L’Algérie troisième réservoir mondial de gaz de schiste: Opportunités et risques
Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international, ancien directeur général des études économiques, haut magistrat premier conseiller à la Cour des comptes, ex-directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach, Président de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne (2019-2021) et membre de plusieurs organisations internationale.
Le potentiel gazier algérien alimente l’intérêt de grandes compagnies pétrolières.
Selon le Wall Street Journal, Exxon Mobil et Chevron sont actuellement en pourparlers avec la Sonatrach et proches de signer des accords notamment le gaz, les deux compagnies étant intéressées par l’énorme potentiel algérien en la matière, le Wall Street Journal rappelant dans ce sens les propos du ministre de l’Énergie et des Mines Mohamed Arkab qui a souligné que sur les 1,5 million Km2 du domaine minier qui renferme les importantes réserves prouvées de l’Algérie en pétrole et en gaz, 53% ne sont pas explorés. Ce potentiel attire d’autre compagnies. L’Italien Eni a multiplié les accords de partenariat afin de renforcer sa présence en Algérie et l’Américain Occidental mise sur le renforcement de ses investissements en Algérie, d’autant plus que des incitations aux investisseurs ont été introduites par la loi sur les hydrocarbures de 2019. Outre les importantes potentialités dans les énergies renouvelables et l’hydrogène, c’est le gaz de schistes, qui est visé, l’Algérie détenant les troisièmes plus grandes réserves mondiales. C’est l’ objet de cette présente contribution dossier que j’ai eu l’honneur de diriger entre 2014/2015 qui est de retour dans l’actualité assisté des cadres du Ministère de l’Energie , de Sonatrach et d’experts indépendants étrangers et nationaux : gaz de schiste opportunités et risques 8 volumes 980 pages 2015 Premier Ministère).
Neuf précisions sur le gaz de schiste s’imposent
Premièrement, la fracturation nécessaire à l’exploitation du gaz de schiste est obtenue par l’injection d’eau à haute pression (environ 300 bars à 2500/3000 mètres) contenant des additifs afin de rendre plus efficace la fracturation dont du sable de granulométrie adaptée, des biocides, des lubrifiants et des détergents afin d’augmenter la désorption du gaz.
Deuxièmement, la rentabilité du gaz de schiste implique outre de tenir compte des coûts des canalisations pour arriver aux terminaux,le de la comparer à la structure des prix actuels au niveau international, prix très volatil ayant fluctué entre janvier 2023 et avril 2025 entre 28 et 45 dollars le mégawattheure expliquant pour l’instant la préférence des contrats à moyen et long terme. Aussi, on ne peut parler d’un marché de gaz comme celui du pétrole,(marché segmenté géographiquement) les canalisations représentant environ 65% de la commercialisation, mondiale, le GNL donnant plus d’autonomie dont le prix est supérieur de 2 à 3 dollars supérieur au GN allant vers 50% horizon 2030/2040. Tenant compte du coût du transport , devant contourner toute la corniche de l’Afrique pour arriver à l’Asie ( l’Iran, le Qatar et la Russie ayant un avantage comparatif, le marché concurrentiel pour l’Algérie étant l’Europe et l’Afrique.
Troisièmement, il faut savoir d’abord que le gaz de schiste est concurrencé par d’autres énergies substituables et que les normes internationales donnent un coefficient de récupération moyen de 15/20% et exceptionnellement 30%, l’exploration pouvant mener à la découverte de milliers de gisements mais non rentables financièrement, les réserves se calculent selon le couple prix international des énergies et coût.
Quatrièmement, il faut perforer des centaines de puits pour avoir 1 à 2 milliards de mètres cubes gazeux par an, plus de 1000 puits pour dépasser plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes gazeux, chaque puit ayant un volume de production spécifique
Cinquièmement, la durée de vie d’un puits ne dépasse pas cinq années, devant se déplacer vers d’autres sites assistant à un perforage sur un espace déterminé comme un morceau de gruyère.
Sixièmement, l’on devra tenir compte de la profondeur pour la technique traditionnelle de la fracturation hydraulique ( le coût n’est pas le même pour 600 mètres ou 2000/3000 mètres supposant le bétonnage), le coût du forage du gaz non conventionnel d’un puits devrait être moins de 5/7 millions de dollars pour être rentable, alors que selon les experts dans la situation actuelle en Algérie , il est de 18/20 millions de dollars par puits.
Septièmement, l’exploitation de ce gaz implique de prendre en compte que cela nécessite une forte consommation d’eau douce, et en cas d’eau saumâtre, il faut des unités de dessalement extrêmement coûteuses, notamment les techniques de recyclage de l’eau.
Huitièmement, il faut prévoir les effets nocifs sur l’environnement, (émission de gaz à effet de serre), la fracturation des roches pouvant conduire à un déséquilibre spatial et écologique. Et en cas de non maîtrise technologique, elle peut infecter les nappes phréatiques au Sud, l’eau devenant impropre à la consommation avec des risques de maladies comme le cancer.
Neuvièmement, ce sont surtout les USA qui maîtrisent cette technologie de fracturation hydraulique. Si l’Algérie veut aller vers l’exploration du gaz de schiste elle doit s’appuyer sur un co-partenariat incluant des clauses restrictives avec d’importantes pénalités en cas de non-respect de l’environnement et la formation des Algériens pour tout opérateur étranger
Quelles perspectives ?
Le Centre international d’information sur le gaz naturel, Cedigaz, évalue les réserves prouvées mondiales de gaz naturel à 205 507 milliards de mètres cubes , la structuration du Mix énergétique mondiale au 01 janvier 2023 étant composée du pétrole à 32% , du gaz naturel à 24%, du charbon à 27%, du nucléaire à 3% , du renouvelable y compris l’énergie hydraulique à 14%.Cette structure est appelée à évoluer entre 2030 et 2050 avec une croissance du gaz qui représenterait plus de 30% du mix, le pétrole 25% , le nucléaire 10% , l’hydraulique et, les énergies renouvelables dans toute leur composante y compris l’hydrogène vert et bleu 35% et à cet horizon environ 60 à 65% de la consommation mondiale d’énergie sera constituée de la combinaison du gaz naturel, des énergies renouvelables, énergie hydraulique, énergie éolienne, énergie solaire, la Biomasse , la géothermie et le développement de l’hydrogène vert et bleu. Quel sera la place du gaz de schiste décarboné au sein de la structure du gaz dans le cadre de la transition énergétique pouvant être une opportunité, mais devant évaluer les risques, les Etats Unis d’Amérique étant devenus le premier producteur mondial grâce à cette ressource. Selon l’Agence américaine de l’Énergie, les réserves rentables au cours du prix actuel dans le monde du gaz de schiste seraient d’environ 207 billions de mètres cubes répartis comme suit : la Chine 32 billions de mètres cubes, l’Argentine 23 billions de mètres cubes, l’Algérie 20 billions de mètres cubes, les USA 19 billions de mètres cubes, le Canada 16 billions de mètres cubes, le Mexique 15 billions de mètres cubes, l’Australie 12 billions de mètres cubes, l’Afrique du Sud 11 billions de mètres cubes, la Russie 8 billions de mètres cubes et le Brésil 7 billions de mètres cubes où pour l’Afrique, d’autres pays, comme la Libye, le Maroc, l’Egypte, la Tunisie, le Soudan et le Botswana possèdent des réserves non négligeables mais les études de faisabilité sont toujours à un stade embryonnaire.
Aujourd’hui, pour récupérer le gaz de schiste, la technique utilisée est la fracturation hydraulique, consistant à injecter un fluide consistant d’environ 90% d’eau, 8 à 9,5% de « proppants » (sable ou billes de céramique) et 0,5 à 2% d’additifs chimiques – sous très haute pression. Les recherches s’orientent sur la réduction de la consommation d’eau, le traitement des eaux de surface, l’empreinte au sol, ainsi que la gestion des risques sismiques induits. Nous avons la fracturation exothermique non-hydraulique (ou fracturation sèche) qui injecte de l’hélium liquide, des oxydes de métaux et des pierres ponce dans le puits, la fracturation à gaz pur peu nocive pour l’environnement est surtout utilisée dans des formations de roche qui sont sensibles à l’eau à maximum 1500 m de profondeur ; la fracturation pneumatique qui injecte de l’air comprimé dans la roche-mère pour la désintégrer par ondes de chocs, n’utilisant pas d’eau, remplacée par l’air mais utilisant certains produits chimiques en nombre restreints ; enfin la stimulation par arc électrique (ou la fracturation hydroélectrique) qui libère le gaz en provoquant des microfissures dans la roche par ondes acoustiques, utilisant selon les experts pas ou très peu d’ eau, ni proppants ou produits chimiques, mais nécessitant beaucoup d’électricité. Concernant le problème de l’eau qui constitue l’enjeu géostratégique fondamental du XXIème siècle (l’or bleu), selon les experts, trois types de fluides peuvent être utilisés à la place de l’eau : le gaz de pétrole liquéfié (GPL), essentiellement du propane, les mousses (foams) d’azote (N2) ou de dioxyde de carbone (CO2) et l’azote ou le dioxyde de carbone liquides. L’utilisation des gaz liquides permet de se passer complètement ou en grande partie d’eau et d’additifs. Pour les mousses, par exemple, la réduction est de 80 % du volume d’eau nécessaire étant gélifiées à l’aide de dérivés de la gomme de Guar. Aussi, la question de l’exploitation du gaz de schiste doit être l’objet d’un débat reposant sur les arguments, pour ou contre , des experts de l’énergie et non aux généralistes qui ne connaissent pas ce dossier complexe et en associant la société civile dont les association chargées de la protection de l’environnement face aux impacts du réchauffement climatique Et en dernier lieu seul le conseil national de l’Energie sous la haute autorité du président de la République est habilité à trancher. ademmebtoul@gmail. com