : 5,9%. L’Algérie quant à elle se pointe à la 9ème place avec 3,4% des exportations mondiales de GNL. En termes absolus la Russie est le plus grand exportateur de gaz et dispose des plus grandes réserves de gaz conventionnel, avec 37.000 milliards de mètres cubes gazeux de réserves. L’Iran pénalisé parles sanctionsdétient 32.000 milliards de m3 de gaz et le Qatar près de 24.000 m3et le kurmédistan13.000 m3 et les USA 12.900 m3 de gaz de schiste .Pour l’Afrique nous avonsNigeria qui détient 5000 milliardsde mètres cubes gazeux, le Mozambique avec 5.000 milliards m3 et l’Algérie 2.500 milliards m3. L’Algérie possède néanmoins possédant le troisième réservoir mondial de gaz de schiste avec environ 19.500 milliards de mètres cubes gazeux. Enfin la Libye détient des réserves d’environ 1.500 milliards m3 de gaz non-exploitées.

L’interdépendance énergétique Russie/Europe

Ily a interdépendance des économies où en 2021, l’UE consommait 400 milliards de mètres cubes de gazet environ 45% des importations du gaz naturel provenait de la Russie, soit environ 155 milliards de m3 . Selon la société de conseil Enerdata, l’Union européenne est le troisième plus gros consommateur d’énergie du monde en volume, derrière la Chine et les États-Unis,. Plus de 70% de l’énergie disponible européenne est d’origine fossile : le pétrole (36%), le gaz (22%) et le charbon (11%) dominent ainsi les autres sources d’énergie, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 points depuis 1990. À l’inverse, les énergies renouvelables représentaient plus de 22% de la consommation finale d’énergie dans l’UE en 2020, contre 16% en 2012, avec une extrapolation de 50% à l’horizon 2030.Mais existe également la dépendance de la Russie vis-à-vis de l’Europe, les exportations destinées à l’Union européenne représentaient 52% du total des exportations russes en 2014, pour diminuer à 41% en 2020 et remonter à 47% en 2021.Les importations de la Russie provenant de l’Union européenne représentaient 43% du total des importations russes en 2013, pour tomber à 36% en 2020. Pour ce qui est de l’ensemble des exportations de l’Union européenne, celles dirigées vers la Russie sont passées de 9% en 2013 à 5,7% en 2019.Selon certains experts de l’Union européenne, une diminution, voire un arrêt total des livraisons de gaz russe, serait fort dommageable pour de nombreux pays européens. Les alternatives existantes mais coûteuses existent avec un pic inflationniste dû à l’envolée des prix des produits énergétiques, mais également de bon nombre de produits alimentaires dont la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs.Aussi, malgré une intensification des échanges gaziers avec la Chine comme le fameux gazoduc Power of Siberia d’environ 2 000 km dont le coût provisoire a été estimé, pour une capacité en 2022-2023; de 38 milliards de mètres cubes par an, soit 9,5% du gaz consommé en Chine et l’importance de ses réserves de changes estimées par la Banque centrale russe le 22 octobre 2021 à 621,6 milliards de dollars, les exportations gazièresvers l’Europe représentant, à elles seules, entre 15/20 % du PIB russe.

Ladécision de plafonner leprix du pétrole-gaz russe sera-t-elle efficace ?

L’Union européenne, le G7 et l’Australie se sont accordés le 04 décembre 2022 pour fixer un seuil maximum de 60 dollars pour les barils de pétrole russe afin selon leurs propos de limiterle financement russe de la guerre en Ukraine, sans compterle gel d’une partie des réserves de change estiméesau 01 janvier 2022 à 630 milliards de dollarsdéposées dans les banques occidentales , mais le Kremlin a prévenu qu’il ne livrerait plus de pétrole aux pays qui accepteraient ce mécanisme, une position réaffirméepar le vice-Premier ministre russe en charge de l’Energie.La Russie s’ étantdéjà tournée vers d’autres pays, en premier lieu la Chine et l’Inde, pour écouler ses stocks, leG7 aimaginé d’ autres mécanismes, en complément, pour éviter que laRussie ne bénéficie d’une hausse des cours. Depuis le 5 décembre 2022, le prix maximal du pétrole brut d’origine russe transporté par voie maritime est fixé à 60 dollars américains le baril. Les acheteurs qui ne respectent pas le prix plafond ne pourront pas obtenir de services, comme l’assurance des expéditeurs, de la part d’entreprises de l’un ou l’autre des pays membres de la coalition (les pays du G7 et l’Australie)qui contrôlent plus de 90% de ces segments d’assurance.Ce mécanisme du prix plafond a été conçu pour réduire les revenus de la Russie où selon l’Institut Montaigne , les ventes de pétrole russe ont atteint 179 milliards de dollars en 2021, contre 62 milliards pour le gaz. L’Union européenne était son plus grand partenaire commercial etselon l’Agence internationale de l’énergie, les recettes pétrolières et gazières représentaient environ 45 % des recettes du budget fédéral de la Russie en 2021.Le mécanisme selon ses concepteursdevrait permettre également de faire des ajustements, de façon à ce que le prix plafond puisse être ramené à la baisse. La coalition envisage également d’imposer, au début de 2023, un prix plafond semblable pour les produits pétroliers d’origine russe autres que le pétrole brut. Cela entre dans le cadre de lamise en œuvre intégrale des propositions de la Commission européenne « Ajustement à l’objectif 55 » afinde réduire de plus de116 milliards de mètres cubes, d’ici à 2030 des importations russe soit plus de 75%mais devant se tourner vers d’autres fournisseurset accélérer la transition énergétique expliquant le dernier accord à long termeentre le Qatar et l’Allemagne. Mais selon l’AFP leplafonnement pourrait avoir un effet limité à court terme : le cours du baril de pétrole russe (brut de l’Oural) évolue actuellement autour des 65 dollars, soit à peine plus que le seuil décrété.L’interdiction pourrait ne avoir des pour Moscou, où les exportations par canalisations représentent 92%contre 8% pour le GNL. Elle pourrait même avoir un effet pervers avec le risque de voir la pénurie d’hydrocarbure s’accroître en raison de la baisse de l’offrede pétrole russe (la Russie est le 2e exportateur mondial), et les prix de l’énergie augmenter à un tel point que le monde se retrouve pénalisé par ces sanctions renforçant la récession économique mondiale et l’inflation surtout des pays dépendant du gaz russe comme l’Allemagne,à un degré moindre la France grâce au nucléaire.En fin de compte le continent perdant étant l’Europe et les gagnants les USA qui ne dépendent pas du gaz russe,accroissant leur part de marchéet la Chine bénéficiant d’un bas prix des hydrocarbures. Avec les incertitudes dues aux facteurs géostratégiques et pas seulement économiques, il est presque impossible de connaître le prix dans six mois ou une année et plus ou plus, expliquant l’attitude de statu quo de l’OPEP lors de sa réunion du 04/12/2022

Et la stratégie énergétique de l’Algérie dans ce contexte mouvant ?

La stratégie future européenne pour ne pas dépendre fortement du gaz russe,sera d’accélérer à la fois la diversification de ses fournisseurs et surtout la transition énergétique. Le passage à une économie décarbonée devenant donc un véritable enjeu géopolitique où le gaz est perçu comme une énergie de transition indispensable, dans le cadre d’un mix énergétique. Dans ce cadre l’Algérie peut devenir un acteur stratégique au niveau de larégion méditerranéenne grâceà son potentielen énergies renouvelables avec plus de 3.000 heures d’ensoleillement par an.Selon les projections 40% de l’énergie d’origine renouvelable serait destinée à la consommation intérieure àl’horizon 2030/2035 etune partie destinée à l’exportation à travers des interconnexions électriques. Aussi, une politique de rationalisation de la consommation intérieuresobriété et efficacité énergétique parune nouvelle politique de subventions ciblées, l’encouragement d’investissement grâce à des partenariats gagnants -gagnantspeut accroitrecapacités d’exportations de gazpouvant passer de 43 milliards de mètres cubes gazeuxfin 2021 à 70/80 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2025/2027. L’Algérie peut aussi consolider ses capacités d’exportation vers l’Europe à travers la plus grandecanalisationsle gazoduc Transmed vers Italie d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes gazeuxet fonctionnant actuellement en sous capacités et le MEdgazd’une capacité 10 milliards de mètres cubes gazeuxplus les exportation en GNL ,à court terme pouvant accroitretoutau plus avec 4/5 milliards de mètres cubes supplémentaires, sans oublier le projet avec gazoduc transsaharien reliant le Nigeria à l’Algérie et l’idée derelancer du projet GALSI abandonné en 2012, dont les études de faisabilité existent mais devant seulement être réactualisées , ayant dirigé une mission pour le compte de l‘Algérie pour défendre ce projet d’une capacité de l’époquede 8 milliards e mètres cubes gazeuxestimé en 2012 à3 milliards de dollars du fait de travaux techniques complexes, projet qui avait été avorté par les élus de la Sardaigne.

En conclusion, au moment où s’est tenueen Italie le 03 décembre 2022 le ForumRome-MED, je livre sans aucune modifications aux lecteurs la synthèse de moninterventions sur le même sujetsans aucunemodification ,l’uneà la rencontre des experts au sommet France – Afrique tenu à Paris les 06/07 décembre 2013 reproduite dans larevue CAFRAD/UNESCO, la secondeau Sénat français à l’invitation du professeur JeanPierre Chevènementen juin 2015 concernant les enjeux énergétiques en Méditerranée et les relationsAlgérie Europe,où lesdynamiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux. L’énergie, particulièrement, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité.

A. M.

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