Lutte contre la contrefaçon : « La sensibilisation et l’information du consommateur est essentielle »
Dans cet entretien, Christophe Blanchet,élu en mars 2022 à la tête du Comité français anti-contrefaçon (CNAC), décrypte les multiples facettes de ce fléau et suggère des solutions qui pourraient le juguler. Tout en donnant un aperçu sur l’organisme qu’il préside et les moyens de lutte contre la contrefaçon dans l’Hexagone, Christophe Blanchet fait un état des lieux dans le monde et la nécessité d’aller vers une coopération internationale pour lutter contre la criminalité transnationale.
Entretien réalisé par :
Riad Lamara
L’Algérie abrite bientôt les 6ème Journée de la marque et de la contrefaçon auxquelles vous prenez part. Au-delà du volet lié à la sensibilisation, quelles sont les attentes majeures de cette rencontre annuelle ?
Nous remercions chaleureusement les organisateurs de ces journées d’inviter, une nouvelle fois, un représentant du CNAC à intervenir. La coopération internationale est indispensable pour lutter contre une criminalité véritablement transnationale, dont les effets se font sentir dans les différents pays. Ces rencontres sont toujours l’occasion de partager des bonnes pratiques, des expériences réussies ainsi que des connaissances et des contacts utiles.
Le fléau de la contrefaçon touche toutes les pans de l’économie mondiale. Cela va du médicament, aux vêtements, aux produits cosmétiques et parfums jusqu’à la pièce de rechange automobile, en passant par les jouets, la chaussure et les produits de l’électroménager et électroniques. Pourriez-vous nous faire un point de situation dans le monde ?
Le 21 juin 2021, l’OCDE et l’EUIPO ont publié leur rapport conjoint sur le commerce de contrefaçon . Il fait suite à un rapport publié en 2019. La bonne nouvelle de ce nouveau rapport est que l’on observe une légère diminution du volume mondial et des importations dans l’UE de contrefaçons soit 2,5% du commerce mondial en 2019 (contre 3,3% en 2016) et 5,8% des importations dans l’UE de produits contrefaisants (au lieu de 6,8 % en 2016).
Si les contrefaçons et marchandises pirates proviennent de pratiquement toutes les économies de tous les continents, la Chine (y compris Hong Kong) reste la première économie productrice pour un très grand nombre de produits, suivie de la Turquie (notamment pour les parfums et cosmétiques, articles de cuir, chaussures, jeux et jouets ainsi vêtements), l’Inde (parfums et cosmétiques et vêtements).
Ces produits continuent d’emprunter des routes commerciales complexes et utilisent un ensemble de points de transit intermédiaires de manière abusive. Nombre de ces économies de transit, par exemple Hong Kong (Chine), Singapour ou les Emirats arabes-unis sont des économies bien développées à revenu élevé et d’importantes plateformes de commerce internationale.
La contrefaçon prend une ampleur inquiétante sur les sites marchands et les réseaux sociaux et porte atteinte aux biens, à la santé publique et à la sécurité des personnes. Ce fait relève-t-il de l’échec de la lutte contre les contrefacteurs ou du changement du mode opératoire de ces derniers ?
Le terme d’échec est un peu fort. Les forces répressives font un travail exceptionnel. A titre d’exemple, en juin dernier l’opération Pangea-XV a permis la saisie de médicaments illicites vendus sur internet d’une valeur de 11 millions d’USD.
En septembre 2022, il a été annoncé que 6,7 millions de faux jouets ont été saisis lors d’une opération internationale coordonnée par la France (avec Europol, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, le Royaume-Uni et la République Tchèque).
Mais effectivement Internet a permis d’amplifier le phénomène et l’envoi des contrefaçons via des petits colis. Les filières de commerce illicite contribuent à ce phénomène en empruntant de préférence la voie postale afin d’échapper aux saisies douanières. Tout cela oblige les douanes à repenser leur stratégie et leurs méthodes de ciblages.
Existe-t-il un modèle idéal de lutte contre la contrefaçon, sachant que les textes de loi ne semblent pas inquiéter les contrefacteurs ?
Malheureusement non, mais il existe des bonnes pratiques partout dans le monde que nous essayons de recenser au sein des groupes de travail du CNAC pour améliorer le dispositif.
Concernant la législation, nous sommes en train de travailler en France sur un texte de loi «modernisation de la lutte contre les contrefaçons» destiné à harmoniser et moderniser le cadre législatif français.
Ce texte fait suite à la publication de mon rapport sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon . Mes propositions de réforme ont vocation à inciter à changer de regard sur la contrefaçon afin de mieux prendre en compte la nocivité réelle de ce délit, à définir une stratégie nationale et européenne destinée à mieux défendre les créateurs et les fabricants qui sont les victimes d’un véritable fléau, et à renforcer la sévérité de la réponse judiciaire face à une délinquance très organisée.
Il est essentiel de prendre conscience que la contrefaçon ne touche pas que l’industrie du luxe, mais qu’elle s’attaque à des produits de notre vie quotidienne : médicaments, jouets, tabac, etc. avec des conséquences dangereuses en termes de santé publique, de protection de l’environnement et de sécurité intérieure.
Ce ne sont pas seulement les grandes entreprises qui en sont victimes, mais également nos PME innovantes qui n’ont souvent pas les moyens de réagir.
Les consommateurs, y compris ceux qui se rendent compte des dégâts que cela pourrait avoir sur leur santé et leur sécurité, recourent souvent au produit contrefait du fait qu’il est moins cher sur le marché. Comment expliquez-vous ce comportement ?
Je l’explique par une véritable méconnaissance de ce qu’est la contrefaçon : elle menace notre économie, mais aussi la santé de tous, à cause des produits nocifs utilisés. Acheter des contrefaçons c’est se mettre en danger mais aussi financer le crime organisé, encourager le travail des enfants et cela a des effets désastreux sur l’environnement.
Pour moi, il est urgent de sensibiliser les citoyens sur le danger auquel ils s’exposent quand ils achètent des produits contrefaisants. Nous devons changer le regard du consommateur sur la contrefaçon.
L’information des consommateurs sur l’impact négatif des contrefaçons à différents moments clés de l’éducation ou de la vie économique est une des dix-huit propositions de mon rapport précédemment cité. La contrefaçon existe d’abord car il y a des acheteurs.
La contrefaçon impacte également les entreprises. Hormis quelques-unes qui osent monter au créneau, pourquoi celles-ci préfèrent rester placides, alors que leurs produits sont déclarés et protégés par la loi ?
Lorsque que l’on discute avec des chefs d’entreprises, ils soulignent toujours le manque de sanctions envers les contrefacteurs, leurs difficultés à mener une action au niveau international pour poursuivre le fraudeur, le manque d’informations sur les produits contrefaisants, la nécessité de renforcer la mutualisation des connaissances en matière de propriété intellectuelle ainsi que la mise en place d’un service de veille approprié.
De plus, les études montrent que les entreprises sont encore trop peu nombreuses à défende correctement leur propriété intellectuelle. Au niveau européen, seules 10% des PME et 40% des grandes entreprises détiennent des droits sur des titres de propriété intellectuelle. Plus l’entreprise est petite moins elle est sensibilisée à cette protection. L’accompagnement des entreprises constitue un enjeu de taille.
En France, le dispositif de lutte contre la contrefaçon est chapeauté, depuis 1995, par le Comité national anti-contrefaçon (Cnac). En qualité de président de ce comité, comment s’opère la lutte sur le terrain?
Le CNAC regroupe l’ensemble des acteurs du secteur privé et du secteur public français impliqués dans la lutte contre les contrefaçons. Nous fonctionnons par groupe de travail.
Coopération internationale : L’objectif de ce groupe de travail est d’aider les entreprises françaises à se défendre et à faire valoir leurs droits à l’étranger. Nous bénéficions du soutien du réseau des attachés PI INPI qui facilite le dialogue entre le secteur privé et les administrations locales. Ce réseau permet aussi de rencontrer les autres comités anti-contrefaçon ou d’aider des pays à structurer les échanges interministériels et le dialogue public-privé en un comité.
Cyber contrefaçon : Nous avons mis en place un dialogue régulier avec le plus grand nombre de plateformes pour mettre en place des procédures de retraits des produits litigieux.
Aspects législatifs : Nous veillons à avoir l’arsenal législatif le plus complet. Je travaille en ce moment avec les membres du CNAC sur le texte de loi «modernisation de la lutte contre les contrefaçons» précédemment évoqué. Mon souhait est de pouvoir faire adopter le texte le plus efficace possible.
Communication -sensibilisation : Les objectifs de ce groupe de travail sont de s’assurer que des messages sont envoyés régulièrement aux consommateurs et aux politiques et de sensibiliser les entreprises aux enjeux de la propriété intellectuelle. A titre d’exemple, chaque année, l’Union des fabricants lance en partenariat avec l’INPI, le CNAC, la Douane et la Gendarmerie, une vaste campagne de sensibilisation des consommateurs aux effets et conséquences de la contrefaçon.
R.L