ContributionDébats

L’urgence de la maîtrise de la gestion des projets

Par Pr. Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et docteur d’ Etat 1974 enmanagement stratégiqueest expert international. Il a été officier d’administration de la route de l’Unité Africaine 1972/1973. Il a également été expert-comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille France et haut magistrat premier conseiller et directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983.

La maitrise de la gestion de projets est une réelle problématique en Algérie. Selon les données officielles du Premier ministère à fin 2021, les assainissements des entreprises publiques ont coûté au trésor public les trente dernières années25 milliards de dollars et les différentes réévaluations durant les dix dernières années ont coûté entre 60 et 70 milliards de dollars selon les fluctuations des cours.

Pour l’autoroute Est-Ouest , comment ne pasrappeler que l’Armée Nationale Populaire a pu réaliser , au momentoù j’ai eul’honneur d’être l’officier d’administration de laroute de l’Unité africaine,l’axe Ghardaïa-Ain Salah via El -Goléa, aux normes internationales avec des coûts compétitifs. Comment, dès lors,expliquer le coût de l’autoroute Est-Ouest, qui es passé d’un coût initial prévu de 7 milliards de dollars àplus de15 milliards de dollars en 2015 selon la déclarationdu Premier ministre de l’époqueet qui se terminerait avec toutes les annexesà environ20 milliards de dollarsrenvoyant à la faiblessedu amangemnt stratégique qui concerne bon nombre de secteurs ?

LePremier ministrea présidé, le15 février 2023, une réunion du Gouvernement au cours de laquellele ministre des Travaux publics, de l’Hydraulique et des Infrastructures de base a présenté une communication portant surla situation des projets autoroutiers, l’état d’exécution et lesconditions d’achèvementetde mise en service des stations de péagede l’autoroute Est Ouest . Il est utile de rappeler que dans les années 2000, aprèsde vifsdébats le gouvernement a opté pour le financementintégral par l’Etat pourl’autoroute Est-Ouest ayant écarté la formule du BOT. Et après plusieurs années il a été constatéplusieurs dépassements, des comportements frauduleux etdes pratiques malsaines. À l’avenir, lesresponsablesdoiventmentionner le coût final du projet de l’autoroute Est-Ouestendistinguantla partiedevises et la partiedinars en référence aux normes internationales comparables. Pour éviter toutes supputations nuisibles au pays, les responsablesdoivent donner le coût exact defin 2022 àfin 2023.Ayant eu à analyser ce dossier, je n’ai pas attendu ces constatsrécents.En 2008,j’avais attiré l’attention des pouvoirs publics sur les coûts exorbitants(voir – A. Mebtoul www.google.com 2008- 2010).Concernant le péage selon différents ministres (source APS),il devait se faire en 2015, puis en 2018, puis en 2020, puis en avril 2022, puis en juin 2023 et maintenantselon l’agence APS, les travauxvont être finalisés en début de 2024.Quant àla réalisation de 24 liaisons autoroutières permettant de relier les chefs-lieux de wilayas et les ports, totalisant environ 3.249 km, des dispositions vont être prises pour la priorisation de chaque pénétrante de manière à les livrer le plus tôt possible, et de mettre à disposition les fonds nécessaires pour les finaliser et les livrer. Cependant, il faudra répondre à trois questions pour le péage : faut-il instaurer sur les 1 216 km de l’autoroute ou sur les tronçons les plus usités ?faut-il confier l’exploitation de l’AEO à une entreprise étrangère combinée avec des opérateurs algériensetà quel montant fixer le péage ? Certaines étudespenchent pour un tarif de 1,2 dinar (DA) du kilomètrequi financerait uniquement l’entretien courant et la sécurité de l’ouvrage. Mais ce tarif serait faible si l’on prenden considération l’amortissement de l’autoroute.Certains préconisent un prix à2 DA lekilomètre.

Un coût exorbitant au kilomètre

L’autoroute Est-Ouest n’a pas modifié le paysage routier national puisqu’elle a pour l’essentiel suivi le tracé des nationales 4 et 5, qui rallient Alger à Oranet Alger Constantine . En revanche, elle a bouleversé la vie économique des 19 wilayas directement traversées et des 24 desservies. Onze tunnels devaient être percés sur deux fois trois voies et 390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre les frontières tunisiennes, à l’Est, et marocaine, à l’Ouest, et réaliser l’autoroute trans-maghrébine.Suite à de nombreuses observations, en sus des automobilistes, qui s’étonnait de voir un tel mégaprojet livré parcimonieusement et de surcroît dépourvu d’équipements annexes comme les aires de repos, les stations-service et les stations de péage , le programme d’équipement consistaiten la réalisation de 42 stations-service, 76 aires de repos (motels, aires de stationnement, aires de jeux…), 57 gares de péage, 70 échangeurs et 22 postes de garde de la gendarmerie et autant de points de garde de la Protection civile.On oublie souvent qu’une route s’entretient et selon les normes internationales, cela varie entre 80.000 et 120. 000 dollars/an. De 7 milliardsau début du projet, puisà 9 milliards de dollars , selon les données reprises par l’APS, selon le ministre du secteur ( source APS),la construction de l’Autoroute Est-Ouest a été achevée à 85% en 2013 avec un cout fin 2013de 11 milliards de dollars, puis autre déclaration du ministre du secteurfin 2015, le coût a été arrêtéà 14 milliards de dollars. Un conseil interministériel présidé par le premier ministre de l’époque le 24 août 2019 accroît encore le montant à plus de 15 milliards de dollars, montrant la non maîtrise de la gestionde ce projet et selon certaines estimations internationales , pour fin 2022, le coût du projet serait d’environ de20 milliards de dollars. C’est que les sous-traitants qui se sont engagés à finaliser certains tronçons n’ont pas terminé dans les délais, bien qu’ils aient été payés, avant le contrôle final ,avec des malfaçons, oùaux premières pluies, nous avons assisté à des le délabrementsavec du bitume qui se détache, des nids-de-poule qui se creusent et des glissements de terrain qui obstruent les routes. La corruption entachant l’autoroute est-ouest a été à l’origine de son état de délabrement avancé. Que l’on visite l’axe d’Est à l’Ouest et l’on constatera des dégradations sur plusieurs dizaines de km et à quel coût ces travaux additionnels ? Ainsi lecoût moyen d’un kilomètre de l’autoroute Est-Ouest pour un coût respectif de 7 milliards de dollars, puis 11, puis de 20 milliards de dollars, serait passé en moyennede 6 millions de dollars le kilomètre, à 9, puis à 16 millions de dollars ? loin des normes internationales contraintes comprises. En Espagne, au Portugal, au Danemark et en Suède, le coût au kilomètre varie entre 2 et 3 millions de dollars , selon certaines études publiées par des États européens, alors que le coût de revient en France et en Allemagne se situe dans une fourchette intermédiaire de 4 à 6 millions de dollarspour le kilomètre, contraintes comprises. Mais pour des comparaisons , il faut comparer le comparable. En Algérie, tous les facteurs sont favorables. La main-d’œuvre est au moins 10 fois moins chère qu’en Europe ; il n’y a relativement presque pas d’intempéries ; les matériaux utilisés en grande quantité, les agrégats (tuf, sables et graviers) ne coûtent pratiquement que leurs frais d’extraction et le concassage, le carburant est 5 à 7 fois moins onéreux, les loyers, l’électricité et le gaz aussi, les occupations temporaires de terrains qui coûtent des fortunes en Europe ne sont même pas payantes en Algérie lorsqu’il s’agit de terrains relevant du domaine public. Mais il y a des problèmes administratifs et des procédures bureaucratiques sans compter les expropriations et les démolitions qui sont sources de surcoûts. Le guide de management des grands projets d’infrastructures économiques et sociales élaboré par la Caisse nationale d’équipement pour le développement (Cned) et la soumission de toute réévaluation des projets au-delà de 15%, à l’aval du Conseil des ministres, a-t-il contribué à affiner l’action des pouvoirs publics en matière d’efficience des dépenses publiques ?

Aux sources des surcoûts

À l’origine de ces surcoûts figurent des études techniques non maîtrisées , des retards nécessitant des réévaluations excessives des coûts, un mode de financement favorisant le gaspillage des deniers publics et la corruption. Cela montre la non-maîtrise du suivi des projets et de la gestion de la dépense publique. Or, toutprojet doit montrer clairement la hiérarchie des objectifs, les résultats escomptés par secteur, ainsi que la portée, les indicateurs de performance, les indicateurs des objectifs et des échéanciers précis et enfin l’hypothèse de risques. Or, lecontrôle de la qualité de gestion doit avoir pour finalité l’appréciation des conditions d’utilisation et de gestion des fonds gérés par les services de l’Etat, les établissements et organismes publics et enfin, l’évaluation des projets, programmes et politiques publics où souvent on constatel’absence de maîtrise dans la gestion des projets qui font l’objet de surcoûts et de réévaluations permanentes, d’où la faiblesse de l’impact de ces projets en termes de rentabilité et de retour d’investissements. Les déficiences observées dans le processus budgétaire et les goulets d’étranglement institutionnels ont entraîné systématiquement une mauvaise exécution des programmes d’investissement. Toutes ces insuffisances ont abouti à une mauvaise programmation, à la surestimation des dépenses et à de longs retards dans la réalisation Parmi les carences importantes observées dans ce registre, le décalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles, l’absence d’interventions efficaces dues à un morcellement du budget résultant de la séparation entre le budget d’investissement et celui de fonctionnement et les écarts considérables entre les budgets d’investissement approuvés et les budgets exécutés. Ce qui témoigne de la faiblesse de la capacité d’exécution des organismes concernés. L’expérience récente de premiers ministres, d’un ministre de la justice et des finances en prison pour corruption, qui donnaient des leçons de patriotisme à la populationen lui demandant deserrer la ceinture,montrentoutre que la Cour des comptes n’a pas rempli son rôle entre 2000/2020 dans le contrôle des deniers publics, sa principale mission,que des institutionsdépendant de l’Exécutif , étant juge et partie sont inefficaces. Sans une gouvernance rénovée, une visibilité et cohérence de la politique socio-économique, le contrôle budgétaire sera un vœu pieux avec un impact limité.Les nombreuses faiblesses trouvent leur origine dans la faiblesse dela préparation technique du personnel d’exécution et la qualité des projets qui sont généralement faibles et inégales et le chevauchement des responsabilités entre les diverses autorités et parties prenantes. Sil’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé posantla problématique de la transparence des comptes,car sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas, les analysesdes institutions de contrôle se trouventbiaisées. Dans les administrations, c’est encore plus grave  car elles reposent sur une comptabilité publique des années 1970, où on ignore les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Un contrôle doit être globaldevantconcerner en plus du contrôle routinier des services de sécurité, l’ensemble de la société supposant un Etat de droitet la réhabilitation du contrôle de la société civile, du Parlement, de la Cour des comptes, institution dépendante de la présidence de la République, devant éviterde créer d’autres institutions decontrôle qui se télescopent.

A. M.

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