DébatsEntretien

M’hand Berkouk, expert en Géopolitique : « Il faut que les Arabes prennent conscience de l’impact que  la normalisation aura sur leur unité »

Entretien réalisé par Amar Malki

La situation dans le Sahel est complexe alors que les défis sécuritaires sont nombreux. Quelles sont les principales sources de menaces dans la région ?

La zone du Sahel connaît, depuis plusieurs années,  un certain nombre de crises géopolitiques mais aussi une dynamique générée par un ensemble de variables endogène, notamment un sous-développement chronique. Ces pays sont classés comme étant les moins avancés au monde par des problèmes d’instabilité systémiques, par des problèmes liés aux crises identitaires mais surtout par rapport à des schémas d’ingérence étrangère. Aujourd’hui, il y a, au Sahel, des Etats qui connaissent des fragilités, d’autres sont en situation de déchéance, notamment le Mali. On voit aussi dans cette région la consolidation du rôle des acteurs de la déstabilisation par le terrorisme. On voit des groupes liés à El Qaida, notamment  «Djamaate Nosra El Islam et Mouslimine », d’autres qui sont liés à l’État islamique au grand Sahara mais aussi l’émergence de ce qu’on appelle aujourd’hui un terrorisme qui essaye essentiellement de lier deux éléments identitaires, à savoir l’éthnie et la religion. Dans cette région du Sahel, il y a une présence étrangère de 12 pays ; venus des horizons différents mais aussi par une présence qui est remise en cause, celle de la France. Nous commençons par le Mali où la France s’est retirée  pour se redéployer au Sahel même au-delà, vers la baie de Guinée. Il y a aussi une présence américaine  depuis le pré-signature de l’accord des statuts des forces armées en 2013 pour deux bases permanentes, en plus de la présence des Belges, des Italiens, des Allemands. Il y a donc une prolifération à la fois d’acteurs dans la déstabilisation mais la présence étrangère constitue aussi un facteur de déstabilisation.  Cette région est ouverte de par sa situation géopolitiquement. Nousparlonsd’une zone de concurrence stratégique, Dans cette situation moins sécurisée, et peut être plus sous-développée, c’est une zone grise presque péreine. L’Algérie, dans sa démarche de respect de la souveraineté et de non-ingérence, a été toujours porteuse de solutions par des négociations internes sans pour autant s’immiscer dans les affaires internes de ces pays et essaye aussi d’apporter des solutions pour la construction des capacités de ces Etats soit sur le plan de la formation des cadres, sur le plan de l’action humanitaire mais aussi sur le plan de la formation institutionnelle.

Quel est le rôle de l’Algérie dans la résolution de ces conflits ?

L’Algérie a aussi initié depuis pratiquement les années 1990 et à quatre reprises des initiatives de dialogue et d’accords,  en  1990, 1996, 1997, 2006 et 2015 lequel était un accord cadre  géré par le Comité de suivi de l’accord d’Alger, le CSA. L’Algérie  a toujours été salué pour son rôle par le Conseil de Sécurité de l’ONU dans toutes ses résolutions par rapport au Mali. Certes, le caractère chronique des crises liées à un certain nombre de facteurs, soit structurels, sou structurants en plus de l’ingérence étrangère, a constitué un facteur de déstabilisation. C’est pour cela que l’Algérie a toujours œuvré pour le développement d’unsystème de sécurité collective avec un comité de sécurité qui répondrait justement à ces facteurs de fragilisation, qui endiguerait les menaces d’existence et qu’il y ait aussi une solidarité opérationnelle entre les pays sans pour autant agir militairement ou se projeter militairement dans ces régions. La création du Cemoc (Comité d’état-major opérationnel conjoint, NDLR) en 2010 avec comme ambition de fédérer ces 4 pays du champ, à savoir la Mauritanie, le Mali, le Niger et l’Algérie, pour développer ces capacités, partager les bonnes pratiques, et le savoir-faire opérationnel. On a vu que l’opération française Serval en 2013, plus tard l’opération Barkhane en 2014 n’ont pas été des stratégies de stabilisation, mais des facteurs de la complexification dans la région. C’est pour cela que les pays de la région doivent revoir d’une manière urgente les schémas de coopération qui doivent répondre aux spécificités nationales, et qui doivent dresser ces perceptions collectives. L’Algérie est un pays qui a plus de 6400 km de frontières partagées avec des pays comme la Libye, la Tunisie, le Niger, le Mali, la Mauritanie, le Sahara Occidental et le Maroc.

L’Algérie joue un rôle pivot en Afrique sur le plan économique et diplomatique mais aussi séciritaire. Au delà de son rôle dans le Cemoc elle renforce la coordination sécuritaire avec les pays africains. Quelle peut être la contribution de l’Algérie dans le renforcement des capacités en matière de défense de l’Afrique?

Le rôle de l’Algérie en Afrique n’est pas nouveau. Depuis 1963, l’Algérie n’a cessé de développer le cadre normatif et des interactions africaines en commençant par l’intangibilité des frontières en 1963 mais aussi par rapport à cette prise en charge des mouvements et des causes de libération. Alger, qui était la Mecque des révolutionnaires, est devenu aussi, avec la création de l’Union Africaine, l’Etat qui porte le droit de l’Afrique à la sécurité et au développement. En commençant par le premier texte de 1999, référent en matière de lutte contre le terrorisme, par la création d’un certain nombre d’institutions de veille et d’alerte sécuritaire dans le cadre du conseil de paix de sécurité. L’Algérie a présidé, au moins à quatre reprises, ce conseil. Elle a lancé un certain nombre d’initiatives lui permettant notamment de développer le sens de l’architecture de la paix et de la sécurité, de développer aussi cet esprit de coopération sécuritaire entre les pays africains. L’Algérie a toujours travaillé dans le cadre de la prévention des conflits et de leur résolution. Citons le cas de l’Ethiopie-Erytrée  en 2000, le Mali et l’Accord d’Alger. Elle a, à plusieurs reprises, proposé des ébauches de solutions pour le conflit en Libye. Elle a aussi développé des principes nouveaux en matière de non ingérence mais surtout de non reconnaissance des changements politiques non constitutionnels, en plus du droit à la sécurité, au développement et à démocratie. Cela constitue le triptyque d’orientation de notre politique en Afrique.

Le Sommet arabe d’Alger s’est fixé d’importants objectifs. Quelles peuvent être les perspectives de relance de l’initiative arabe de paix ?

Le monde Arabe est actuellement confronté à un certain nombre de situations de conflits. Nous voyons des pays en déchéance comme la Libye, la Syrie, le Yémen, le Soudan qui butent à trouver des solutions politico-constitutionnelles. On voit la fragilisation de certains États comme c’est le cas de l’Irak et de la Tunisie. Il y a aussi un potentiel d’ingérence important dans cette région, notamment avec cette reconfiguration géopolitique mondiale où le monde arabe serait un terrain de compétitions stratégiques  à dimension violente. Il suffit de lire juste quelques textes de références  dans la boussole stratégique de l’Union Européenne de mars 2022, le 4e concept de l’Otan de juin 2022, le rapport du conseil du renseignement américain pour l’horizon 2040 pour comprendre que cette région est encore une fois une zone de confrontations mais aussi une zone ou les grandes puissances essayent d’assurer et de garantir leurs intérêts par une présence au sol. Il y aura plus de bases militaires. Il y a des Etats auxquels on a accordé le statut d’allié majeur à l’Otan. Il y a aussi cette volonté des puissances actuelles pour créer des conditions de la complexification de la crise palestinienne pour que celle-ci reste un facteur d’instabilité dans cette région, mais aussi un facteur de discorde. Les normalisations, dans le cadre de cette politique de redéploiement, a crée de nouvelles fissures dans cette approche arabe par rapport à la Palestine. Le Plan Arabe de résolution de 2002 ne peut pas être appliqué étant donné que la notion d’échange entre la normalisation et la création de l’Etat Palestinien n’est plus possible. Cette approche est en faillite. Il faut que les Arabes prennent en compte et prennent conscience des mutations mais surtout de l’impact que  la normalisation aura sur l’unité des arabes et sur la question palestinienne.

A.M.

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