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Développement de l’industrie pharmaceutique en Algérie : Une expérience réussie

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international.

L’industrie pharmaceutique est le secteur économique qui regroupe les activités de recherche, de fabrication et de commercialisation des médicaments pour la médecine humaine et animale. Cette présente contribution sur un sujet extrêmement sensible doit beaucoup à de nombreux amis praticiens et de professeurs d’université de médecine et de sociologie, que je tiens vivement à remercier

Dans un rapport en date du 19 juillet 2022, l’OMC souligne que le total des importations et des exportations de produits médicaux au niveau mondial est passé de 2.028 milliards de dollars en 2019, est passé à 2.654 milliards de dollars en 2021, avec un taux de croissance annuel de 14,4% . Replacé dans le contexte mondial, le marché du médicament est dominé de très loin par les États-Unis (45 % des ventes mondiales), devant la Chine (8,3 %), le Japon (7,8 %), l’Allemagne (7,8 %) et la France (3,7 %). La région MENA avec 27 Mds de $US représente à peine 2,1% de part du marché mondial. L’épidémie de Covid-19 a mis en lumière la dépendance de l’industrie pharmaceutique de nombreux pays vis-à -vis de ses fournisseurs chinois et indiens, qui produisent 60 à 80% des principes actifs pour des traitements aussi vitaux que les antibiotiques, les anticancéreux et les vaccins. Ainsi, l’industrie pharmaceutique en Inde devrait atteindre 65 milliards de dollars d’ici 2024 et 120 milliards de dollars d’ici 2030 étant évaluée en 2022 à 50 milliards de dollars, étant un exportateur majeur de produits pharmaceutiques, avec plus de 200 pays desservis par les exportations. Linde fournit plus de 50 % des besoins de l’Afrique en génériques, environ 40 % de la demande de génériques aux États-Unis et environ 25 % de tous les médicaments au Royaume-Uni, représentant également environ 60 % de la demande mondiale de vaccins et est l’un des principaux fournisseurs de vaccins DTC, BCG et contre la rougeole. 70% des vaccins de l’OMS (conformément au calendrier de vaccination essentiel) proviennent d’Inde. Les dix plus grands laboratoires sont par ordre décroissant : Pfizer (USA) : 100,0 milliards de dollars ; Johnson & Johnson (USA) : 95,0 milliards de dollars – Roche (Suisse) : 63,3 milliards de francs suisses – Merck & Co (USA) : 59,3 milliards de dollars — AbbVie (USA) : 58,1 milliards de dollars — Novartis (Suisse) : 50,5 milliards de dollars – Bristol-Myers Squibb (USA) : 46,2 milliards de dollars – Sanofi (France) : 42,3 milliards d’euros – Astra-Zeneca (Royaume-Uni) : 44,3 milliards de dollars – GSK (UK) : 29,3 milliards de livres (pounds). Nous avons d’autres grands laboratoires pharmaceutiques globaux comme Takeda Pharmaceutical (Japon), Eli Lilly (28,5 milliards de dollars en 2022 et certains grands laboratoires pharmaceutiques chinois (ex. Sinopharm) actifs surtout dans les vaccins pourraient intégrer cette liste.

Médicaments contrefaits : la menace !

Cependant, nous assistons au développement de médicaments frauduleux et d’après l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), un investissement de 1.000 euros dans les médicaments contrefaits génère un bénéfice de 200.000 à 400.000 euros. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 10 à 15% des médicaments qui circulent dans le monde sont des médicaments falsifiés y compris les psychotropes fabriqués dans des laboratoires clandestins, qui mettent en danger la santé de ceux qui les utilisent. Une étude du World Economic Forum estime que le chiffre d’affaires mondial des faux médicaments représente 10 à 15% du marché pharmaceutique, soit 100 à 150, voire 200 milliards de dollars. Ces faux médicaments selon un rapport de l’ONU publié fin 2021 sont estimés à 605 tonnes de produits médicaux faisant l’objet d’un trafic qui ont été saisies rien qu’en Afrique de l’Ouest et sont à l’origine d’un demi-million de décès en Afrique subsaharienne . L’un des principaux obstacles à la lutte contre le phénomène réside dans le fait que, trop souvent, la contrefaçon et le piratage sont considérés comme des infractions qui ne font pas de victimes, alors qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une criminalité organisée transnationale, gérée par des entreprises criminelles vastes et complexes. Selon Interpol, le trafic de médicaments est jusqu’à dix à vingt fois plus lucratif que celui d’héroïne. Selon une étude du Forum économique mondial, les médicaments contrefaits génèrent 120 à 160 milliards d’euros chaque année. Ce montant, qui a triplé en l’espace de 5 ans, représente 10 à 15 % du marché pharmaceutique mondial, où un investissement de 1000 dollars peut rapporter jusqu’à 500.000 dollars alors que pour le même investissement, le trafic d’héroïne rapporte 20.000 dollars.

Transformations économiques et sociales

La structuration mondiale de la production pharmaceutique est intimement liée aux nouvelles transformations économiques et sociales internes et mondiales. Nous avons les effets de l’environnement et des nouvelles technologies qui influent sur les comportements avec de nouveaux besoins, ayant une influence sur le système de santé. Les agression contre la nature et les inquiétudes vis-à-vis de l’avenir, notamment de trouver un travail pour les enfants, les divorces la détérioration du pouvoir d’achat , les contritions de logements, d’hygiène, la mal vie et l’éclatement de la cellule familiale, qui servait de tampon social , tout cela engendrant des angoisses et des névroses avec des effets psycho sociologiques et donc des traitements spécifiques nécessitant une médecine et des médicaments adaptés. Au niveau des sociétés, nous avons le développement de la consommation de certaines substances avec des effets sur la santé. Il y a l’alcool avec une influence sur le développement de nombreuses pathologies, cancers, maladies cardiovasculaires et digestives, maladies du système nerveux et troubles psychiques; le tabac aux effets nocifs où un cancer sur trois est dû au tabagisme, le plus connu étant lecancer du poumon, dont 80 à 90 % des cas sont liés au tabagisme actif avec d’autres impacts : gorge, bouche, lèvres, pancréas, reins, vessie, utérus ; la drogue où l’économie des drogues représenterait un marché de 400 à 500 milliards de dollars par an avec des effets sur la santé , : dépression respiratoire, intoxication, contamination, surdose, vulnérabilité psychique ou physique. ect…Nous assistons à l’apparition de nouvelles maladies (le coronavirus ) et des impacts sur la santé de l’environnement dont le réchauffement climatique où la pollution de l’air ambiant étant un des facteurs pour lesquels l’impact est le plus connu : acidification de l’air , formation d’ozone troposphérique, appauvrissement de la couche d’ozone ; particules et les effets respiratoires des substances inorganiques. Selon différents rapports de l’ONU, entre 2030 et 2050, on s’attend à ce que le changement climatique entraîne près de 250 000 décès supplémentaires par an, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur et que le coût des dommages directs pour la santé (à l’exclusion des coûts dans des secteurs déterminants pour la santé tels que l’agriculture et l’eau et l’assainissement) se situe entre 2 et 4 milliards de dollars US par an d’ici 2030, coût impossible à supporter surtout les plus vulnérables. Ce qui inclut de se pencher sérieusement sur la dépendance aux médicaments importés.

L’Afrique ne produit que 3 % des médicaments qu’elle consomme et si certains pays possèdent des unités de production comme l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, l’Afrique du Sud ou encore le Sénégal, cette dépendance extérieure s’est rappelée de manière dramatique aux gouvernements au moment de la pandémie de Covid-19. Le continent a été le grand perdant dans la course mondiale aux vaccins et aux médicaments. Cet épisode a provoqué une prise de conscience sur la nécessité de produire davantage localement avec la ratification du traité sur la création d’une Agence africaine du médicament qui traînait en octobre 2021. Mais beaucoup d’obstacles doivent encore être surmontés pour renforcer la production pharmaceutique, notamment liés au manque de compétences locales, avec l’exode massif des compétences favorisant les pays développés. Par ailleurs, il existe un lien dialectique entre sous nutrition, productivité, baisse du niveau scolaire, santé et besoin de médicaments les conséquences économiques, sociales, médicales et sur le développement de la charge mondiale de la malnutrition étant graves et persistantes aussi bien pour les individus et leurs familles que pour les communautés et pour les pays. Selon bon nombre de professeurs en médecine et sociologues, face à cette demande, la société est une proie facile pour certaines stratégies commerciales, à diffuser sur le marché différents produits alimentaires , certains compléments alimentaires ou des régimes amaigrissants, la nutrition et l’alimentation devenant ainsi l’objet d’un marché dans lequel la rentabilité économique prime sur la santé où dans ce contexte, le rôle des médecins comme garants de la santé.

Quelle stratégie en Algérie ?

Qu’en est-il de la stratégie algérienne concernant ce secteur sensible intiment lié à la santé ? D’une manière générale, du fait du caractère social de l’Etat, l’Algérie a pu, tout en prônant une politique d’élargissement de l’accès aux soins pour toute sa population, arriver à imposer des prix du médicament parmi les plus bas de la région. C’est ce qu’a pu confirmer l’étude réalisée en 2018 par IQVIA, le cabinet de renommée mondiale en matière de connaissance des marchés pharmaceutiques à l’échelle de tous les pays qui note : « les prix en Algérie sont notamment inférieurs aux prix moyens dans les pays de référence à travers la majorité des aires thérapeutiques, indépendamment des aires thérapeutiques chroniques ou aiguës ; la cardiologie est la seule aire thérapeutique dans laquelle nous observons un prix moyen plus élevé ». C’est sans aucun doute une grande chance pour notre pays que de disposer d’un système de sécurité sociale, qui est un instrument formidable de généralisation de l’accès aux soins pour les citoyens.. Son poids croissant dans le financement de la demande de médicaments a conduit la CNAS à jouer un rôle actif dans la fixation du prix du médicament, à travers l’instrument efficace qu’a été le tarif de référence, instrument dont la mise en place, en fixant un niveau de remboursement affiché au préalable, a poussé les fabricants à ajuster au fur et à mesure leur politique commerciale. Il est entendu que seule l’amélioration de la croissance économique globale du pays peut permettre de pérenniser ce système. Le secteur pharmaceutique national en Algérie a toujours été considéré comme un secteur politiquement et socialement sensible, en raison notamment de son rôle éminent comme un des piliers de la politique nationale de santé publique, où l’accès aux soins de base était du reste une des revendications récurrentes du mouvement national et un des aspects de la dénonciation de la politique coloniale en Algérie. Ceci explique que le développement des infrastructures de soins ait connu une dynamique et des progrès incontestables, sous l’effet de politiques économiques publiques qui ont été suivies avec beaucoup de ténacité et de constance, depuis l’indépendance à ce jour. La croissance des besoins exprimés, en quantités et en qualités, à l’endroit de la santé publique, a suivi une dynamique encore plus marquée, en liaison notamment avec la très forte croissance démographique, l’élévation du niveau d’éducation et le mouvement d’urbanisation qu’a connu le pays. Dans ce contexte général, le secteur national du médicament a accompagné l’évolution du système de soins, en s’adaptant progressivement à l’évolution du niveau de la demande nationale de produits pharmaceutiques, mais aussi en subissant de plein fouet toutes les restrictions sévères imposées, dans le contexte d’une gestion administrative et procédurière de l’économie nationale, aux importations de médicaments, de même qu’à à leur production sur le territoire national.

66% de couverture des besoins nationaux

 Avec une production de médicaments estimée à 2,4 Mds de $US, l’Algérie représente 9% de parts du marché de la zone MENA, où le taux de couverture des besoins nationaux en médicaments est évalué à 66% en 2022 (source APS). Les efforts du secteur privé, conjugués à ceux de l’entreprise publique Saidal, ouvrent la voie à l’augmentation conséquente de l’offre de médicaments, à la diversification des produits mis en marché et à une pression à la baisse de leurs prix sur le marché interne. La démonopolisation de l’activité pharmaceutique étant définitivement surmontée sur le terrain, l’autre obstacle sur le chemin était alors celui de la concurrence des laboratoires étrangers, détenteurs des technologies, des savoir-faire, des droits de licence sur les produits et qui, surtout, avaient la mainmise, établie de longue date, sur le marché interne du médicament. C’est pour sortir de ce blocage dangereux que le gouvernement algérien prend la décision, en 2008, de suspendre l’importation de tout produit fabriqué localement, dont les effets bénéfiques sont visibles à ce jour : croissance sans précédent de la production pharmaceutique algérienne ; baisse sensible du niveau des prix ; réduction de la facture d’importation. Un paradoxe : en dépit de ses succès, l’industrie pharmaceutique locale fait souvent l’objet d’attaques injustifiées. Il y a toutes les raisons de penser que cette mauvaise image est souvent diffusée de façon sournoise par des groupes d’intérêts liés à l’importation. Force est de reconnaître que l’État algérien a beaucoup investi dans le secteur tant de la santé que des industries de production de médicament mais dont les résultats ne sont pas proportionnels à l’importante de la dépense monétaire devant revoir les méthodes de gestion pour optimiser l’effet de la dépense. Comme dans tous les pays du monde ( les USA considérée comme le chantre de l’oncle libérale le font), l’Algérie se doit de protéger une industrie naissante temporairement, à l’aide de mesures fiscales et douanières mais loin des mesures bureaucratiques administratives au moyen d’une régulation afin de favoriser l’équilibre offre/demande. Dans une période qui a connu une poussée très forte des importations, ce secteur est l’un des rares au sein de l’économie nationale à avoir vu la production locale gagner des parts de marché substantielles par rapport à la vague irrésistible de l’importation qui a vu l’entrée en production des nombreux projets d’investissement engagés qui vont conforter la résilience de l’appareil productif interne. En quelques décennies, l’Algérie s’est hissée parmi les principaux producteurs pharmaceutiques d’Afrique. Le nombre d’entreprises pharmaceutiques activant dans le domaine de la production s’élevait en 2022 à près de 200 entreprises, dont 137 spécialisées dans la production des médicaments étant prévu 69 nouveaux projets d’investissements, dont 42 projets de fabrication des produits pharmaceutiques et 27 projets de production des équipements médicaux. Nous devons être réalistes, car fabriquer les matières premières pour ses propres médicaments. c’est un métier en soi et si on fabrique 2 ou 3 matières premières il faut le faire à grande échelle, pour le marché mondial et être compétitif par rapport aux autres joueurs américains , indiens et chinois où le monde aujourd’hui s’oriente vers la biotechnologie. Pour l’Algérie les axes stratégiques à court et moyen terme doivent s’orienter vers la R&D, par l’innovation pharmaceutique , les parts des princeps, génériques, le processus de fabrication/contrôle de qualité, en orientant la production vers les bio -similaires et la création de produits issus de la culture cellulaire afin de réduire la facture d’importation. Cela explique, conformément à ce qui se passe dans le monde, que le ministère des industries pharmaceutiques privilégie le seul indicateur financier valable , la balance devises, dans le cadre de la régulation des importations pharmaceutiques nationale afin de réduire la facture d’importation qui a été de 1,2 Mds Usd fin 2022 alors qu’elle s’élevait à près de 2 mds USD par an vers les années 2010/2020 avec le respect des normes requises dans le domaine de la production pharmaceutique restant l’unique condition d’investir dans ce domaine. Ce département a décidé l’annulation de la condition portant fixation du taux d’intégration à 30% pour homologuer le produit pharmaceutique en Algérie. Quelque 200 unités de production couvrent près de 70 % des besoins du pays en générique, avec le dynamisme du secteur privé national. Selon le ministère du secteur, le nombre de médicaments de fabrication locale a augmenté avec 2.889 médicaments sur un total de 3.641 médicaments figurant sur la nomenclature nationale. Selon des enquêtes sur le terrain, menées par mes étudiants en doctorat, Biopharm, un des champions dans le générique en Algérie, commercialise depuis peu des produits d’oncologies, des anticancéreux, dont l’élaboration nécessite des infrastructures complexes et des investissements massifs, ayant mis en place un laboratoire de R&D qui développera ses prochains produits en collaboration avec le milieu scientifique et universitaire algérien avec pour objectif de promouvoir une industrie locale du médicament générique qui représente aujourd’hui près 85% du marché. On peut citer parmi les exemples de l’IMATINIB, un médicament pour le traitement de l’ulcère, dont le prix du princeps, fixé à 1600 DA/Boite, a été réduit à 200 DA/Boîte et le même cas de figure avec le GLIVEC, un anticancéreux vendu par un grand laboratoire multinational (NOVARTIS) à 260 000 DA/Boite, pour lequel cette société a pu proposer un générique à 25 000 DA/Boite (pour plus de détail sur ce sujet voir notre contribution internationale parue le 15 avril 2023 dans Finantial-Afrik -Paris Dakar ).

En conclusion, les défis de l’Algérie entre 2023/2025/2030 avec les profonds bouleversements géostratégiques et socioéconomique, concernant tous les secteurs, dont celui de l’industrie pharmaceutique, sera de passer à un niveau d’organisation supérieur, non seulement pour renforcer la production locale, mais pour s’imposer également sur les marchés extérieurs. La clef de l’avenir de l’Algérie est clairement celle des capacités de l’innovation et de la recherche scientifique en d’atténuant l’exode massif de cerveaux qui constitue une hémorragie tant pour l’Afrique que l’Algérie. On estime que 16 000 médecins et spécialistes algériens exercent dans le pays européen, et pour 2022 environ 1200 médecins algériens, de différentes spécialités, s’apprêtaient à partir en France pour travailler dans ses hôpitaux après leurs réussite aux épreuves de vérification des connaissances -EVC. La capitalisation de ce savoir est l’axe fondamental du développement et pour le segment spécifique des industries pharmaceutiques, il y a lieu d’établir des connexions solides entre les nombreux laboratoires de recherche en place dans toutes nos universités et les entreprises pharmaceutiques nationales, dont bon nombre d’entre elles ont déjà mis en place leurs propres laboratoires de recherche-développement et ont entrepris d’en faire la base solide de leur croissance future.

A.M.

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