Le Maghreb face à des enjeux économiques et géopolitiques
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités et expert international
Le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger Ahmed Attaf a été clair : la récente rencontre Algérie-Tunisie -Libyen et le mécanisme auquel elle est associée ne saurait se substituer à l’UMA. Pour la prochaine réunion qui se tiendra la porte des consultations restait « ouverte à tous si l’intention et la volonté politiques sont réunies ».
Il n’y a pas une économie homogène pour tous les pays du Maghreb mais des structures différentes. Nous avons des pays importateurs d’énergie dont la hausse des prix se répercutent sur leurs comptes extérieurs instables comme le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie. Pour cette dernière cela devrait changer entre 2024/2025, grâce aux importantes découvertes de gaz mise à jour dans ce pays avec le Sénégal (mise en exploitation des gisements prévue en principe fin 2024). Il y a d’un autre côté des pays exportateurs d’hydrocarbures qui jouissent d’une rente, comme l’Algérie et la Libye qui leur permettent d’avoir des comptes financiers favorables (voir les deux ouvrages collectifs sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul et du docteur Camille Sari de la Sorbonne, ayant regroupé 36 experts algériens, marocains, tunisiens, libyens, mauritaniens et européens -2015/2016 Éditions Harmattan Paris 1050 pages – les enjeux de la construction du grand Maghreb).
1.-Situation du Maghreb au sein de l’économie mondiale
Les principaux courant d’échange commerciaux des cinq pays du Maghreb se font en direction de l’Europe et plus généralement vers l’Occident mais avec une percée importante de la Chine, le taux d’intégration intra-maghrébin en 2023, ne dépassant pas 3% , le taux d’intégration intra- africain lui-même étant de 15/16% devant situer la place du grand Maghreb au sein de l’économie mondiale. Le PIB global en 2023 de l’ensemble des pays du Maghreb ne dépasse pas 520 milliards de dollars pour une population d’environ 110 millions d’habitants, un PIB presque équivalent à celui de la Belgique 554 milliards de dollars pour une population 11,70 millions d’habitants sur un PIB mondial 101.300 milliards de dollars soit moins de 0,05% ce qui ne reflète pas ses importantes potentialités. Quant au poids de chaque économie nous avons :
Algérie Pour une population au 01 janvier 2024 de 47,78 millions, pour la BM l’Algérie a un PIB de 224 milliards de dollars en 2023 soit 40,72% du Maghreb avec la première place Le taux de croissance pour 2023 a été de 4,2% avec une prévision de 3,8%, en 224 et 3,1% en 2025.
Maroc Pour une population de 37,77 millions d’habitants la croissance du produit intérieur brut s’est établi à 198 milliards de dollars en 2023 soit 38% du PIB du Maghreb. Taux de croissance selon le FMI a été de 2,8% en 2023 avec des prévisions de 3,1% en 2024
Tunisie Avec une population de 12,54 millions d’habitants au 01 janvier 2024, avec un PIB en 2023 en moyenne de 46,30 milliards de dollars, soit 8,90% du PIB du Maghreb
Libye Avec une population de 6,95 millions d’habitants , a un PIB d’environ 47 milliards de dollars avec une croissance de 12% en 2021, 4,6% en 2022, de 17,9% en 2023 , étant prévu 8,0% en 2024
Mauritanie La population est estimée à 4,5 millions habitants en 2023 et le produit intérieur brut PIB 9,78 milliards de dollars. Selon les estimations du FMI, la croissance du PIB réel s’est ralentie, passant de 6,4 % en 2022 à 3,4 % en 2023, en raison d’une contraction importante de l’investissement public et d’un ralentissement des exportations dû à une baisse de la production industrielle. La croissance de l’économie mauritanienne devrait être de 6 % en moyenne entre 2024/2027, grâce à la mise en service des découvertes des nouveaux champs gaziers
En prenant trois autres indicateurs pour la moyenne 2022, nous avons premièrement , le PIB par tête d’habitant (le PIB divisé par le nombre d’habitants suivant ( source Banque mondiale) : Libye 6716 -Algérie 5187 dollars -Maroc 3442 -Tunisie 3747- Mauritanie 2035 dollars. Deuxièmement nous avons PIB par habitant à parité du pouvoir d’achat PPA qui exprime le rapport entre la quantité d’unités monétaires nécessaires pour se procurer un panier de biens et services donne pour l’Algérie 15518 dollars- Tunisie 11987-Libye 9792-Maroc 8612 – Mauritanie 4472 dollars. Troisièmement les enquêtes du PNUD sur l’’indice du développement humain qui est un indice composite se fondant sur trois critères , le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance , le niveau d’éducation de 17 ans et plus et ayant introduit récemment l’impact du réchauffement climatique donc la dégradation de l’environnement, rapport publié en 2023 relatant le diagnostic de 2022 ,nous avons sur 182 pays le classement suivant : la Libye 92-me position, l’ Algérie 93-me , le Maroc 120-me ,- la Tunisie 101ème position- la Mauritanie 164ème position.
2.-Indicateurs financiers : réserves de change -endettement-cotation des monnaies
Algérie : Les réserves de change fin janvier 2023 ont été de 73 milliards de dollars et environ 83 milliards de dollars en incluant les 173 tonnes d’or et un endettement public ’Algérie a un endettement extérieur faible avec moins de 2% du PIB, un endettement public global qui a évolué de 45,6% du PIB en 2019 à 51,4% en 2020, à 56,1% pour 2021, à 55,6% 2022, 49,5% en 2023 et selon le Ministre des finances étant prévu en 2024 à 47% du PIB.
Maroc : Selon Bpifrance la dette publique par rapport au PIB a été de 72,2% en 2020, 71,5% en 2022, 69,7% en 2023 avec une prévision de 68,1% en 2024 et le ratio dette extérieure sur PIB de 54% en 2021, 51% en 20232/2023 et une prévision de 44% en 2024. Global Research, les réserves ont atteint 363 milliards de dirhams en mars 2023 soit 35,5 milliards de dollars dont 22 tonnes d’or.
Tunisie : La dette extérieure par rapport au PIB a évolué de 916% en 2021, 90,8% en 2022, 86,4% en 2023 avec une prévision de 86,3% en 2024 avec des réserves de change de 4,2 milliards de dollars en 2021, 3,2 en 2022, 3,5 en 2023 et une prévision de 3,2 milliards de dollars en 2024 e l’endettement public représente en 2023 80,23% du PIB (139 milliards de dinars tunisiens) avec une prévision 79,81% (127,1 MMDT) en 2024.
Libye : Miné par les rivalités des puissances étrangères , divisé en deux , avec une population de 6,95 millions d’habitants possédant la première réservoir de pétrole en Afrique environ 43 milliards de barils étant devenu depuis début avril 2024, le premier producteur en Afrique avec 1,24 millions de barils/j détrônant le Nigeria et du gaz conventionnel peu exploité d’environ 1500 milliards de mètres cubes gazeux, la Libye pays riche , grâce à la reprise du secteur des hydrocarbures et aux cours élevés du pétrole. La dette publique était estimée à 33 milliards d’USD fin 2022 soit 83 % du PIB et d’après la BCL, le gouvernement était endetté à hauteur de 90,5% auprès de la Banque centrale, mais selon le FMI, une dette non au sens habituel du terme car libellée en monnaie locale, sans taux d’intérêt ni calendrier de remboursement. Selon le FMI,les réserves libyennes s’élèveraient en 2023 à 85 Md USD soit 200% du PIB et environ quatre ans d’importations. La Libye dispose également d’un fonds souverain (la Libyen Investment Authority, LIA) avec des actifs estimés à 70 Md USD qui demeurent inaccessibles en raison des sanctions en vigueur depuis 2011. Ainsi selon la Banque mondiale, l’excédent courant qui a atteint 21% du PIB en 2022, a été ramené à 7,8% du PIB en 2023
Mauritanie : Sur le plan financier, à fin décembre 2022, l’encours de la dette extérieure de la Mauritanie s’élève à 152 024 millions de MRU, soit 87,6 % du total de la dette se subdivisant en 56 % de dette envers les créanciers multilatéraux et 44 % de créanciers bilatéraux. Le ratio dette/PIB a légèrement augmenté pour atteindre 48,1 % du PIB en 2023 (+0,8 point de pourcentage du PIB), en raison de la dépréciation du taux de change à la fin de l’année 2023 et les réserves de change environ 1,8 milliard de dollars , de la Banque centrale mauritanienne sont passées de 4,5 mois d’importations de biens en 2022, à 6 mois en 2023.
Quant au taux de change des monnaies, outreune vision stratégique de complémentarité de la sphère réelle, il y a lieu de résoudre le problème lancinant et de la distorsion des taux de change. Ainsi, le 26 avril 2024 la cotation des monnaies des cinq pays du Maghreb est la suivante et tout processus d’intégration suppose une uniformisation des taux de change à travers les politiques des banques centrales à l’instar de la zone européenne qui a instauré l’Euro, nous avons :un dollar américain égal 134,28 dinars algérien- 10,10 dirham marocain égal 1 dollar américain – 3,15 dinars tunisien égal 1 dollar américain – 39,70 Ouguiya mauritanien égal 1 dollar américain et 4,86 dinars libyen égal un dollar américain.
En conclusion, face à l’inflation et au chômage qui frappent tous les pays du Maghreb avec des incidences différentes, lors de la rencontre tripartie Algérie -Tunisie, Libye il a été décidé, outre la coordination pour faire face aux tensions géostratégiques dans la région, de promouvoir bon nombre de projets concrets notamment l’utilisation conjointe de la nappe de l’Albien qui est la plus grande nappe d’eau souterraine au monde, contenant plus de 50 000 milliards de mètres cubes d’eau, l’équivalent de 50 000 fois le barrage de Beni-Haroun Algérie- étant le résultat de l’accumulation qui s’est effectuée au cours des périodes humides qui se sont succédé depuis 1 million d’années, cette nappe étant à cheval sur trois pays, l’Algérie 70%, la Libye 20% et la Tunisie 10% . Certains endroits de l’eau douce de cette nappe en Algérie comme à El Golea, produit de dessalement naturelle et pour les coûts une grande partie eau saumâtre nécessitant des unités de dessalement, les canalisations pour chemiser cette eau vers les utilisateurs, analyser la profondeur de l’extraction et selon les experts devant en plus avoir une production mesurée pour ne pas briser l’éco- système. Espérons dans le cadre du respect du droit international, que la raison l’emporte sur les passions car depuis le début du XXème siècle , les leaders maghrébins ont toujours insisté sur l’instauration d’un grand Maghreb et en ce XXIème , face aux nouvelles mutations tant géopolitique qu’économiques, le grand Maghreb des peuples peut devenir un acteur de stabilité et de prospérité pour la région méditerranéenne , où son avenir étant de servir de pont en direction de l’Afrique, continent de tous les enjeux.
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