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Le changement est réel !

Le ministre des Finances balaie les craintes sur la dette intérieure et promet une administration digitale dès début 2026.

Confronté mardi soir à l’Assemblée populaire nationale à une salve de questions  sur le projet de loi de finances 2026, le ministre des Finances Abdelkrim Bouzred a livré une défense en règle de la politique économique du gouvernement. Pendant une heure, le premier argentier du pays a multiplié les chiffres et les annonces pour démontrer que l’économie algérienne avance dans la bonne direction, qu’elle s’est affranchie de sa dépendance aux hydrocarbures et qu’une transformation numérique sans précédent s’apprête à bouleverser l’administration fiscale et budgétaire dès les premiers mois de 2026.

Face aux 258 interventions des députés qui ont rythmé trois jours de débats souvent vifs sur un budget évalué à 17.000 milliards de dinars, Abdelkrim Bouzred n’a pas caché son agacement devant certaines critiques. « Pendant trois jours, j’ai écouté avec respect toutes les opinions, mais je m’interroge : pourquoi avons-nous parfois tendance à donner des lectures et des interprétations négatives à des règles économiques reconnues et appliquées dans la plupart des pays, y compris les plus développés ? », a lancé le ministre en préambule de sa longue intervention, achevée peu avant 22h15. Le ministre a tenu à dissiper d’emblée ce qu’il considère comme des malentendus sur la santé économique du pays. « Les chiffres enregistrés qui ont servi de base à l’élaboration du budget 2026 ne sont pas fabriqués, ils sont réalistes et s’appuient sur ce qui a été réalisé ces dernières années », a-t-il martelé. Selon lui, l’économie algérienne a connu au cours des dernières années une véritable diversification qui lui a permis de sortir de la logique rentière pour s’orienter vers une diversification réelle des recettes. Cette transformation se traduit par des taux de croissance appréciables, le maintien des équilibres extérieurs et une inflation maîtrisée à des niveaux acceptables. « Je rassure les députés : nous avançons dans la bonne direction, sans complaisance », a affirmé Bouzred, insistant sur le fait que les politiques économiques et financières adoptées ont permis de préserver ces équilibres tout en renforçant la croissance. Cette orientation constitue désormais le socle sur lequel repose le budget 2026, dans le cadre d’une politique financière visant à consolider la croissance et à améliorer la gestion des ressources publiques.

Un déficit « non préoccupant » financé par la dette intérieure

L’un des points de crispation majeurs du débat a porté sur le déficit budgétaire et son mode de financement. Le ministre a tenu à rectifier certains chiffres avancés dans les discussions. « Le déficit prévu s’élève à 5.000 milliards de dinars et non 9.000 comme cela a circulé », a-t-il précisé. Ce déficit sera financé par la dette intérieure, « sans que cela n’ait d’impact sur l’économie ou sur les prix », a-t-il assuré, rappelant qu’aucun pays au monde n’est en mesure de financer son déficit sans recourir à l’endettement. Sur la question sensible de la dette intérieure, Bouzred a fourni un état des lieux détaillé. Le niveau actuel de la dette intérieure globale est estimé à environ 18.000 milliards de dinars, dont 7.000 à 8.000 milliards destinés à couvrir le déficit budgétaire, 6.000 milliards de financements non conventionnels datant de 2017, et 3.500 milliards de dinars représentant des crédits octroyés aux entreprises publiques, notamment Sonelgaz pour financer les projets de production électrique et les stations de dessalement d’eau depuis les années 2000. « La dette intérieure est un mécanisme de financement normal et encadré par la loi », a insisté le ministre, agacé par ce qu’il qualifie d’interprétations erronées. Il a particulièrement tenu à défendre l’article modifiant la loi monétaire et bancaire, qui porte le taux d’avance du Trésor public auprès de la Banque centrale de 10% à 20% des recettes annuelles. « Cette mesure remonte à la loi sur le crédit et la monnaie des années 1990. Réviser ce taux à 20% est une chose normale qui reflète l’évolution de la situation économique, et ne signifie en aucun cas une manipulation de l’argent public », a-t-il affirmé. Le ministre a également expliqué que ces avances sont calculées sur la base des recettes fiscales ordinaires et pétrolières réunies, car elles font partie intégrante des ressources nationales. « Les revenus du pétrole ne sont pas de l’argent interdit, alors je me demande pourquoi certains refusent de les inclure dans ce calcul et quels sont leurs arguments ? », a-t-il lancé, critiquant ceux qu’il a qualifiés d’être « plus royalistes que le roi » dans leur lecture des textes économiques. La durée de remboursement est fixée à 240 jours, avec possibilité de prolongation si les conditions financières ne permettent pas le remboursement dans les délais.

Une amnistie fiscale inédite pour élargir l’assiette

Autre sujet épineux : les dispositions relatives à la régularisation fiscale volontaire prévues dans l’article 89 du projet de loi. Cette mesure permet aux commerçants et opérateurs économiques de régulariser leur situation en payant 10% des sommes déclarées. Bouzred a tenu à distinguer cette initiative de celle de 2016, qui n’avait pas atteint les résultats escomptés. « La mesure actuelle ne vise pas à attirer l’argent des commerçants qui circule hors des banques, mais offre une opportunité aux commerçants et hommes d’affaires qui ne sont pas en règle dans leurs déclarations fiscales de régulariser leur situation légale », a-t-il expliqué. L’objectif est de les encourager à revenir dans le circuit légal et d’élargir l’assiette fiscale de l’État. Cette réconciliation fiscale profonde, prévue pour 2026, diffère radicalement de celle mise en place en 2016 et représente une chance majeure pour les acteurs économiques de se mettre en conformité.

La révolution numérique en marche

C’est sans doute sur le volet de la numérisation que le ministre s’est montré le plus enthousiaste et précis. Les efforts ont été intensifiés au niveau des différentes administrations pour parachever dans les plus brefs délais l’opération de numérisation, en vue de mettre en place une base de données unifiée facilitant les transactions et contribuant au renforcement du processus de réformes en cours. Dans le secteur des finances, l’opération de numérisation enregistre un progrès « satisfaisant ». Le ministère dispose désormais d’une base de données nationale comportant les biens des citoyens et des entreprises. Des conventions de coopération ont été signées avec d’autres organismes pour faciliter l’échange d’informations. « Les citoyens pourront, début 2026, accéder à distance aux documents administratifs relatifs à leurs biens », a annoncé Bouzred, qualifiant cette avancée de « saut qualitatif » vers une administration numérique moderne.

Autre innovation majeure : le livret foncier électronique sera mis en service au cours du premier semestre 2026. Sous forme de puce électronique intelligente sur laquelle seront enregistrées toutes les opérations immobilières, ce dispositif permettra la mise à jour des données foncières tout en simplifiant les transactions entre les citoyens et l’administration. Une étape qualitative dans la facilitation des échanges et la protection de la propriété.

Pour l’administration fiscale, un système numérique intégré comprenant l’ensemble des dossiers des commerçants et des opérateurs économiques sera lancé d’ici la fin de l’année 2025. Cette plateforme garantira davantage de transparence et « empêchera toute manipulation des dossiers ou des droits de l’État et des citoyens », a promis le ministre, soulignant que cette digitalisation mettra fin aux pratiques frauduleuses.

Gestion budgétaire et salaires  : le tout-électronique dès janvier 2026

La gestion du budget connaîtra dès le début de l’année prochaine une transformation radicale, consistant en un recours total aux transactions électroniques. Cette révolution facilitera le paiement des salaires, la collecte des statistiques et le suivi des opérations financières. La numérisation s’étendra ultérieurement à la Trésorerie publique.

Le projet de numérisation complète du budget de l’État mobilise actuellement la direction du budget et l’administration du Trésor, qui travaillent à l’unification d’un système informatique unique pour gérer les opérations financières en temps réel. Mis en place depuis quatre mois, ce système permettra de suivre l’exécution des projets et d’accélérer le rythme de décaissement des dépenses, particulièrement dans le domaine de l’investissement. La numérisation des opérations d’exécution budgétaire permettra l’amélioration de la gestion des liquidités, notamment concernant les créances des entreprises et les opérations d’investissement. Grâce au système de suivi électronique, le Trésor pourra identifier les entités n’ayant pas utilisé les fonds qui leur ont été alloués, permettant ainsi une meilleure maîtrise des dépenses et une utilisation plus efficiente des ressources publiques.

Subventions ciblées : pas avant une base de données exhaustive

Sur le dossier très sensible des subventions aux produits de large consommation, le ministre a été clair : pas question de précipiter les choses. L’article 187 de la loi de finances 2022 prévoyait la création d’une commission nationale pour mettre en œuvre les mécanismes de soutien sélectif, mais cette commission n’a jamais été installée. Bouzred considère cela comme « une chose positive ». « L’application du soutien sélectif nécessite une base de données précise et exhaustive sur les revenus et les biens des citoyens », a-t-il expliqué. Le ministre a illustré son propos en évoquant la coopération entre les ministères des Finances et de l’Habitat, notamment la direction des domaines de l’État, pour identifier les véritables bénéficiaires des logements AADL par exemple, grâce à l’interconnexion des données consultables d’un simple clic. « Nous atteindrons à l’avenir le point où nous saurons quel citoyen possède quoi que ce soit, ne serait-ce qu’une voiture, et qui mérite le soutien et qui ne le mérite pas », a-t-il promis. « L’accélération de la numérisation, en vue de la création d’une base de données exhaustive contenant toutes les informations sur les citoyens, permettra l’application d’un système d’aide directe aux citoyens dans le besoin », a assuré le ministre, conditionnant clairement toute réforme des subventions à l’achèvement préalable de cette infrastructure numérique.

Marchés publics : un système spécial pour le Sud

Dernier volet abordé par le ministre : la simplification des procédures relatives aux marchés publics. Le ministère des Finances œuvre à la révision de ces procédures dans le cadre de la nouvelle loi sur les marchés publics de 2023. Le décret exécutif de cette loi n’a pas encore été publié, « intentionnellement », car des amendements sont en cours d’introduction pour simplifier les procédures. Ces amendements permettront de tenir compte des spécificités des régions du Sud, qui rencontrent des difficultés à consommer les budgets des projets dans les délais impartis. « Le ministère aspire à mettre en place un système consacré aux marchés publics dans le Sud », a annoncé Bouzred, précisant que ces amendements garantiront l’efficacité de l’exécution des projets et leur suivi sur le terrain, avec un système adapté à la nature des investissements dans ces régions.

Au terme de cette séance marathon, les députés ont déposé 77 amendements aux articles du projet de loi. Le bureau de l’Assemblée populaire nationale s’est d’ailleurs réuni mercredi pour filtrer ceux qui remplissent les conditions légales, avant de les transmettre à la commission des finances et du budget qui se réunira jeudi ou samedi prochain pour préparer le rapport complémentaire. Le vote sur le projet de loi de finances 2026 est prévu pour le mardi 18 novembre.

Samir Benisid

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