La reprise post-pandémie doit comprendre l’économie des soins
parMercedes D’Alessandro et Maria S. Floro
Comme le dit la sagesse populaire, ce qui est mesurable est gérable. Il est essentiel de trouver des moyens d’inclure le travail des travailleurs de santé non rémunérés dans les indicateurs économiques, les modèles et les politiques.
La pandémie de covid-19 a peut-être ralenti l’économie mondiale en 2020, mais «l’économie des soins » n’a jamais fonctionné à si haut régime que cette année-là. Les économistes et les décideurs ignorent ce segment de l’économie depuis trop longtemps. Les modèles économiques tiennent compte des biens et services vendus sur le marché et des travailleurs qui les produisent, perçoivent un revenu et paient des impôts. Mais le travail qui permet à ces travailleurs d’être nourris, soignés quand ils sont enfants et pris en charge quand ils sont malades est presque indétectable dans les données officielles.
La raison en est simple : une grande partie du travail dans l’économie des soins n’est pas financièrement compensée. Le travail non rémunéré n’est pas inclus dans le Système de Comptabilité Nationale ni dans le produit intérieur brut. Les économistes qui ont élaboré ces mesures se sont concentrés principalement sur la valeur des transactions du marché. Cette perspective, qui ignore les contributions non acquittées, a longtemps été institutionnalisée au sein de l’analyse économique conventionnelle. La pandémie a placé ses lacunes sur le devant de la scène.
Des efforts pour remédier à la sous-évaluation sociale du travail de soins sont en cours depuis les années 1990. La collecte de données sur l’utilisation du temps dans plus de 90 pays à travers le monde nous a aidés à en apprendre davantage sur le travail non rémunéré, principalement effectué par les femmes. Bien que cette information précieuse puisse être utilisée pour évaluer un large éventail de politiques fiscales, sociales et de travail, les données sur l’utilisation du temps sont sous-exploitées dans la planification et l’analyse. Le secteur des soins reste pour la plupart non comptabilisé dans les outils de politique conventionnels.Mais il y a quelques exceptions.
À la fin de l’année dernière, le Ministère argentin de l’Économie a indiqué que les soins non rémunérés et le travail domestique représentaient 15,9 % du PIB, ce qui en fait le secteur le plus important de l’économie, suivi par l’industrie (13,2 %) et le commerce (13 %). Si les très nombreuses tâches domestiques effectuées chaque jour dans les foyers argentins étaient rémunérées, le secteur contribuerait à hauteur de 67,4 milliards de dollars au PIB du pays. Sans surprise, le ministère a constaté que 75,7 % des tâches sont effectuées par des femmes, qui totalisent environ 96 millions d’heures de travail domestique et de soins non rémunérées par jour.
Le ministère analyse également l’importance de la croissance économique du secteur durant la pandémie. Durant le confinement du pays, l’économie de la santé a joué un rôle essentiel dans le maintien de la société. Alors que l’activité a chuté dans de nombreux secteurs économiques, la quantité de soins de santé a augmenté de 5,9 %, soit l’équivalent de 21,8 % du PIB. Les parents qui travaillent, en particulier les mères, ont souvent été contraintes de renoncer à des emplois rémunérés pour s’occuper d’enfants ou de parents malades.
Mais la pandémie n’a fait que révéler au grand jour la partie visible de l’iceberg de la « crise des soins ». La Corée du Sud montre ce qui peut arriver lorsque les décideurs ne parviennent pas à doter suffisamment l’économie des soins. Bien que le gouvernement ait investi dans les services de garde d’enfants et de soins de longue durée au cours des dernières décennies, les dépenses restent insuffisantes et les politiques dépendent fortement du secteur privé, où les travailleurs sont mal payés. En l’absence d’une infrastructure efficace pour la garde d’enfants et de soins de qualité et abordables aux personnes âgées, les femmes passent de nombreuses heures à s’occuper d’autres personnes. Et elles n’ont pas d’enfants. La Corée du Sud a le taux de natalité le plus bas au monde – seulement 0,84 enfant par femme.
Aux États-Unis, il y a deux modèles d’investissement public dans les soins qui méritent d’être examinés. L’aide à la garde d’enfants pour les familles qui travaillent et à l’éducation préscolaire universelle pour les enfants de trois et quatre ans a été incluse dans le projet de plan budgétaire décennal de 3,5 billions de dollars, qui sera débattu au Congrès – dans le cadre d’un investissement à long terme de 726 milliards de dollars dans les infrastructures sociales. Bien que ce soit un progrès dans la bonne direction, un système de soins fiable et abordable pour les familles de travailleurs doit s’accompagner d’emplois de haute qualité et bien rémunérés dans le secteur. Une augmentation du financement ne modifiera pas les problèmes structurels du marché du travail.
Une approche plus holistique se trouve dans le comté de Multnomah, en Oregon, où se trouve la ville de Portland. Le comté est en train de mettre en œuvre une initiative de soins du nom de Preschool for All (Maternelle pour tous), dans laquelle une taxe sur les personnes à revenu élevé va financer l’éducation universelle de la petite enfance pour les enfants de trois et quatre ans. Cette initiative va permettre également d’augmenter les salaires des prestataires de soins dans le but de réduire le taux de renouvellement élevé du personnel sur le terrain et de promouvoir une prestation de soins de qualité.
Dans le cadre de sa reprise post-pandémie, le gouvernement argentin a pour mandat de s’attaquer aux inégalités entre les sexes par le biais d’un nouveau modèle de politiques budgétaires. Ses efforts visant à tenir compte du rôle des soins dans l’économie globale devraient être un exemple pour le reste du monde. Comme le dit la sagesse populaire, ce qui est mesurable est gérable. Il est essentiel de trouver des moyens d’inclure le travail des travailleurs de santé non rémunérés dans les indicateurs économiques, les modèles et les politiques pour faire face à une crise en cours qui, comme l’a clairement mis en évidence la pandémie, touche non seulement les femmes, mais la société tout entière.
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