Viandes rouges : les raisons de la crise
La Cour des comptes a consacré, dans son rapport annuel 2023, un chapitre au programme de restructuration, de développement et de régulation de la filière viande. Elle met en avant des dysfonctionnements dans la mise en œuvre de ce programme, ainsi que des problématiques structurelles affectant l’ensemble de la chaine des valeurs dans la filière et qui affectent le niveau des prix des viandes rouges.
Les prix des viandes rouges ont connu une importante inflation qui persiste depuis quelques mois déjà. Une augmentation des prix que les responsables du secteur ont attribué à une production insuffisante, liée à une richesse animale surévaluée au cours des dernières années. Cependant, la problématique de la filière viandes rouges semble plus profonde, au regard des conclusions rendus par la Cour des comptes concernant l’évaluation de la mise en œuvre programme de restructuration, de développement et de régulation de la filière viandes rouges au titre de l’exercice 2021. Elle pointe ainsi du doit des problématique liée à la mise en œuvre de ce programme qui est très loin d’atteindre ses objectifs notamment en ce qui concerne aussi bien le développement de l’élevage que la production de fourrages et de viandes, à des structures qui manquent d’efficacité, et à des problèmes structurels liés à un maché qui reste spéculatif, et mal approvisionné, alors que les objectifs du programme liés à la distribution ne sont pas atteints. La Cour des comptes rappelle dans ce contexte que la filière des viandes rouges (bovin, ovin, caprin et camelin) est classée la première en termes de chiffre d’affaires réalisé par rapport aux autres filières du secteur agricole.
Une production très insuffisante
« En 2021, elle a réalisé un chiffre d’affaires de près de 700 Mrds DA (à raison de 1 300 DA/KG), ce qui équivaut à près de 5 Mrds de dollars, représentant plus de 17% du chiffre d’affaires du secteur agricole ». Le rapport pointe déjà du doigt l’insuffisance de la production. « La production y afférente a atteint près de 537 000 tonnes (63% de viande ovine, 27% bovine, 7% caprine et 3% cameline), ce qui assure une disponibilité moyenne de 12,04 Kg/habitant/an (pour 44 599 222 habitants). La moyenne internationale étant de 34 Kg/habitant/an », note le document. La Cour des comptes rappelle aussi les objectif du programme de développement et de régulation des viandes rouges mis en place en 2010, ainsi que les moyens mis en œuvre dans ce cadre. Le programme en question s’est axé sur la « restructuration du portefeuille du secteur public de la filière des viandes rouges, en créant une nouvelle entreprise dénommée « Algérienne des viandes rouges-ALVIAR » ; le renforcement de ses capacités financières par l’assainissement financier des quatre filiales qui lui sont rattachées ; ainsi que la mise en oeuvre d’un plan d’investissement pour la réhabilitation et la mise à niveau de certaines infrastructures existantes et la réalisation de trois complexes régionaux de viande rouge (CRVRs) », rappelle-t-elle encore. Et d’ajouter que si le programme a été quasiment mené à terme à fin 2022, « il n’en demeure pas moins que les objectifs stratégiques qui lui sont assignés, à savoir le développement intégré de l’amont et de l’aval de la production des viandes rouges, la régulation du marché et le renforcement du contrôle sanitaire, ne sont pas atteints ». « Nonobstant, les lenteurs qui ont caractérisées l’exécution du plan d’investissement dont les délais devaient s’étaler de 2010 à 2014 et l’accroissement du coût de sa réalisation, les résultats obtenus en termes de développement des capacités de production, de traitement et de distribution des viandes rouges de la nouvelle société sont loin des projections établies dans le business plan », ajoute le rapport. La Cour précise aussi que faute d’une mise en oeuvre d’un plan de développement de l’élevage, l’effectif du cheptel détenu par ALVIAR, tout au long des années 2010 à 2021, n’a pas dépassé 5 à 6% des prévisions arrêtées. « En aval, les prestations d’abattage réalisées depuis la mise en exploitation des nouvelles infrastructures, représentées notamment par les trois CRVRs, traduisent un taux d’utilisation des capacités d’abattage inférieur à 2% sur la période allant de 2016 à 2021 », ajoute le rapport. « Actuellement, le secteur public de la filière des viandes rouges, représenté par ALVIAR et ses démembrements est marqué par des difficultés paralysantes et une faible performance, remettant en cause la viabilité économique du programme », assène la Cour. Pour expliquer ce constat d’échec du programme qui affecte d’ailleurs le marché, la Cour des comptes identifie trois types de problématiques. Il y a d’abord des facteurs exogènes. Elle évoque ainsi un marché à haute valeur spéculative, mal approvisionné et insuffisamment encadré institutionnellement et administrativement. Le rapport pointe également du doit « l’exercice ambigu et ambivalent de l’autorité fiscale et administrative », ainsi qu’ « un Conseil interprofessionnel de la filière inopérant », en faisant référence à l’ONILEV. Il y a aussi les problématiques liées à la conception du programme en lui-même. La Cour des comptes estime que « le business plan, établi dans ce cadre, a occulté deux éléments essentiels pour la réussite de tout projet portant développement intégré de l’amont et de l’aval : l’analyse de la chaine de valeur de toute la filière et l’étude du marché ciblé (fournisseurs/ client) ». Elle met également à l’index « la faiblesse de l’accompagnement, du suivi et du management stratégique et la faiblesse dans l’exercice de l’autorité vétérinaire »
Des autorisations d’importation qui ne profitent pas à Alviar
La Cour des comptes estime surtout que « les autorisations d’importation des viandes rouges n’ont que rarement profité à ALVIAR depuis sa création en 2010 », ceci sachant que l’Alviar est au cœur de ce dispositif de régulation. Enfin le rapport pointe du doigt les faiblesses de l’Alviar elle-même qui pèche, selon le document par « la faiblesse des capacités managériales et une gestion administrative inappropriée des processus économiques qui se focalise plus sur la dépense que sur la création de la valeur ». Au chapitre de la régulation du marché et des prix, la Cour des comptes souligne que 12 ans après le lancement du programme de restructuration du secteur public qui a donné naissance à ALVIAR, aucune opération de régulation n’a été effectuée selon le mode opératoire préconisé par le business plan et lequel prévoit notamment la constitution de stocks stratégiques en prévision des périodes de forte demande comme le Ramadhan et ce en raison de dysfonction dans la gestion financière entre autres.
Enfin la Cour des comptes a émis un certain nombre de recommandations concernant la gestion de cette filière. Elle préconise ainsi de mettre en place un plan de développement de la production fourragère adossé à un plan de mobilisation des ressources hydriques comme mesures préalables pour une maitrise de l’élevage bovin et ovin. Il s’agit aussi de revoir les termes et les conditions des interventions des autorités publiques dans la filière des viandes rouges à même de se réapproprier les instruments permettant la régulation du marché des viandes rouges, notamment à travers l’encadrement et l’organisation du marché ; la mise en place d’un système d’information statistiques fiable ; la réactivation du rôle de l’autorité vétérinaire dans le domaine du contrôle sanitaire des abattoirs ; le renforcement des mécanismes de contrôle de la perception de la taxe sanitaire sur les viandes (taxe d’abattage).
Sabrina Aziouez