Exploitation du gaz de schiste en Algérie : Opportunités et risques
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international en géostratégie, ancien directeur d’études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach. Président de la commission transition énergétique des 5+5+Allemagne (2019-2021) et membre de plusieurs organisations internationales.
Cette présente contribution est une brève synthèse du dossier qui revient sur le devant de l’actualité, réalisée sous ma direction pour le gouvernement, assisté des cadres du ministère de l’Énergie, de Sonatrach et d’experts algériens, européens et américains, intitulée : « Gaz de schiste : opportunités et risques » (8 volumes, 980 pages, 2015 – Alger).
Selon l’Agence américaine de l’Énergie, les réserves mondiales de gaz de schiste seraient d’environ 207 billions de mètres cubes réparties comme suit : la Chine avec 32 billions de mètres cubes, l’Argentine 23 billions de mètres cubes, l’Algérie 20 billions de mètres cubes, les États-Unis 19 billions de mètres cubes, le Canada 16 billions de mètres cubes, le Mexique 15 billions de mètres cubes, l’Australie 12 billions de mètres cubes, l’Afrique du Sud 11 billions de mètres cubes, la Russie 8 billions de mètres cubes et le Brésil 7 billions de mètres cubes.
L’Algérie fait face à de nombreux défis concernant le gaz. Face à la forte consommation intérieure de gaz qui risque de dépasser à l’horizon 2030 les exportations actuelles, renvoyant au dossier des subventions, selon plusieurs scénarios, au rythme actuel de production, des réserves de pétrole estimées entre 10/12 milliards de barils et celles du gaz environ 2 400 milliards de mètres cubes gazeux, sauf découvertes substantielles d’hydrocarbures traditionnels, qui procurent avec les dérivés 97/98 % des recettes en devises, ces réserves seraient épuisées dans 15 ans pour le pétrole (en 2040) et 25 ans pour le gaz naturel (en 2050). Se pose donc cette question stratégique : quelle est la place du pétrole-gaz de schiste en Algérie ?
1. Les techniques d’exploitation du pétrole-gaz de schiste
Peu de pays, excepté les États-Unis, maîtrisent la technologie de fracturation hydraulique. Les Américains, grâce à cette ressource, sont devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, et particulièrement deux compagnies, Exxon Mobil et Chevron, qui ont su améliorer la technique de la fracturation hydraulique permettant de réduire les effets pervers sur l’environnement et les coûts d’exploitation.
Aujourd’hui, pour récupérer le gaz de schiste, la technique utilisée est la fracturation hydraulique, consistant à injecter un fluide composé d’environ 90 % d’eau, 8 à 9,5 % de « proppants » (sable ou billes de céramique) et 0,5 à 2 % d’additifs chimiques sous très haute pression.
Au niveau tant de la communauté scientifique que des opérateurs, l’objectif premier est d’améliorer la fracturation hydraulique. Les recherches s’orientent sur la réduction de la consommation d’eau, le traitement des eaux de surface, l’empreinte au sol, ainsi que la gestion des risques sismiques induits.
Concernant le problème de l’eau qui constitue l’enjeu géostratégique fondamental du XXIᵉ siècle (l’or bleu), selon les experts, trois types de fluides peuvent être utilisés à la place de l’eau : le gaz de pétrole liquéfié (GPL), essentiellement du propane, les mousses (foams) d’azote (N2) ou de dioxyde de carbone (CO2) et l’azote ou le dioxyde de carbone liquide.
L’utilisation des gaz liquides permet de se passer complètement ou en grande partie d’eau et d’additifs. Pour les mousses, par exemple, la réduction est de 80 % du volume d’eau nécessaire étant gélifiées à l’aide de dérivés de la gomme de guar.
Ainsi, sans être exhaustif, du fait de larges mouvements écologiques à travers le monde, des alternatives à la fracturation hydraulique sont encore à un stade expérimental et demandent à être plus largement testées, l’objectif étant de minimiser l’impact environnemental de la fracturation hydraulique tant pour les volumes traités que pour la qualité des eaux et de diminuer significativement la consommation d’eau et/ou d’augmenter la production de gaz.
La fracturation au gel de propane est en cours d’utilisation sur environ 400 puits au Canada et aux États-Unis (plus de 1 000 fracturations déjà effectuées). L’eau pourrait aussi être remplacée par du propane pur (non inflammable), ce qui permettrait d’éliminer l’utilisation de produits chimiques. Les premiers puits utilisant cette méthode ont été fracturés avec succès aux États-Unis.
Nous avons la fracturation exothermique non hydraulique (ou fracturation sèche) qui injecte de l’hélium liquide, des oxydes de métaux et des pierres ponce dans le puits ; la fracturation à gaz pur peu nocive pour l’environnement est surtout utilisée dans des formations de roche qui sont sensibles à l’eau à maximum 1 500 m de profondeur ; la fracturation pneumatique qui injecte de l’air comprimé dans la roche-mère pour la désintégrer par ondes de choc, n’utilisant pas d’eau, remplacée par l’air mais utilisant certains produits chimiques en nombre restreint ; enfin la stimulation par arc électrique (ou la fracturation hydroélectrique) qui libère le gaz en provoquant des microfissures dans la roche par ondes acoustiques, utilisant selon les experts pas ou très peu d’eau, ni proppants ou produits chimiques, mais nécessitant beaucoup d’électricité.
2. Neuf précisions sur le gaz de schiste
Premièrement, la fracturation nécessaire à l’exploitation du gaz de schiste est obtenue par l’injection d’eau à haute pression (environ 300 bars à 2 500/3 000 mètres) contenant des additifs afin de rendre plus efficace la fracturation, dont du sable de granulométrie adaptée, des biocides, des lubrifiants et des détergents afin d’augmenter la désorption du gaz.
Deuxièmement, la rentabilité du gaz de schiste implique d’analyser les coûts variables selon les gisements incluant les coûts de transport (les États-Unis étant canalisés), de l’évolution des prix très volatils, de l’évolution du mix énergétique mondial dont la part des énergies substituables dont les énergies renouvelables, des pays concurrents, et pour le gaz, ne pouvant pas parler d’un marché de gaz comme celui du pétrole (marché segmenté géographiquement), les canalisations représentant en 2024 environ 65 % de la commercialisation mondiale, le GNL donnant plus d’autonomie dont le prix est supérieur de 2 à 3 dollars au GN, allant vers 50 % à l’horizon 2030.
Troisièmement, il faut savoir d’abord que le gaz de schiste est concurrencé par d’autres énergies substituables et que les normes internationales donnent un coefficient de récupération moyen de 15/20 % et exceptionnellement 30 %, l’exploration pouvant mener à la découverte de milliers de gisements mais non rentables financièrement, les réserves se calculant selon le couple prix international des énergies et coût.
Quatrièmement, il faut perforer des centaines de puits pour avoir 1 à 2 milliards de mètres cubes gazeux par an, plus de 1 000 puits pour dépasser plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes gazeux, chaque puits ayant un volume de production spécifique.
Cinquièmement, la durée de vie d’un puits ne dépasse pas cinq années, devant se déplacer vers d’autres sites, assistant à un perforage sur un espace déterminé comme un morceau de gruyère.
Sixièmement, pour s’aligner sur le prix de cession actuel, devant tenir compte de la profondeur pour la technique traditionnelle de la fracturation hydraulique (le coût n’est pas le même pour 600 mètres ou 2 000/3 000 mètres supposant le bétonnage), le coût du forage du gaz non conventionnel d’un puits devrait être de moins de 5/7 millions de dollars pour être rentable, alors que selon les experts, pour l’Algérie dans la situation actuelle, permet un coût de 18/20 millions de dollars par puits.
Septièmement, l’exploitation de ce gaz implique de prendre en compte que cela nécessite une forte consommation d’eau douce, et en cas d’eau saumâtre, il faut des unités de dessalement extrêmement coûteuses, notamment les techniques de recyclage de l’eau.
Huitièmement, il faut prévoir les effets nocifs sur l’environnement (émission de gaz à effet de serre), la fracturation des roches pouvant conduire à un déséquilibre spatial et écologique. Et en cas de non-maîtrise technologique, elle peut infecter les nappes phréatiques au Sud, l’eau devenant impropre à la consommation avec des risques de maladies comme le cancer.
Neuvièmement, toute compagnie étrangère pour investir dans le gaz de schiste nécessitant de lourds investissements, dans les sites d’exploration et les canalisations vers les sites d’exploitation, exigent la stabilité sociale et poseront forcément l’assouplissement de la règle des 49/51 % contenue dans la loi des hydrocarbures.
Si l’Algérie veut aller vers l’exploration du gaz de schiste, elle doit s’appuyer sur un co-partenariat incluant des clauses restrictives avec des pénalités en cas de non-respect de protection de l’environnement et la formation des Algériens.
Pour éviter des remous sociaux notamment dans le Sud, région sensible avec la situation de la région sahélienne, la question de l’exploitation du gaz de schiste doit être l’objet d’un débat reposant sur les arguments, pour ou contre, associant des experts de l’énergie et non des généralistes qui ne connaissent pas ce dossier complexe, et la société civile dont les associations chargées de la protection de l’environnement.
Et en dernier lieu, seul le Conseil national de l’Énergie sous la haute autorité du président de la République est habilité à trancher sur ce dossier sensible. ademmebtoul@gmail.com