Rapport de la Cour des comptes sur l’avant-projet de loi portant règlement budgétaire de l’exercice 2020 / Amendes judiciaires : le difficile recouvrement
Le recouvrement de la fiscalité et des droits pose apparemment toujours problème. Dans son rapport d’appréciation sur l’avant-projet de loi portant règlement budgétaire pour l’exercice 2020, la Cour des comptes a fait remarquer que « le recouvrement des droits constatés est faible privant le Trésor public de recettes ». Les « restes à recouvrer » ont atteint au 31 décembre 2020 le montant de 13.838,57 milliards de dinars dont 8.001,84 Mrds de DA au titre des amendes judiciaires, ce qui représente un taux de 57,82%.
La situation n’a pas évolué depuis quelques années. Les « restes à recouvrer » représentent un lourd manque à gagner pour les recettes de l’Etat. Plus de la moitié des dettes relatives à la fiscalité et aux droits concerne les amendes judiciaires. Dans son rapport d’appréciation sur l’avant-projet de loi portant règlement budgétaire de l’exercice 2020, dont nous détenons une copie, la Cour des comptes estime que le taux de recouvrement durant l’exercice 2020 n’a été que de 0,01%, soit un montant de 0,80 milliards de dinars. Ainsi, si les restes à recouvrer relatifs aux amendes judiciaires au titre de l’exercice 2020 (8.001,84 Mrds de DA), ont enregistré une diminution de 4,05% (-337,65 Mrds de DA) par rapport à 2019 et 2,99% (-246,56 Mrds de DA) par rapport à 2018, ce n’est pas en raison d’une amélioration du taux de recouvrement mais c’est plutôt lié à l’annulation d’un montant de 344,63 Mrds de DA. En 2018 déjà, le ministère de la Justice avait instruit les tribunaux pour « coordonner leurs actions avec la direction des impôts notamment », à l’effet de « contraindre les contrevents à s’acquitter de leurs amendes et frais de justice », mais en vain selon toute vraisemblance, puisque ce chiffre ne semble pas avoir évolué depuis. Au mois d’avril de l’année passée, trois arrêtés interministériels ont été publiés dans le Journal officiel dans le cadre de l’ « amélioration des moyens de recouvrement des frais de justice et des amendes pénales ». Le bilan de l’efficacité de ces textes de loi se fera probablement d’ici la fin de l’année.
Pour ce qui est des dettes fiscales d’impôts et taxes, les restes à recouvrer en dehors des amendes judiciaires, il a été à fin 2020 de 5.821,13 milliards de DA (42,06%), en plus de 15,60 milliards de DA (0,11%) au titre des taxes parafiscales. Les restes à recouvrer enregistrés chez la Direction des grandes entreprises (DGE) sont de 209,623 milliards de DA. Le plus gros donc concerne les directions de wilayas. Dans le même ordre, « la Cour des comptes a relevé en 2020 et de manière récurrente la prédominance des recouvrements par mode de retenue à la source et de paiement spontané ». A titre d’exemple, « l’IRG salaire procure, à lui seul, 785,797 milliards de DA sur un total de 867,204 Mrds de DA de recettes de cette catégorie d’impôt ». Par ailleurs, il y a « des prévisions peu maîtrisées au niveau de certaines catégories d’impôt, en dégageant des moins-values importantes ». La Cour des comptes a cité « les produits sur le revenu global –autres catégories (-35,09%, soit un montant -44 Mrds de DA), l’impôt sur les bénéfices des sociétés (-19,72%, soit un montant de -79,68 Mrds de DA), produit de l’enregistrement et du timbre (-15,63%, soit un montant de 13,43 Mrds de DA) et les produits des contributions indirectes (-78,24%, soit un montant de -22,27 Mrds de DA) ». Ainsi, « les recettes, en provenance de certains impôts et taxes et à l’instar des deux exercices précédents, demeurent en deçà des attentes (l’IBS et l’impôt sur la fortune), au détriment du principe de l’égalité devant l’impôt ». Une « faiblesse dans les montants recouvrés pour ces deux catégories d’impôts » qui s’explique, selon la même source, « particulièrement par les difficultés rencontrées par les services de l’assiette fiscale dans la détermination de la matière imposable », et ce, « en raison, notamment du manque de recensement périodique, de la récurrence des phénomènes d’évasion et de fraude fiscales et le non élargissement des opérations d’inspection ».
La Cour des comptes fait remarquer, à cet effet, que « les procédures de recouvrement intentées par les services de poursuite sont dominées par les procédures administratives et le recours limité aux procédures liées à la fermeture temporaire, la saisie et la vente ». « Ces dernières ne représentent qu’une proportion insignifiante (1,88%) par rapport au montant recouvré par le biais des rôles » ajoute-t-on encore. Il est indiqué dans ce rapport que « l’utilisation des moyens de coercitions mis à la disposition de l’administration fiscale s’est limitée dans la plupart des cas, à l’envoi de commandements aux contribuables concernés afin d’éviter la déchéance quadriennale des créances du Trésor public ». « Le nombre de ces avis a atteint, 251.315 en 2020, soit 71,57% de l’ensemble des procédures », signale-t-on encore, alors que le nombre « des autres moyens plus contraignants comme la saisie, la fermeture, la vente et l’action en justice » sont « insignifiant », puisque « le nombre d’actions de justice déposées, en 2020, par l’administration fiscale n’est que de 205 actions ».
Le nécessaire élargissement de l’assiette fiscale
Pour la Cour des comptes, « les procédures de recouvrement appliquées par les services de l’administration fiscale, sont contrariées par l’existence des difficultés, notamment l’absence d’échanges d’informations avec les banques et les institutions financières ». Il y a également « l’insuffisance dans le suivi des contribuables inscrits dans le fichier national des fraudeurs pour cause de fraude et d’escroquerie, d’utilisation de faux noms ou de noms appartenant à des personnes décédées sans laisser de biens saisissables et les difficultés d’application de la coercition physique prévue à l’alinéa 8 de l’article 303 du code des impôts directs et taxes assimilées ».
En dernier lieu, la Cour des comptes a estimé qu’ « une amélioration constante de la rentabilité des impôts et des taxes », nécessite « un système fiscal plus efficace et plus équitable qui permet la réduction des comportements illégaux et le respect des obligations fiscales ». Il est question aussi, de « l’élargissement de l’assiette fiscale » ce qui « requiert l’utilisation de moyens plus efficaces et la généralisation de l’utilisation des TIC ». De plus, « en vue d’améliorer le rendement des services fiscaux et de lutter contre l’évasion fiscale, ces derniers doivent adopter une gestion basée sur l’approche par les risques (répartition des ressources de l’administration fiscale selon la cartographie des risques des recettes) ». Outre « la poursuite des efforts visant la maîtrise de l’assiette des ressources ordinaires », la Cour des comptes recommande en définitif « le parachèvement des opérations de classification des dettes fiscales selon leur recouvrabilité et l’adoption d’une démarche basée sur la performance qui fixe à chaque gestionnaire des objectifs en matière de recouvrement des recettes fiscales à atteindre et des indicateurs permettant l’évaluation des résultats atteints en la matière (Directions des impôts de wilayas et DGE) ».
Elyas Nour