ContributionDébats

Pour une nouvelle politique de subventions ciblées

ParAbderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et expert international

Le problème des subventions ciblées revient au gré des jours. Le dossier a été évoqué depuis plus de 30 ans par différents gouvernements. Dans son Plan d’action, le Gouvernement actuel a fixé l’objectif de cibler les subventions.Cette présente contribution est une brève synthèsed’un rapport actualisé sous ma direction assisté de 15 experts algériens remis à l’ancien gouvernement le 14 septembre 2012 sur une nouvelle politique des subventions notamment dans le domaine énergétique, dont les recommandations n’ont jamais été appliquées.

 Une politique des subventions ciblées supposent une autre gouvernance et un système d’informations fiable en temps réel. Or la principale problématique réside dans es déclarations contradictoires sur la masse monétaire au niveau de la sphère informelle. Selon les informations données par le président de la République, à la fin 2020 entre 6.100 et 10.000 milliards de dinars soit au cours de 137 dinars un dollar entre 44,52 et 72,99 milliards de dollars circulent en dehors des circuits bancaires. Le président de la République déplore l’absence d’un système d’information fiable ce qui peut fausser toute politique économique. LePIB d’après les estimations du CEOWorld Magazinede l’Algérie pour 2022 devrait s’établir à 193 milliards de dollars contre 163 en 2021 . Au niveau des subventions, la loi de finances 2022 faisaitressortir un montant qui avoisine en moyenne 3.250 milliards de dinars par an sur la période 2012-2017 (soit environ 19,3% du PIB)et pour 2022,lemontant des subventions étaitestimé à 1.942 milliards de dinars, près de 14,3milliards de dollars au cours 137 dinars un dollar , soit 19,7% du budget de l’Etat contre 24% en 2021.En 2022, ilétait prévuune enveloppe financière supérieure à 624 milliards de dinars mobilisée au profit de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) 105 milliards de dinars pour le soutien à l’énergie, 89,76 milliards de dinars pour le lait, 83,5 milliards de dinars pour l’huile et le sucre, 15,3 milliards de dinars pour la solidarité et 1,97 milliard de dinars pour les dépenses alimentaires. Pour 2022, en plus de l’alimentation des caisses de retraite financées par 3% de la taxe pétrolière ce qui donne environ 63 milliards de dinars, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions et que les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions.Et selon la loi de finances 2023 en plus dumontant total des transferts sociaux qui dépasse les 5.000 milliards de dinars soit 36,50 milliards de dollars , l’Etat a prévuune augmentationdes dépenses au profit d’une nouvelle hausse des salaires des fonctionnaires de 23,55% par rapport aux montants injectés au titre de l’exercice 2022,l’Etat devantmobiliser une enveloppe de 3.037,41 milliards de dinars durant l’année 2023, ce montant incluant l’accompagnement des employés des filets sociaux et la transformation de leurs contrats en CDI où laprise en charge des travailleurs du filet social et leur transfert vers la catégorie des salariés sous contrats à durée indéterminée nécessitera un effort budgétaire de 160 milliards de dinars. La masse salariale globale devrait atteindre 4.629 milliards de dinars durant l’année 2023, représentant47,39% du budget total dédié au fonctionnement. En plus de la nouvelle revalorisation des salaires des fonctionnaires, il est prévu également, dans le projet de budget pour 2023, un relèvement de l’allocation chômage, en application des dernières orientations du Président de la République,l’Etat devantmobiliser 292 milliards de dinars où pour l’instant on ne parle pasdurelèvement du point indiciaire de la Fonction publique qui nécessiterait une enveloppe budgétaire de 300,11 milliards de dinars.

De l’inefficacité des subventions

Les subventions octroyées coûtent au Trésor public un différentiel qui reste mobile en fonction des fluctuations du prix d’achat de la matière première sur les marchés mondiaux. Toutefois, le Trésor public paie ce différentiel, quel que soit son niveau. Les subventions les plus importantes supportées par le Trésor sont les subventions des carburants et de l’électricité. L’Algérie est classée parmi les pays où le prix du carburant est le moins cher au monde. Mais conserver cette politique coûte de plus en plus cher. Sans entre exhaustif, nous avons les subventions du prix du pain, de la semoule et du lait où bon nombre d’Algériens vivent dans la pauvreté se nourrissant essentiellement de pain et de lait ce qui traduit une fracture sociale. Les subventions de l’eau, renvoyant au problème de la tarification de l’eau qui se pose, à peu près, dans les mêmes termes que les carburants. Son prix de cession demeure faible malgré des coûts croissants (investissement additionnel) plus importants pour l’eau dessalée qui nécessite de lourds investissements, problème aggravé par les déperditions du réseau de distribution (45 à 50% de pertes, en moyenne nationale), le différentiel étant payé par l’Etat. Pour le système de santé, les subventions supportées par l’Etat sont importantes… Pour le transport, il n’y a pas uniformité devant distinguer le transport par rail subventionné, des autres moyens. Pour Air Algérie, du fait d’une gestion défectueuse et de sureffectifs, les coûts sont de loin plus élevés par rapport aux normes internationales.Nous avons la charge financière du transport des étudiants, de la restauration et de l’hébergement des étudiants internes sans distinction ce qui se répercute sur la gestion des œuvres universitaires comme les frais de la carte d’abonnement annuel du transport universitaire ou le prix de la restauration qui date des années 1970. Qu’en sera-t-il avec plus de 3/4 millions d’étudiants à horizon 2025.

Au-delà de ces subventions de nature sociale, il y a les subventions économiques qui se traduisent en dépense fiscale. Nous avons les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d’investissement (Andi, Ansej)qui profitent aux entreprises y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages (exportation et création de valeur ajoutée interne). À cela s’ajoutent, selon l’APS citant le premier ministère(donc source officielle) ,les assainissements répétés aux entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public, selon un rapport du Premier ministère, repris par l’APS, le 1er janvier 2021, ces trente dernières années, plus de 25 milliards de dollars de quoi créer tout un nouveau tissu productif et dont plus de 80% sont revenus à la case départ et les différentes réévaluations qui ont été évaluées entre 2005-2020, à 8 900 milliards de dinars soit au cours moyen de 137 dinars un dollar environ 64,96 milliards de dollars: continuer sur cette voie est un suicide collectif.

Gouvernance et efficacité

Il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les stratèges militaires, l’efficacité d’une nouvelle politique des subventions étant tributairedela gouvernancepour plus de cohérence et de visibilité de la politique économique et sociale, une lutte contre la corruption et les surcoûts est nécessaires. Aussi, se pose cette question stratégique pour l’Algérie en cas de baisse du cours des hydrocarbures. Le budget étant toujours tributaire des recettes hydrocarbures, l’Etat pourrait ne pas avoir les moyens de continuer de financer ces subventions généraliséescomme le montre l’accroissement du déficit budgétairesource d’inflation,étant estimé dans les prévisions de 2023 à5.884,9 milliards de DA (-22,5% du Produit intérieur brut), soit42,95 milliards de dollars, au coursde décembre2023 alors que pour l’exercice de 2022, le montant étaitde 4.175,21 milliards de dinars, soit 30,47 milliards de dollars au cours de décembre 2021. Ce déficit serait plus important si le gouvernementn’avait pasdéprécié le dinar tant par rapport à l’euro qu’au dollars , cette dévaluation qui ne doit pas son nom gonflantla fiscalité hydrocarbureset les taxesimportations, reconvertis en dinars .La valeur du dinara subi une forte dépréciation au cours des 50 dernières années. Il est passé d’une cotation administrative de 5 dinars pour un dollar dans les années 1970, à 45 dinars un dollaren 1994 après la cessation de paiementet les accords avec le FMI, puis à76/80 DA pour un dollar dans les années 2000-2004 et la cotation au 15 février 2023est de 136,6615 DA pour un dollar et 146,4461,DA pour un euro. Sur le marché parallèlelecours d’achatestde 22.100 DA pour 100 euros.Avec les pénuries dont celui des pièces détachées,les prixs’alignent sur celui du marché parallèle. Outre l’impact sur les coutsde production, du faitde l’extériorisation de l’économie algérienne dutaux d’intégration qui ne dépasse pas 15%, l’instabilité juridique et monétaire favoriseles actions spéculatives sur les devises et freine la visibilitéà terme dansl’opportunité du lancement de projets créateurs de valeur ajoutée dont le retour en capital est à moyen et long terme. Comme se pose actuellement l’alimentation des caisses de retraite le déficit ayant approchéles 700 milliards de DA, fin 2021 une fraction du déficit ayant été épongé par la rente des hydrocarbures pour le ramener fin 2022 à 376 milliards de dollars, mais cela est une solution conjoncturelle. Le recours à la planche à billets est-elle la solution, solution qui a d’ailleurs été écartée par le gouvernement. J’avais préconisé au gouvernement en septembre 2012, l’instauration d’une Chambre nationale de compensation indépendante, qui devrait permettre des subventions ciblées, par un système de péréquation intra-socioprofessionnelle et interrégionale.

Un facteur de stabilité sociale

Aussi, il y a lieu d’éviter les effets d’annonce car cette opération est techniquement impossible sans un système d‘information fiable en temps réel, mettant en relief la répartition du revenu national par couches sociales et par répartition régionale pour éradiquer les zones d’ombre: quelle est la répartition spatiale des richesses en fonction des populations; combien de personnes et d’entreprises payent leurs impôts en fonction de leurs revenus réels; combien sont-ils à percevoir moins de 20 000 DA par mois net? Combien sont-ils à toucher entre 30 000 et 50 000 DA ?Combien sont-ils à être payés entre 50 000 et 100 000 DA et combien 200 000 dinars et plus? En Algérie,tout le monde, de ceux qui gagnent le SNMG aux chefs d’entreprise nationaux ou étrangers, bénéficie des prix subventionnés. Pour les pouvoirs publics, ne voulant pas de remous sociaux, les subventions, tant qu’il y a la rente des hydrocarbures, constituent un tampon pour juguler la hausse des prix internationaux, avec ce retour à l’inflation car en dehors des subventions, le taux d’inflation réel dépasserait largement 15/20%. Ainsi, toutes les lois de finances de 2000 à 2023, proposent des mesures qui ont pour finalité de pérenniser la politique de l’Etat, en matière de subvention des prix des produits de large consommation. Or, comme je l’ai analysé dans plusieurs contributions nationales et internationales, le montant des subventions et des transferts sociaux par an, très important par rapport au PIB, a eu un impact peu perceptible au niveau de la population. Les subventions généralisées faussent l’allocation rationnelle des ressources rares et ne permettent pas d’avoir une transparence des comptes, fausse les normes de gestion élémentaires. Les prévisions, tant au niveau micro que macroéconomique, aboutissent au niveau des agrégats globaux (PIB, revenu national) à une cacophonie additionnant des prix du marché et des prix administrés. Ils découragent la production locale avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays. Comme se pose cette question stratégique: qu’en sera-t-il avec après le dégrèvement tarifaire pour les zones de libre-échange avec l’Afrique, le Monde arabe et avec l’Europe horizon dont la révision de certains articles est toujours en négociation sans compter la volontédu gouvernement d’une éventuelle adhésion à l’OMC ?

En résumé, les tensions socialessont atténuées par des subventions et transferts sociaux, mais mal gérés et mal ciblées, ces derniers ne profitent pas toujours aux plus démunis. Il y a urgence de réformer le système, tout qu’il est urgent de garantir la prospérité par l’émergence d’une économie hors-hydrocarbures et ce, pour le bien-être de l’Algérie et des générations futures.Il s’agit de mettre fin au cancer de l’économie de la rente qui se diffuse dans la société par des subventions généralisées et des versements de traitements sans contreparties productives. La concentration excessive du revenu national au profit d‘une minorité rentièrerenforce le sentiment d’une profonde injustice sociale, l’austérité n’étant pas partagée, et induit des schémas de pensée négatifs, les populations cherchant leur part de la rente, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif. Or, une nation ne peut distribuer plus que ce qu’elle a produit auquel cas, c’est la dérive économique et sociale.

A.M.

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