La littérature comme vecteur de mémoire nationale
Dans le vaste panorama des commémorations nationales, il y a celles qui s’enracinent aussi profondément dans l’imaginaire collectif comme la Fête de la Victoire. Cette célébration du 19 mars 1962, marquant la fin officielle de la guerre d’indépendance, continue de nourrir la création artistique et littéraire algérienne, témoignant du rôle fondamental que joue la littérature dans la transmission et la pérennisation de la mémoire nationale.
À l’occasion du 63e anniversaire de cet événement historique, le ministère de la Culture et des Arts a organisé une rencontre à Alger autour du thème « La Fête de la victoire dans l’imaginaire littéraire et artistique algérien », offrant l’opportunité de réfléchir sur les liens étroits entre histoire, mémoire collective et création artistique. Cette manifestation culturelle a permis de mettre en lumière comment la littérature, plus qu’un simple divertissement, constitue un pilier essentiel dans la construction identitaire d’une nation. Dans son allocution d’ouverture, le ministre de la Culture et des Arts, Zouhir Ballalou, a souligné l’importance du contexte actuel en affirmant que l’Algérie connaît aujourd’hui « des mutations cruciales qui imposent de nous référer à notre capital historique abondant et aux principes et valeurs de notre révolution, qui constituent la boussole qui nous guide face aux défis majeurs ». Ces propos révèlent combien la mémoire historique, notamment celle véhiculée par la littérature et les arts, demeure un repère fondamental pour une nation en constante évolution. Le ministre a également rendu hommage à l’engagement des intellectuels dans le combat pour l’indépendance, rappelant que « les écrivains, artistes et intellectuels algériens ont fait de grands sacrifices pour défendre la cause nationale et ont usé de toute la magie de leur créativité, pour la libération de la Patrie, par la plume, la mélodie et le fusain ». En citant des figures emblématiques comme Hamdane Ben Othman Khodja, l’Émir Abdelkader ou encore Mohamed Bencheneb, le ministre inscrit cette résistance culturelle dans une continuité historique qui transcende les générations. La littérature apparaît alors comme un fil conducteur reliant le passé au présent, permettant à la mémoire nationale de se perpétuer malgré les vicissitudes de l’histoire. Zouhir Ballalou a particulièrement insisté sur le fait que la Culture « a été l’un des plus importants piliers du mouvement national » et « la voix de la lutte qui a exprimé la tragédie que la société algérienne avait enduré sous le joug du colonialisme ». Les œuvres de Moufdi Zakaria, d’Ahmed Reda Houhou ou de Mouloud Feraoun, évoquées lors de cette rencontre, témoignent de cette dimension cathartique de l’écriture qui permet à une société de se reconstruire après le traumatisme colonial. L’université d’Alger 2 était représentée par l’enseignant Allal Bitour, qui a contextualisé historiquement le « Jour de la Victoire », insistant sur « la force de la révolution algérienne et sa capacité à imposer des négociations entre pairs sans l’intervention d’aucun tiers, sachant qu’elle a été la seule à imposer ce niveau de considération ». Cette intervention a permis de comprendre comment la littérature post-indépendance s’est nourrie de la fierté nationale née de cette victoire diplomatique sans précédent. Les écrivains algériens ont ainsi contribué à transformer un événement historique en mythe fondateur, participant à la construction d’une identité nationale forte et affirmée. L’approche ethnographique était également présente à travers l’intervention d’Abdelhamid Bourayou, universitaire et chercheur en patrimoine populaire, qui a mis en lumière la richesse de la poésie populaire célébrant l’indépendance. Des œuvres comme « Ya Djazaïr mabrouk aâlik » d’Abdelhadi Djaballah ou « El Hamdou li Allah ma b’kach istiâmar fi bladna » d’El Hadj M’Hamed El-Anka illustrent comment la littérature orale a permis une appropriation populaire de l’histoire nationale, faisant de la mémoire collective non pas un récit figé imposé d’en haut, mais une narration vivante et partagée par l’ensemble de la communauté. La figure de Malek Haddad, évoquée par l’enseignant Abdeslam Ikhlef de l’Université de Constantine 3, incarne parfaitement la dimension prophétique que peut revêtir la littérature. Selon l’universitaire, Haddad « avait prédit la victoire dans ses écrits publiés entre 1956 et 1961 », ses textes étant « considérés parmi les œuvres pionnières de la littérature de résistance, destinés à la lutte contre l’occupant français ». Cette capacité de l’écrivain à anticiper l’avenir, à imaginer la libération avant qu’elle ne devienne réalité, témoigne du pouvoir performatif de la littérature qui ne se contente pas de refléter le monde mais contribue activement à le transformer. Plus qu’un simple témoin de l’histoire, la littérature algérienne est un acteur majeur de la construction nationale, un gardien vigilant de la mémoire collective et un laboratoire où s’élaborent les récits qui permettent à une société de donner sens à son passé pour mieux se projeter dans l’avenir.
Mohand Seghir