ContributionDébats

Repenser la coopération dans un monde polarisé

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et expert international.

Le Programme des Nations unies pour le développement a publié mercredi 13 mars 2024 son rapport annuel sur le Développement Humain 2023-2024, intitulé « Sortir de l’impasse : repenser la coopération dans un monde polarisé » confronté à de nombreux défis avec des Nations de plus en riches et certaines de plus en plus pauvres.

L’indice de développement humain ou IDH a été développé en 1990 par l’économiste pakistanais Mahbub Ul Haq et l’économiste indien, prix Nobel d’économie Amartya Sen, étant un indice composite, compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent), calculé par la moyenne de trois indices. Le premier aspect ( A) quantifie la santé/longévité (mesurées par l’espérance de vie à la naissance), qui permet de mesurer indirectement la satisfaction des besoins matériels essentiels tels que l’accès à une alimentation saine, à l’eau potable, à un logement décent, à une bonne hygiène et aux soins médicaux. Il est plus fiable que l’indicateur précédent utilisé, le PIB par habitant, qui ne donne pas d’information sur le bien-être individuel ou collectif ne quantifiant que la production économique. Le deuxième aspect (B) est le savoir ou niveau d’éducation mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes (pourcentage des 15 ans et plus sachant écrire et comprendre aisément un texte court et simple traitant de la vie quotidienne) et le taux brut de scolarisation (mesure combinée des taux pour le primaire, le secondaire et le supérieur). Il traduit la satisfaction des besoins immatériels tels que la capacité à participer aux prises de décision sur le lieu de travail ou dans la société. Le troisième aspect (C) est le niveau de vie (logarithme du produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d’achat), afin d’englober les éléments de la qualité de vie qui ne sont pas décrits par les deux premiers indices tels que la mobilité ou l’accès à la culture donnant ainsi IDH = A D E/divisé par trois. Distinguant l’Indice faible 24 pays sur 30, l’Indice moyen 25 sur 32, l’Indice élevé 24/40 et Indice très élevé 39/59, sur la base des derniers chiffres de 2022, les dix pays ayant les scores de développement humain les plus élevés sont la Suisse, la Norvège, l’Islande, Hong Kong, le Danemark, la Suède, l’Allemagne et l’Irlande, ex aequo à la septième place, tandis que la France ne se porte qu’au 28e rang. Singapour, ainsi que l’Australie et les Pays-Bas, se classent ex aequo à la dixième place. Les États-Unis sont à égalité avec le Luxembourg à la 20e place. L ‘indice de développement humain de la Chine pour 2022 est passé à 0,788, ce qui la place au 75e rang mondial, alors qu’elle était au 79e rang en 2021 Les dix pays dont le développement humain est le plus faible sont le Sierra Leone, le Burkina Faso, le Yémen, le Burundi, le Mali, le Tchad, le Niger, la République centrafricaine, le Sud-Soudan et la Somalie, tous ces pays, à l’exception du Yémen, se trouvant en Afrique . Le rapport note qu »un groupe extrême » de pays comme le Soudan, l’Afghanistan ou la Birmanie souffrent de « la combinaison de la pandémie, de crises fiscales et de conflits, parfois de guerres civiles explique cette une situation où l’Afghanistan a par exemple perdu 10 ans en termes de développement humain, tandis qu’en Ukraine, l’indice est à son plus bas depuis 2004. Le rapport du PNUD mentionne que les pays ayant des gouvernements populistes affichent des taux de croissance du PIB plus faibles que les autres pays où quinze ans après la prise de fonctions d’un tel gouvernement, le PIB par habitant est inférieur de 10 % à ce qu’il serait dans un scénario de bonne gouvernance

Bien qu’après avoir fortement baissé en 2020 et 2021, selon ce rapport , l’IDH devrait en effet atteindre des sommets record en 2023. Ce rapport , met en lumière, un paradoxe. Premièrement, les problèmes sont interdépendants exigeant des solutions qui le sont tout autant et que la démondialisation n’est ni possible ni réaliste dans le monde d’aujourd’hui. L’interdépendance économique reste forte, car aucune région n’est proche de l’autosuffisance, car toutes dépendent des importations d’autres régions pour 25 % ou plus pour au moins un type de biens et services essentiels. Les approches protectionnistes ne peuvent pas répondre aux défis complexes et interconnectés auxquels le monde est confronté, notamment la prévention des pandémies, la lutte contre les changements climatiques et la réglementation numérique. Deuxièmement, il pointe du doigt une réalité inquiétante avec les progrès inégaux en matière de développement qui laissent de côté les plus pauvres, exacerbant les inégalités et alimentant la polarisation politique à l’échelle mondiale où près de 40 % des échanges mondiaux de biens sont concentrées dans trois pays et la capitalisation boursière de chacune des trois plus grandes entreprises technologiques du monde est supérieure au produit intérieur brut (PIB) de plus de 90 % des pays. En 2023, les 38 pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) ont tous enregistré un indice de développement humain (IDH) plus élevé qu’en 2019. Parmi les 35 pays les moins avancés (PMA) qui affichaient une baisse de l’IDH en 2020 et/ou 2021, plus de la moitié (18 pays) n’ont pas encore retrouvé leur niveau de développement humain de 2019. Toutes les régions en développement n’ont pas atteint leurs niveaux d’IDH prévus compte tenu de la tendance observée avant 2019. Il semble que la progression de leur IDH soit plus faible, ce qui laisse présager un recul irréversible des progrès en matière de développement humain. Les pertes observées en matière de développement humain ont des effets particulièrement visibles dans le spays e conflits internes ou externes. L’échec de l’action collective pour réaliser des progrès en matière de lutte contre les changements climatiques, numérisation ou lutte contre la pauvreté et les inégalités entrave non seulement le développement humain, mais aggrave également la polarisation qui se situe au niveau du champs politique dont la participation citoyenne à la gestion de la Cité. La moitié des personnes interrogées dans le monde déclarent n’avoir aucun ou peu de contrôle sur leur vie, et plus des deux tiers estiment qu’elles n’ont que peu d’influence sur les décisions de leur gouvernement, cette polarisation politique alimentant les démarches politiques de repli identitaire, ce qui va à l’encontre de la coopération mondiale pour résoudre les problèmes urgents tels que la décarbonisation de nos économies, l’utilisation inappropriée des technologies numériques et les conflits. Aussi, une action collective pour faire face à la crise climatique et de l’émergence de l’intelligence artificielle comme nouvelle frontière technologique en évolution rapide, qui n’est guère assortie de garde-fous réglementaires, voire pas du tout.

En résumé , le rapport propose quatre domaines d’action immédiate : la fourniture de biens publics planétaires, pour la stabilité du climat, compte tenu des défis sans précédent de l’Anthropocène auxquels nous sommes confrontés ; la fourniture de biens publics mondiaux numériques, afin d’assurer une plus grande équité dans l’exploitation des nouvelles technologies au service d’un développement humain équitable; la mise en place de mécanismes financiers nouveaux et élargis, y compris un nouveau volet de la coopération internationale qui viendrait compléter l’aide humanitaire et l’aide au développement traditionnelle en faveur des pays à faible revenu; la réduction de la polarisation politique grâce à de nouvelles approches de gouvernance visant à mieux faire entendre la voix des citoyens dans les délibérations et à lutter contre la désinformation.

ademmebtoul@gmailcom

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