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La Cour des comptes pointe du doigt des EPE mal gérées qui croulent sous les dettes : Vers de nouvelles privatisations ?

S’achemine-t-on vers une nouvelle restructuration des capitaux marchands de l’État qui doit ouvrir la voie à la modernisation des entreprises publiques, voire de nouvelles privatisations et l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques. Les réponses du ministère de l’Industrie auconstat sans équivoques de la Cour des comptes sur la gestion du secteur public économique, laissent entendre qu’un processus en ce sens est en marche.

C’est un constat accablant que la Cour du compte a établi concernant la gestion des capitaux marchands de l’État. Dans son rapport annuel sur la gestion des administrations et entités économiques publiques sur la période allant de 2019 à 2020, jusqu’à déborder sur partie de l’année 2021 pour certaines de ses constatations, l’organe de contrôle des comptes de l’État à posteriori pointe du doigt la gestion d’un secteur public qui peine à faire preuve d’efficacité économique et de rentabilité malgré l’important soutien de l’État qui s’est manifesté à travers les multiples opérations d’assainissement financiers menées par le passé et les aides au redéploiement de ces entreprises plus récemment. Pis, excepté certains grands groupes, les EPE croulent, selon les constations de la Cour sous les dettes et souffrent de nombreuses carences, notamment en matière de formation de la ressource humaine et de maîtrise des équipements technologiques et innovants. Il est vrai que la Cour des comptes souligne le fait que la gestion du secteur public marchand a souffert de l’incohérence des dispositifs mis en place au grès des restructurations et des changements des orientations des politiques économiques.  Mais les carences répondent à des facteurs plus profonds. « Les objectifs escomptés par les pouvoirs publics n’ont pas été pleinement atteint en raison notamment de l’incohérence du dispositif, du manque d’une stratégie clairement définie, de la faible circulation de l’information économique et financière des EPE et de l’absence d’une banque de données sur le SPM. A ces insuffisances s’ajoutent le défaut d’une coordination entre les organes prévus par le dispositif et d’une comptabilité uniforme des participations de l’Etat », souligne le rapport annuel 2022 de la Cour des comptes. Et si l’inefficacité des restructurations et des assainissements du secteur public a été maintes fois mise en avant par le Gouvernement et à sa tête le Premier ministre AïmeneBenabderrahmane, la Cour des comptes confirme le constat. Elle rappelle ainsi que les EPE, hors banques et établissements financiers et assurances, « sont structurées en groupes industriels et en EPE non affiliées qui exercent dans plusieurs domaines d’activité et dont la supervision est assurée par 15 départements ministériels. Elles sont au nombre de 33 groupes et 11 EPE non affiliées et disposent globalement de 647 filiales dont 117 fermes pilotes et 45 participations à l’étranger (dont 25 détenues par SONATRACH à 100%, une (1) détenue par Algérie télécom à 100% et deux (2) détenues par GATMA à 60% et le reste de ces participations (17) est minoritaire ».

Elle explique aussi que le secteur public marchand présente  à l’exception d’un nombre très réduit de groupes à savoirSONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agro-industrie), « de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat ». Elle précise que les assainissements financiers, à titre d’annulation des créances du Trésor, de rachat des dettes et de gel du découvert, se sont élevés, pour lapériode allant de 2003 au premier trimestre 2019, à 1 903 milliards de dinars, alors que les plans de modernisation et de développement des groupes publics, financés par des crédits bancaires à un taux bonifié, ont atteint au 31 mars 2020 un montant global1397 Mrds de DA.

Des sommes colossales investies sans que le retour sur investissement ne justifie l’effort.

Un endettement colossal !

L’organe judiciaire de contrôle souligne que le cumul des dividendes recouvrés par le Trésor depuis 2007 jusqu’au 30 septembre 2020, soit au bout de 14 ans, est de 1 665 Mrds de DA, dont 1 020 Mrds de DA ont été versés par Sonatrach (soit 61,28%) et 645 Mrds de DA par les autres EPE (soit 38,72%). Un constat qui met en avant des taux de rentabilité marginaux au regard de l’importance des investissements consentis par l’État. Pire les EPE croulent littéralement sous des dettes dont l’encours dépasse plus de la moitié de la valeur de leurs actifs. La Cour des comptes souligne ainsi que les dettes du secteur public marchand représente plus de 11.578 milliards de dinars lesquels financent 52% de leurs actifs. Même si le rapport en question souligne que 72% de ces dettes sont détenues par la Sonatrach et la Sonelgaz, le rapport souligne que la dette finance 70% des actifs des groupes et EPE non-affiliés et 90 % des actifs des groupes SNVI, IMETAL, TRANSTEV, ENPI et GRCN ! des dettes sont principalement contractées auprès du Trésor et des banques publiques. « Le CPE, lors de sa session du 12 décembre 2018, avait examiné la situation de l’endettement au 31 décembre 2017 des groupes et EPE relevant du périmètre de l’ECOFIE3 qui s’élève à 2 350 Mrds de DA et représente 187% des capitaux propres de ces groupes », note encore la cours des comptes.

Le plan privatisations du ministère de l’Industrie

C’est dans ce contexte que la Cour des comptes a émis un certain nombre de recommandations à l’image de la nécessité de mettre en place une instance nationale de gestion des participations de l’Etat (en remplacement du CPE), à l’effet d’exercer la qualité d’actionnaire pour le compte de l’Etat. Il s’agirait ainsi d’assurer la gestion et le suivi des participations de l’Etat, directes ou indirectes, majoritaires ou minoritaires et la représentation de l’Etat au sein des organes délibérants des entreprises bénéficiaires des participations de l’Etat. Elle serait aussi chargée d’analyser et consolider la situation économique et financière du portefeuille de l’Etat et mener toutes études prospectives en vue de favoriser la performance des EPE et l’autonomie de leur croissance et d’examiner les stratégies et les plans de développement et de financement des EPE en collaboration avec les ministères sectoriels et y formuler un avis, entre autres.

La Cour recommande également de définir clairement les relations entre les ministères sectoriels et les groupes industriels et les EPE non affiliées de manière à assurer une autonomie de décision opérationnelle pour les dirigeants des groupes et des EPE, mais aussi de « promouvoir une politique de partenariat avec le secteur privé national et étranger en vue d’assurer une meilleure gouvernance de l’entreprise et permettre, par ailleurs, à l’Etat de se consacrer aux EPE qu’il considère comme stratégiques ». Des recommandations qui semblent d’ailleurs, coller, du moins en partie, aux réformes projetées par le département de l’Industrie et au énième plan de restructuration qu’il entend déployer. D’ailleurs, dans ses réponses aux constatations de la Cour des comptes, le département d’Ahmed Zeghdar fait référence à un large redéploiement qui doit ouvrir la voie à terme à l’ouverture du capital de certains groupes publics, voire la privatisation de certaines EPE. Ainsi, dans la correspondance du ministère de l’Industrie que la Cour des comptes a versé à son rapport, celui-ci évoque la mise en place de nouvelles structures organisationnelles qui doivent coller aux objectifs de redéploiement et faire évoluer la législation, notamment en ce qui concerne le partenariat avec le privé, l’ouverture du capital des entreprises et la privatisation.

Le département d’Ahmed Zeghdar explique ainsi avoir engagé une action dont l’étude est en cours d’examen par l’EPE ECOFIE, ayant pour objet la proposition de la création d’une nouvelle structure devant gérer les participations de l’Etat, et ce, « conformément aux instructions de monsieur le Premier ministre et des recommandations de la Conférence Nationale sur la relance de l’Industrie, tenue les 4, 5 et 6 décembre 2021 ». Il a également évoqué la mise en place d’une direction du redéploiement chargé de missions ayant trait à la promotion du partenariat, notamment à travers « la contribution à l’élaboration du programme de développement, de redéploiement, de privatisation et d’ouverture du capital du secteur public industriel » ; la préparation, en relation avec les parties concernées, des « programmes d’ouverture du capital et de privatisation des entreprises publiques économiques relevant du secteur de l’industrie  ; la proposition de toute mesure d’amélioration du dispositif législatif et réglementaire relatif à la privatisation et à l’ouverture du capital des entreprises publiques économiques industrielles la proposition de toute réorganisation de nature à renforcer la compétitivité et l’efficience des entreprises publiques économiques relevant du secteur de l’industrie » ;la gestion et suivi des actions spécifiques et des participations minoritaires et/ou majoritaires de l’Etat dans le capital des entreprises privatisées. Faisant référence à la promotion d’une politique de partenariat avec le secteur privé national et étranger, le ministère indique avoir prévu la mise en place d’une direction spécialement dédiée au partenariat, et ce dans le but d’encourager et d’encadrer les partenariats entre entreprises, notamment publiques et privées et de suivre leur mise en oeuvre ; de promouvoir et d’identifier, en coordination avec les parties concernées, les opportunités de partenariat entre les entreprises publiques économiques industrielles et les opérateurs privés nationaux et étrangers.

Samira Ghrib

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