ContributionDébats

Le sommet sino-arabe et la reconfigurationdes relations internationales

Par le Pr. Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international en management stratégique

Dansla nouvelle reconfiguration mondiale la Chine entendêtre un acteur actif dans la sécurité régionale. Un nouveau rôle intimement lié à ses intérêts économiques.

C’est ce qui motive la récentes signature de différents accords de partenariats stratégiques avec les différents pays arabes dont l’Arabie Saoudite, son premier partenaire commercial, mais surtout son plus grand investisseur. C’est dans ce contexte que le sommet sino-arabe à Ryad. Or, la région du Golfe a été longtemps considérée comme une chasse gardée des Etats-Unis. Il faut donc s’attende à des réactions des USA dans cette confrontation géopolitique dans laquelle les grandes puissances se disputent les zones d’influence. La première contre-offensive est prévue en prélude ausommet USA/ Afriqueprévu du 13 au 15 décembre 2022. Lors de ce sommet, le président américain, Joe Biden, plaidera pour l’intégration permanente de l’Union africaine au G20, selon Judd Devermont, le directeur exécutif aux Affaires africaines du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche afin d’obtenir plus facilement la coopération de l’Afrique sur plusieurs questions telles que la guerre en Ukraine et le changement climatique, selon The Washington Post.

Crise multidimensionnelle

Il faut situercette rencontre entre la Chine et le mondearabe dans le nouveau contexte géostratégique mondial , dans le cadre desperspectives géostratégiques 2023/2030, avec des tensionsà plusieurs niveaux interdépendants à lafois militaires politiques, économiqueset sociaux. Nous ne devons pas oublier un facteur déterminant du XXIème siècle, le facteur culturel qui influe moyen terme sur les échanges économiques. C’est dans ce cadre qu’au cours de cette conférence des organisations médiatiques chinoise et arabe ont lancé selon leur communiqué « une initiative pour approfondir la coopération médiatique bilatérale et ainsi contribuer ensemble à cimenter l’amitié sino-arabe et à établir une communauté de destin sino-arabe ». Cette rencontre a lieu dans une contexte detensionsentre la Russie et l’Occident sur fond de guerre en Ukraine.Le monde ne sera plus jamais le même.La conjoncture actuelle se caractérise par des risques de crise alimentaire, la Russie et l’Ukraine représentant 33%les exportations mondiales de denréesalimentaires. La conjoncture est également marquée pardestensions en Asie, et une confrontation à distance USA/Chine concernant Taiwan. Au Moyen Orient, la situation est plus que jamais instable en raison bien entendu du conflit israélo-palestinien qui persiste et qui s’aggrave. Mais aussi en raison de l’instabilité au Yémen sans oublier la situation en Iran, ainsi que le dossier du nucléaire iranien dans lequel le président chinois s’implique. Les tensions affectent pratiquement tous les continents. En Afrique, les coups d’État alimentent l’instabilité politique dans bon nombres de pays africains. N’oublions pas non plus,les problèmes non résolusau Mali, en Libye et l’aggravation du risque terroriste au Sahel. En Amérique Latine, l’embargo des USA sur Cuba et le Venezuelaet récemment les tensions au Pérou avec la destitution du président sont sources d’inquiétude. Cette rencontre se tient sur fond decrise énergétique, sachant que la Chine est un des plusgrands importateurs de pétrole. Elle intervient aussi alors que le G7+Australie vient de décider de plafonner le prix du pétrole russe commercialisé par voie maritimeà 60 dollars. Problème beaucoup plus complexe, le projetproposé par l’Union européenne pour 2023 de plafonner également le prixde cession du gaz, risque de perturber le marché en profondeur.

Comme conséquence de toutes ces tensions nous devrions assisterpour 2023 selon le FMI et laBanque mondiale, àmoins d’une baisse de toutes ces tensions,à un reculde la croissancede l’économie mondiale notamment des deux poids lourds, la Chine et les USA avec une stagflation, combinaison d’une croissance faible et d’ une inflation élevée avec des tensions sur le marché de l’emploi. Une situation qui risque assurément d’alimenter encore plus les remous sociauxque les Etats essaient de calmerparle recours l’endettementpublic, le taux d’endettement dans certains pays dépassant les 100% du PIB,hypothéquant l’avenir des générationsfutures qui supporteront cet endettement.

La Chine bouscule les Etats-Unis sur ses zones d’influence traditionnelles

Routes de la Soie et BRICS

Le Sommet sino-arabe a abordé diverses questions, notamment celle liée au réchauffement climatique. Un sujet abordé récemmenten Egypteà l’occasion de la COP27 et qui risque d’avoir un impact important sur le monde arabe et l’Afrique posant un véritable problème pour la sécurité desNations. Car le réchauffement climatique est intimement lié à d’autre questions stratégiques à l’image de la sécurité hydrique et de la sécurité alimentaire.

Cette rencontre n’est pas indépendante de la stratégie de la route de la soie et de la dynamisation des BRICSdont la Chine entend être le leader.Pour la Chine, l’initiative chinoise de laroute de la soie, avec ses opportunités infrastructurelles et technologiques, est en mesure d’aider les pays arabes pour dynamiser leur économieet notamment ceux duGolfe de se libérer de leurdépendance au pétrole.Ainsi,lesÉmiratis et les Saoudiens pourraient accélérerla coopération avec la Chine afin dedévelopper leurs « ports intelligents » et améliorer leur efficacité opérationnelle. À Abou Dabi, le constructeur chinois de véhicules électriques intelligents NWTN est impliqué dans la constructiond’une usine de véhicules électriques. Avec des mégaprojets d’infrastructures et de passages commerciaux, les nouvelles routes de la soie comptent la construction de nouveaux ports, des milliers de kilomètres de voies ferrées, des routes, des oléoducs reliant l’Asie, l’Europe, l’Afrique et même des pays de l’Amérique latine, avec desmultitudes de connexions maritimes et terrestres et des corridors économiques devant faciliter les échanges commerciaux à partir et vers la Chine. Ce projet prévoit un axe routier et ferroviaire de 10 000 kilomètres de long reliant l’ouest de la Chine à l’Europe, ainsi que des investissements dans des dizaines de ports de par le monde. Le projet gigantesque inclut même de nouvelles routes vers l’Arctique.Quant à l’élargissement des BRICS, la Chine entend attirer de nouveaux pays,le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ayantrécemment annoncé l’idée des « BRICS Plus », un cadre qui résume cette intention d’ouvrir l’organisation à de nouveaux membres. Actuellementles BRICS avec la dominance de la Chine représententen 2022, environ25% du PIB mondialet plus de 45% de la population mondiale, sur 8 milliardsdont des pays qui possèdent l’arme nucléairela Russie, la Chine et l’Inde. Si cette évolution se confirme avec l’entrée de bon nombre d’autres pays, cela devrait modifier fondamentalement les relations internationales,nous orientant vers un monde multipolaire. Mais il faut être réaliste, l’Europey compris la grande Bretagne dont le PIBest de 3300 milliards de dollars,plus les USA totalisenten 2021, pour moins d’un milliard d’habitantsplus de 40% de larichesse mondiale.

Enjeux économiques

Quant aux relations économiques sino- arabes,il faut les situer dans leur véritable contexte. Les échanges représententen 2021 environ 330 milliards de dollars, enregistrant une augmentation de 37% par rapport à 2020, la conférence ayant décidé de les porter à 600 milliards de dollars . La Chine selon les prévisions du FMI devrait être la première puissance économique mondiale à l’horizon 2030. La Chine devrait clore 2022 avec un PIB de 19.900 milliards de dollars pour une population dépassant 1,4 milliard d’habitantset des réserves de change dépassant les 3500 milliards de dollars , mais la croissance devrait diminueren 2023 et se situer entre 2,8 et 3,2%.Le poids de tous les pays arabes dans la richesse mondiale représente à peineun neuvième du PIB chinois, le PIBcumulé étantd’environ 2.780 milliards de dollarsen 2021. Il est proche du PIB français de 2.937 milliardsde dollars en 2021 pour une population de68 millions,et largement inférieur àcelui de l’Allemagne avec 4.256 milliards de dollars pour une population de 83 millions en 2021.Les sixpays les plus riches du monde arabe en PIBcourantsontl’Arabie saoudite avec un PIBde 805 milliards de dollars, les Emirats arabes unis avec340 milliards USD, l’Egypte avecc362 milliards USD, l’Irak 190 milliards USD, le Qatar 166 milliards USD,et l’Algérie 160 milliards USD ( Le PIB projeté pour l’Algérie en 2022 est180 milliards USD). Pour la population totale du monde arabe estimée en 2021 à 430 millions d’habitants, nous avons d’importantes disparités :plus de 100 millions d’habitants pour l’Egypte, 45 millions pour l’Algérie, 42 millions enIrak ,36 millions en Arabie saoudite, 4,5 millions au Koweït et3 millions pour le Qatar.

Pétro-Yuans ?

Sur un autre volet ayant des incidences géostratégiques,: l’Arabie saoudite ayantclairement l’intention de se montrer plus autonome dans ses décisions, au cours de cette rencontreont été évoquél’éventualité de contrats pétroliers en yuansla Chine ayant acheté en 2021,plus de 25% des exportations de pétrole du royaume et si le prix de ces transactions était fixé en yuan, le pétrole saoudien pourrait aider le renminbi chinois à renforcer son statut de monnaie mondiale. Par ailleurs, une telle démarche pourrait créer un précédent et inciter d’autres pays riches en pétrole à suivre l’exemple pour fixerles transactions pétrolières en pétro- yuan ce qui serait une diminution dela domination américaine. C’est ce qui explique les mises en garde des USA, allié stratégique des pays du Golfe.Mais il faut éviter les utopies, tant dans les relations internationalesqu’économiques, il n’ y a pas de sentiments mais que des intérêts , l’Economie étant avant tout Politique. Le pouvoir tant américain que saoudien n’est pas homogène, donc partagé. La démarche de l’Arabie saoudite au sein de ‘l’OPEP+peut s’expliquer par de nombreux facteurs, notamment ceux liés à la situation politique au sein des Etats-Unis. Elle bénéficie de l’appui deslobbies pétroliers américains dont bon nombre exploite le pétrole saoudien,permettant d’engranger d’importants bénéfices et qui sont prochesdu parti républicain. Cela explique le retrait de l’accord de la COP21 de Paris de l’ex-président US Donald Trump. Ryad n’a pas la même posture vis-à-vis des démocrates qui, du moins leur majorité,entendent investir largement dans les énergies alternatives.

Les évolutions actuelles pousseront-elles l’Arabie saoudite à opter pour les pétro-yuans ?

Il faut dire qu’unepartiedu pouvoir saoudienestréticente à accumuler de grandes quantités de renminbis chinoiset selon bon nombre d’experts , ledollar est depuis longtemps la monnaie par défaut du marché de l’énergieet le riyal saoudien est indexé sur le dollar, ce qui signifie que toute faiblesse de cette monnaie se répercute sur la valeur duriyal.

Enfin il ne faut pas oublier les discussions secrètes sur l’armement oùles pays arabeset notamment ceux du Golfesont d’ importants importateurset cette rencontre rentre égalementdans cette stratégie chinoise de vente d’armes pour contrer les fournisseurs traditionnels en l’occurrence les USA qui est le plus grand pays exportateur . Selon le dernier rapport du Sipri (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), les 100 plus grandes entreprises du secteur ont totalisé un chiffre d’affaires global de 531 milliards de dollars soit une progression de 1,3% par rapport à 2019, avec un élément notable quiest la forte progression de la Chine qui s’impose comme un importantvendeur d’armes. Ensemble, les cinq entreprises chinoises de ce Top 100 ont vendu en 2020 pour 66,8 milliards de dollars d’équipements militaires, soit une augmentation de 1,5% en un an, représentant13% du total des ventes d’armes de l’année, derrièreles Etats-Unis (54%)où, la société Norincoa étéclassée 7emedes ventes mondiales, ayantco-développé le système de satellites de navigation militaire-civile BeiDouet a approfondi son implication dans les technologies émergentes. Nous avonsdeuxautres entreprises chinoises qui sontparmi les dix premières: Avic (Aviation Industry Corporation of China) en 8e place et CETC (China Electronics Technology Group Corporation) en 9e place Etparmi les principaux destinatairesdes exportations d’armes figure notamment la région du Moyen-Orient, où les importations ont augmenté de 25%, « principalement sous l’impulsion de l’Arabie saoudite (+61 %), de l’Égypte (+136 %) et du Qatar (+361 %), l’Arabie saoudite représentantà elle seule 24% du total des exportations d’armes des USA.

L’enjeu stratégique africain et arabe

Face cette offensive chinoise, des stratégies de ripostesontl’étudeau niveau des USA et de l’Europe, dont le sommet USA/Afrisue qui se tiendra du 13 au 16 décembre 2022 qui malgré quelques divergences tactiques ont le même objectif stratégique. C’est que lesespaces du Moyen Orient etde l’Afrique sont l’objetd’enjeuxgéostratégique, car ce sont des régionsrecelantd’importantespotentialités etrichesses.L’Afriquequi abritera un quartde lapopulation mondialeà l’horizon 2035 et représente un important marché. Les études économiques ont enregistré que le taux des échanges commerciaux intra-africains, ne dépasse les 11%, les optimistes donnant tout au plus 16% , étant l’un des taux d’intégration les plus « faiblecomparativement aux autres régions du monde. LaZone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) permettra-t-elle d’accroître ce taux , les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques ?Les pays arabes avec des idéologies , dessystèmes économiques et des alliances militaires différentes, , principaux obstacles, pour négocier en rapports de forcedoivent favoriserleur intégration économique , dont le tauxselon un rapport du conseil économique et social arabe serait pour 2019/2020se situe entre 11/12% pour un montant de 112 milliards de dollars, la majorité des échanges se faisant en dehors de la grande Zone Arabe de Libre Échange (GZALE), montrant ,loin des discours de fraternité, qu’il reste encore un long chemin àparcourir pour le développement des pays arabes.

A.M.

*Cette présente contribution est une synthèse de deux de mes interventions, l’une le 09 décembre 2022 à Radio Algérie Internationale, l’autre le 10 décembre la télévision internationale Alg24 News de 19h30 à 20h, avec deux experts , l’un européen , l’autre chinois,sur les relationsentre la Chine et le Monde arabeà l’occasion de la tenue en Arabie Saoudite, en ce début de décembre 2022,du sommet sino-arabe en présence duprésident chinois Xi Jinping .

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