Pétrole: L’OPEP dénonce l’incohérence chronique des prévisions de l’AIE
Dans une charge contre l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le Secrétaire général de l’OPEP, Haitham Al Ghais, met le doigt sur un problème récurrent qui mine la crédibilité des analyses énergétiques de l’Agence internationale de l’énergie: la sous-estimation systématique de la demande pétrolière par l’AIE et ses révisions spectaculaires a posteriori. L’affaire des « barils manquants » révélée dans le rapport de mai 2025 de l’AIE illustre parfaitement cette problématique. L’Agence vient d’opérer une correction historique de 343 millions de barils, équivalant à trois jours et demi de consommation mondiale. Cette révision massive transforme radicalement la perception du marché : les trois dernières années (2022-2024) passent d’un excédent d’offre à des déficits, bouleversant l’analyse fondamentale du secteur. Cette incohérence n’est pas nouvelle. Selon Al Ghais, le phénomène des « barils manquants » constitue un problème récurrent depuis 1997-98, chaque épisode se soldant invariablement par des révisions à la hausse de la demande. Pour 2022, l’AIE a sous-estimé la consommation de 0,26 million de barils par jour, erreur qui s’aggrave en 2023 (0,33 mb/j) et 2024 (0,35 mb/j).
Ces erreurs répétées soulèvent des questions fondamentales sur la méthodologie de l’AIE. Comment une organisation de référence peut-elle systématiquement sous-évaluer la demande pendant des années ? Cette défaillance n’est pas anodine : elle influence directement les décisions d’investissement des compagnies pétrolières et les politiques énergétiques des gouvernements.
L’OPEP pointe du doigt les conséquences perverses de ces sous-estimations chroniques. En présentant un marché en excédent structurel, l’AIE contribue à décourager les investissements dans de nouvelles capacités de production. Cette approche, selon Al Ghais, compromet la sécurité énergétique future en créant un déficit d’investissement dans le secteur pétrolier. La critique de l’OPEP va plus loin en questionnant la cohérence du discours de l’AIE. Lorsque son directeur exécutif affirme que « les données gagnent toujours », de quelles données parle-t-il exactement ? Les premières estimations régulièrement démenties ou les révisions tardives qui corrigent le tir ?
Cette polémique révèle un enjeu géopolitique majeur. L’AIE, créée dans le contexte du choc pétrolier de 1973 pour protéger les intérêts des pays consommateurs, adopte-t-elle délibérément une approche pessimiste sur la demande pour modérer les prix ? L’OPEP, défendant les intérêts des producteurs, dénonce cette stratégie comme contre-productive et dangereuse pour l’équilibre énergétique mondial.
Au-delà du bras de fer institutionnel, cette controverse souligne l’importance cruciale de données fiables dans un secteur où les décisions d’investissement se chiffrent en milliards de dollars et s’étalent sur des décennies. Les révisions tardives de l’AIE créent une volatilité artificielle des marchés et compliquent la planification énergétique à long terme.
L’appel d’Al Ghais à la transparence et à la responsabilité résonne d’autant plus fort que les enjeux climatiques actuels exigent une transition énergétique maîtrisée. Des prévisions erronées, qu’elles sous-estiment ou surestiment la demande, peuvent compromettre cette transition en orientant mal les investissements et les politiques publiques.
Samira Ghrib