Entretien

Entretien avec Said Boukhelifa, expert international : « 90% des guides ne connaissent pas leur métier »

Expert international en tourisme et délégué pour l’Algérie à l’Association mondiale de la formation hôtelière et touristique (Amforht), Said Boukhelifa estime dans cet entretien qu’aucune industrie touristique au monde ne peut réussir son chalenge sans reposer sa chaîne de valeurs sur la volonté politique et la formation, la ressource humaine qualifié et exclusivement dédiée à ce secteur névralgique, et, enfin, la concrétisation.

Entretien réalisé par : Riad Lamara

Le métier de guide touristique est très important. Il faudrait une formation de base de qualité. Qu’en-est-il en Algérie ?

 Effectivement le métier de guide est très important. Il lui faut une formation de base de qualité. En Algérie, la situation est très en dessous des normes internationales. Elle est même anarchique car dominée par l’informel, par des de jeunes qui se sont improvisées guides, sans un minimum de formation,notamment au niveau de la Casbah, des ruines de Tipasa, d’Oran et Santa Cruz, Djemila et les ruines, Constantine et ses ponts, Annaba et la basilique Saint Augustin, Timgad et d’autres régions. Dans cette situation, on n’a pas de chiffres précis, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat ne les possède pas. Mais on peut avancer que ces pseudos guides représentent plus de 90% de la masse globale qui s’exerce à ce métier passionnant, fatiguant et exaltant à la fois. Un bon guide formé peut vous faire valoriser une ville, un site, un monument. Un mauvais guide non formé, à l’inverse, peut détruire l’image d’une ville, d’un site, d’un monument et surtout toute une destination.

Le nombre de de guides touristiques qui exercent actuellement dans le pays suffit-il à répondre à la demande des Tours Operators et des agences touristiques ?

Non, le nombre de guides touristiques qui exercent actuellement dans le pays n’est pas suffisant. Notamment les guides qualifiés, peu nombreux. Si on avait eu un grand nombre de touristes étrangers, cela aurait été la catastrophe à cause de l’intrusion de ces pseudos guides non formés et opportunistes de mauvais aloi et à la recherche de gains faciles et immérités. Très peu parlent l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol. En plus du français, l’anglais est primordial. Car l’Algérie a reçu des touristes américains, australiens, japonais en petit nombre, mais il était difficile de les encadrer par de bons guides anglophones. Ces trois nationalités sont venues essentiellement pour le tourisme archéologique, culturel et pour les sites des gravures et peintures rupestres du Tassili N’Ajjer. C’est un segment de clientèle aisé qui paye cher pour enrichir sa culture, qui exige de bons hôtels 4 et 5 étoiles, un très bon guide qui les abreuve d’informations historiques et culturelles aussi complètes que possibles. Car ils viennent consommer un produit haut de gamme, qui est le tourisme archéologique et saharien.

Le métier de guide touristique a toujours été valorisé en Algérie durant les années 1970 et 1980. Que s’est-il passé et pourquoi ce métier est relégué?

Le métier de guide avait été valorisé en Algérie durant les années 1970 et 1980, à l’époque de l’ex-ATA, entreprise publique qui avait le monopole des circuits touristiques, puis Altour qui l’avait remplacée et enfin la grande ONAT des années 1980. Afin de lancer les débuts du tourisme algérien, en 1970, on avait fait appel à des Algériens émigrés en Allemagne, en Angleterre et après une formation sommaire sur le rôle d’un guide, ils ont été lancés dans le bain. Mais suite à l’ exigence des tours Operators qui voulaient des guides de haut niveau, en 1977/1978, on avait fait appel à des universitaires, notamment ceux possédant une licence en langues étrangères, obtenu auprès de l’institut des langues et d’interprétariat. Ce qui nous avait permis d’avoir des compliments en 1987, de la part du voyagiste N°1 français de l’époque Fram ( Fer, route, air, mer). En effet, cette fonction avait commencé à péricliter à partir de 1991, débuts de l’intégrisme, puis du terrorisme qui avait perduré plus de dix ans. Ces anciens guides ONAT, n’ayant plus exercé depuis longtemps, avaient choisi d’autres voies professionnelles. Il n’ ya pas eu de relève, ni de formation appropriée, et ce, durant une vingtaine d’années. D’où cette situation peu reluisante du métier de guide.

En qualité d’expert, vous allez lancer des journées d’études en janvier, en février et en mars 2023 avec huit sessions à Alger, Bejaia, Constantine, Guelma, Batna, Tipasa, Oran, Biskra. Quelle est la teneur de ces sessions de formation ?

Cette situation m’a incité à apporter ma modeste pierre à l’édifice de la formation de guides en Algérie afin d’améliorer le niveau de ces jeunes. D’autant plus que je suis le délégué pour l’Algérie de l’Amforht. En octobre 1988, on avait organisé, par notre entreprise ONAT, un séminaire de formation de guides au Casif du complexe touristique de Sidi Fredj. Ce séminaire était encadré par le regretté Riadh Boufedji, responsable des guides à l’ONAT, et le meilleur depuis 1962 -Irremplaçable-,  Mohamed Khalfani, sous-directeur des programmes touristiques et moi-même, sous-directeur des ventes réceptif international. Ce séminaire bien encadré a été bénéfique pour une cinquantaine de futurs guides. Mes journées d’études sur l’initiation au métier de guide se dérouleront en plusieurs sessions. La première à Ain Taya, à 30 km à l’Est d’Alger, plus exactement à l’hôtel Zinou (3 étoiles), ouvert en 2021. Il y aura, entre autres, un module sur le tourisme, ses origines dans le monde, les débuts du tourisme international, avec Thomas Cook, qui créa la première agence de voyages en 1841, le premier voyage organisé en 1846, encadré par un guide, accompagnateur. Il y aura aussi l’histoire des guides algériens du Nord et du Sud, de 1962 à 2022, les débuts du tourisme algérien en 1970, afin qu’ils se familiarisent avec le tourisme.

Outre les professionnels du secteur, comme les agents de voyages, à qui s’adressent ces sessions de formation ?

Ces sessions d’initiation au métier de guide s’adressent aux agences de voyages, gérants et agents de comptoirs, des universitaires sans emploi. Ces derniers auront un job d’appoint, en attendant d’avoir ce qu’ils désiraient au départ,sachant qu’un guide débutant peut toucher 5 000 dinars/jour, un bon guide 8 000/10 000 dinars/jour, et un très bon guide ou guide conférencier 15 000/20 000 dinars/jour. Enfin pour les guides qui exercent déjà, mais sans formation, cela leur permettrait de se perfectionner. Toutes ces catégories apprendront les tâches essentielles et quotidiennes d’un guide, avant, pendant et après le voyage/circuit touristique. Comment enrichir constamment leurs connaissances historiques, culturelles, économiques, géographiques et autres arts culinaires algériens, ces sessions leur permettront d’avoir au moins 50% d’une formation de base, d’un bon guide. Ensuite, ils leur appartiendrait, selon leur sérieux et leur conviction de s’améliorer sur le terrain, en suivant les orientations, instructions et recommandations qui leur ont été édictées durant ces journées d’étude. Il faudra noter que ces sessions auront lieu en fonction de la demande, avec un minimum de 20 participants par session. Je préciserai que ces formations auront lieu dans des hôtels d’Ain-Taya, Hussein Dey, Sidi Abdellah (Zeralda), Tipaza (CET), Guelma, Constantine et Biskra.

R.L

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