63e anniversaire de la création du GPRA : «Un événement majeur de l’histoire algérienne»
Le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé, le 19 septembre 1958 au Caire afin de «parachever la mise en place des institutions de la Révolution et a joué un rôle décisif dans l’internationalisation et la mobilisation de la communauté internationale autour de la cause nationale». Ce gouvernement a été dirigé par le militant politique et ancien dirigeant de l’UDMA (Union démocratique des amis du manifeste), Ferhat Abbas. Son premier acte diplomatique a été de dénoncer, dès le lendemain de sa création, à l’ONU, le référendum sur la nouvelle constitution annoncé par le président du conseil général, le général Charles De Gaulle. Ce texte qui a posé les fondements de la cinquième République française, devait être interprété, en Algérie, comme manifestant la volonté de la population de rester ou non attaché à la France. Ce premier acte du GPRA a été suivi par de nombreuses autres actions diplomatiques destinées à dénoncer l’occupant français, la puissance usurpatrice, et à faire connaître la cause algérienne sur la scène internationale. L’objectif escompté était de gagner le soutien et la solidarité de la communauté internationale à travers une participation aux fora internationaux et des visites à des pays solidaires du combat des Algériens pour l’indépendance. Sa création a rendu possible la participation de la République algérienne à de nombreuses manifestations, notamment au niveau africain, telles que les conférences d’Accra (Ghana-décembre 1958), Monrovia (Libéria-août 1959), Tunis (janvier 1960) et Casablanca (Maroc-1961). L’intense activité menée par des représentants officiels du GPRA et leurs actions diplomatiques dans les forums internationaux et dans les nombreuses capitales où le gouvernement présidé par Ferhat Abbas, disposait de représentations permanentes, y compris à l’ONU, ont permis à l’Algérie de faire entendre sa voix. Et pour cause, l’action du GPRA a influencé le débat sur la question algérienne à l’Assemblée générale des Nations unies. Pour la première fois, les Etats-Unis, l’un des principaux alliés de la France, choisissent l’abstention lors d’un débat au Conseil de sécurité, portant « un coup dur » au général De Gaulle qui cherchait l’appui du président américain Eisenhower. Ce qui constituait un véritable camouflet diplomatique pour la France coloniale qui considérait l’Algérie comme un territoire français et, de ce fait, elle soutenait que l’affaire relevait exclusivement de sa compétence nationale. Mais, c’était sans compter sur l’écho favorable qu’a trouvé le GPRA auprès de nombreuses capitales dans le monde, poussant la France à brandir la menace de rompre ses relations diplomatiques avec les Etats qui le reconnaîtraient. Ainsi, la bataille de la reconnaissance a été dure et a finalement abouti, affirmait l’ancien ministre du GPRA, le défunt Abdelhamid Mehri, relevant que «parmi les nombreux pays qui ont reconnu le GPRA, il y a avait la Chine et l’Union soviétique, deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU». Et d’ajouter : «c’était là, une grande victoire pour la cause algérienne». Aussitôt proclamé, simultanément depuis le Caire, Rabat et Tunis, le GPRA obtient la reconnaissance de dizaines d’Etats souverains qui ont apporté leur soutien indéfectible au combat des Algériens pour l’indépendance. Au 1er juillet 1962, à la veille du référendum d’autodétermination, un total de 36 pays avait reconnu le GPRA. Créé dans la double perspective : le débat à l’ONU et le référendum sur l’autodétermination, le GPRA a forcé le gouvernement français à le reconnaitre comme unique représentant du peuple algérien et un interlocuteur inévitable lors des négociations qui ont abouti à la signature des accords d’Evian, mettant fin officiellement à 132 années de colonisation française et à plus de sept ans de guerre.
Le GPRA a joué un rôle primordial » au plan international
Pour le président de l’Association des anciens du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) et ancien ministre, Daho Ould-Kablia, la création du GPRA a donné de la visibilité à la Révolution algérienne. En dépit de son statut « provisoire », le GPRA a joué un rôle primordial » au plan international, affirmait l’ancien ministre de la communication, Lamine Bechichi, précisant dans un témoignage que le GPRA « a conclu des dizaines d’accords et de traités internationaux ».
L’ancien chef du gouvernement, feu Réda Malek a relevé la grande portée historique de la création du GPRA, soulignant le contexte de sa création, marqué par la férocité de la guerre et les pressions de l’armée française sur le gouvernement d’alors.
Considéré comme un « évènement majeur » dans la marche de la révolution algérienne, la proclamation du GPRA était la concrétisation d’une décision prise lors du congrès de la Soummam. Le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), réuni en août 1958 au Caire, a préconisé dans ses résolutions la création du GPRA, concrétisée un an plus tard, par le Comité de coordination et d’exécution (CCE). Si l’objectif annoncé était le parachèvement de la mise en place des institutions de la Révolution, la constitution du GPRA devait permettre à la révolution algérienne de « franchir un nouveau stade ».
Le chef du groupe des négociateurs des Accords d’Evian et ministre des affaires étrangères, le défunt Krim Belkacem affirmait que « le monde extérieur ne nous respectera et ne nous fera confiance que si nous arrivons à parler le même langage et que nous adoptons un comportement efficace ».
La création du GPRA, une couverture légale à la lutte armée
Un avis corroboré et confirmé par les propos de l’ancien Ambassadeur et officier de l’ALN, Noureddine Djoudi qui a déclaré dans un entretien accordé à l’APS que «la création du GPRA le 19 septembre 1958, en pleine Guerre de libération nationale, a donné une couverture légale à la lutte armée sur le plan international et permis de surmonter les problèmes de coordination qui se posaient entre les différentes wilayas historiques en leur permettant d’aller dans la même direction». Et pour cause, cette annonce avait donné à la lutte armée une image légale au plan international, et que c’était cela l’objectif de la création du GPRA, qui a permis de surmonter un certain nombre de problèmes, notamment des problèmes de coordination à l’intérieur entre les différentes wilayas. Ce diplomate a expliqué que «la création de l’Etat-major était quelque chose de très important dans la mesure où les différentes wilayas allaient dans le même sens», tout en soulignant dans la foulée que «la création du GPRA, était une occasion pour « donner une structure internationale légale à notre lutte et surtout dire à la France coloniale qu’elle devait négocier avec un gouvernement provisoire reconnu de plein droit».
Dans le même sillage, l’ancien ambassadeur a indiqué que, dès le début de la lutte armée en novembre 1954 contre le colonialisme français, «il fallait que l’on passe du stade d’une révolution populaire au stade d’une révolution qui a sa structure gouvernementale. On ne discutait plus avec le FLN, en tant que mouvement politique, mais on discutait avec un gouvernement qui avait toutes les structures de ministères», considérant que «le fait de créer un gouvernement provisoire avait permis d’élever les bureaux de représentation du FLN se trouvant à l’étranger à un niveau d’ambassades». A travers la création du GPRA, a expliqué M. Djoudi, les dirigeants du FLN voulaient également répondre à la propagande coloniale sur l’Armée de libération nationale (ALN) en affirmant que cette dernière était formée de révolutionnaires et non pas de bandits sous la coupe de l’Union soviétique et du communisme international. Il a soutenu que l’un des objectifs était aussi de mener la guerre, de telle manière que l’on puisse forcer la France à faire des dépenses folles pour son armée, et créer une espèce de réaction négative à l’égard de la France sur le plan international, et surtout la forcer à discuter sur la base d’égal à égal. Plus explicite, il a affirmé que «c’était un appui et un argument de plus qu’on développait à ce moment-là, dans nos différentes représentations. On disait que nous n’étions plus des représentants d’un parti ou d’un groupe armé, mais des représentants d’un gouvernement, d’un peuple». L’ancien diplomate a tenu à mettre en exergue le travail « remarquable » de sensibilisation de l’opinion publique américaine effectué par Abdelkader Chanderli à New York qui avait réussi à amener le sénateur John Fitzgerald Kennedy à prononcer en 1957 son discours devant le Sénat américain sur le droit du peuple algérien à l’indépendance. Par ailleurs, la création du GPRA qui a mené les négociations lors des Accords d’Evian, a servi d’exemple pour d’autres pays, notamment l’Angola, et le Vietnam dans sa deuxième guerre contre les américains, a conclu Noureddine Djoudi.
De ce côté, l’ancien ministre, Dahou Ould Kablia a estimé que «la création du GPRA représentait un acte fondateur d’un système de direction aux normes d’Etat avec son administration, ses missions régaliennes, ses règles de gestion et son budget au service d’un cap et d’un agenda», ajoutant que «son bilan est la somme des réalisations de chacun de ses membres et de leur service, avait élargi la reconnaissance du combat légitime du peuple algérien, conforté sa représentativité dans les conférences, les forums et les débats régionaux, arabes, africains et internationaux». Selon le président de l’association des anciens du MALG, les dirigeants du GPRA ont été reçus dans les plus grandes capitales et il a neutralisé les tentatives de diversion et de division à l’intérieur et à l’extérieur, notamment sur les richesses du Sahara et isolé la France coloniale à l’ONU. Pour lui, le grand mérite également du GPRA avait été de construire et de mener un dossier de négociation, selon son propre agenda, avec « intelligence et fermeté » pour aboutir au résultat « le plus conforme aux exigences » de son objectif de liberté et de souveraineté. Mais le CCE avait fini par « atteindre ses limites » et n’avait pas tous les moyens de bien coordonner la lutte efficacement, d’où la nécessité d’aller vers une direction « plus représentative et élargie », à savoir le GPRA. C’est Aït Ahmed alors en prison avec ses compagnons, en l’occurrence Boudiaf, Khider et Ben Bella, qui avait suggéré la création d’un gouvernement provisoire à même d’être plus représentatif et plus crédible sur la scène internationale. Créé en pleine guerre de libération nationale, le GPRA s’est imposé, en un temps très court, non seulement comme la voix de l’Algérie en lutte, mais aussi comme le vecteur de l’internationalisation et la mobilisation autour de la cause algérienne contre le colonialisme français. Rappelons que la création du GPRA est intervenue en application des décisions du CNRA, lors de sa réunion au Caire du 20 au 27 août 1957, au cours de laquelle il a été décidé de sa proclamation officielle le 19 septembre 1958. La constitution du GPRA était ainsi la concrétisation par le CCE des résolutions adoptées par le CNRA.
Faiçal Bedjaoui