ContributionDébats

Après le dernier remaniement ministériel : Recentrer les objectifs stratégiques

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur de universités, expert international – ancien directeur d‘études au ministère de l’énergie et à la Sonatrach- ancien directeur général des études économiques et haut magistrat-premier conseiller à la Cour des comptes (1980-1983)- ex-président du Conseil national des privatisations avec rang de ministre Délégué (1996/1999)

L’objectif du dernier remaniement du gouvernement opéré il y’a une semaine est de créer une nouvelle dynamique afin, comme cela a été annoncé à maintes reprises par les pouvoirs publics, de mettre en branle une relance effective de la machine économique pour l’année 2023. Plus important n’est pas seulement un changement de femmes et d’hommes aux postes de responsabilités, mais d’avoir une véritable planification stratégique au plan interne et une adaptation aux nouvelles mutations au plan international. Car il reste beaucoup à faire pour concrétiser les objectifs, notamment sur le plan économique.

Selon les statistiques douanières à fin 2022, plus de 80 % des exportations hors hydrocarbures sont constituées de semi -produits dont plus de 60/70% de dérivées d’hydrocarbures. Il faut aussi reconnaître que les indicateurs tant macro- économiques que macro- sociaux et la croissance sont fonction essentiellement de la dépense publique via la rente des hydrocarbures. En 2022, le cadre macro-économique a été relativement stabilisé, grâce au cours élevé des hydrocarbures pétrole et gaz. Selon le dernier rapport de la Banque d’Algérie ayant atteint, le prix moyen du pétrole a été estimé à 109 dollars pendant les neuf premiers mois de 2022 (contre 72,7 dollars en 2021), tandis que ceux du gaz ont plus que doublé, passant de 5,2 à 11,5 dollars le million de BTU. Ce qui a permis des distributions de revenus comme tampon social . Ces indicateurs ne doivent en aucun cas faire qu’une Nation n’est forte dans les relations internationales que si son économie est forte, reposant sur des entreprises compétitives en termes de coûts/qualité avec pour fondement la bonne gouvernance et le savoir. Une économie qui ne distribue que ce qu’elle produit, le versement de salaires sans contreparties productives, à terme, pouvant conduire à une dérive sociale et donc déstabiliser le pays.

Selon les normes internationales, une le seuil de rentabilité d’une PME ne sera atteint qu’au bout de deux à trois années après sa mise en exploitation et ce, sans compter les délais des études, du financement et la levée des contraintes d’environnement. Pour les projets hautement capitalistiques, ce seuil passe à cinq ou sept ans.

Il est important de prendre ces facteurs en compte, d’autant plus que la création d’entreprises doit être un objectif stratégique. Car avec la pression démographique galopante – L’Algérie compte plus de 45 millions d’habitants au 01 janvier 2023 et en comptera 50 millions horizon 2030-, avec une demande additionnelle d’emplois qui s’ajoute au taux de chômage actuel, il faudra un taux de croissance de 8/9% sur plusieurs années pour absorber le flux additionnel de 350.000/400.000 demandeurs d’emplois par an.

Les pouvoirs publics ont lancé de grands projets structurants pour relancer l’économie nationale, à l’image de l’exploitation du fer de Ghar Djebilet. Un projet qui nécessite la réalisation d’unevoie ferroviaire et de résoudre le problème technique, le fer étant oxydé à 0,8% devant le ramener aux normes internationales pour sa commercialisation à 0,1%. Il y a aussi le projet du phosphate intégré de Tébessa  et de lui de l’exploitation de la mine de zinc de Béjaïa. N’oublions pas non plus le projet de Grand port commercial centre de Cherchell, et bien d’autres. Des projets qui doivent être prioritaires et capter les ressources au lieu de les perdre dans des assainissements répétés d’entreprises non compétitives qui selon les données du Premier ministère ont coûté ces trente dernières années et jusu’à la fin 2020 pas moins de 250 milliards de dollars. Nous assistons avec la poussée du processus inflationniste du fait du déséquilibre offre/demande avoisinant selon les sources officielles 9/10% à des entreprises publiques privées en berne, une balance commerciale excédentaire ayant peu de signification, du fait des restrictions aveugles des importations de matières premières, puisque fin 2022, le taux d’intégration au niveau national ne dépasse pas 15%. Le P-DG de la Sonatrach a indiqué et  je le cite que «l’Algérie prévoit de mettre sur le marché pas moins de 100 milliards de mètres cubes gazeux dans les cinq prochaines années » et non pas comme annoncé par certains soi-disant experts organiques sur les plateaux de télévision qui voulaient faire plaisir au président de la République en 2023, en lui donnant de fausses informations. La production totale à ne pas confondre avec les exportations , consommation intérieure , plus exportation, plus 15/20% de réinjection dans les puits pour éviter leur épuisement, a avoisiné en 2022, 125/130 milliards de de mètres cubes gazeux, devant au minimum, fonction de l’accroissement de la forte demande intérieure et d’importants investissements , produire 180/200 milliards de mètres cubes gazeux pour pouvoir exporter 100 milliards de mètres cubes gazeux . A court terme, les exportations peuvent croître seulement entre 4/5 milliards de mètres cubes gazeux. Dans ce contexte , il ne faut pas être utopique et croire les exportations d’hydrocarbures seront encore pour longtemps la principale ressource en devises du pays  avec 98% en 2022 avec les dérivées inclus dans la rubrique hors hydrocarbures. D’où l’importance d’être attentif aux exportations des hydrocarbures , notamment les conditions pour réaliser le doublement ses exportations de gaz vers l’Europe de 11 à 25% , son principal client 88/ 90% de ses exportations de gaz , mais sous réserve d’une évolution positive du prix au niveau du marché international et devant tenir compte de la forte concurrence .

Huit conditions pour doubler les exportations

Pour doubler les exportations de gaz il faut huit conditions. La première condition, concerne l’amélioration de l’efficacité énergétique et une nouvelle politique des prix renvoyant au dossier de subventions qui alimente la forte consommation intérieure presque équivalente aux exportations, étant prévu 50 milliards de mètres cubes gazeux en 2025 selon le PDG de Sonelgaz. Il devient intolérable que l’on continue à la fois de livrer le prix du gaz à certaines unités à 10/20% du prix international et à construire des millions de logements avec les anciennes techniques alors que les nouveaux procédés permettent d’économiser entre 30/40% de la consommation d’énergie. La deuxième condition, est relative à l’investissement en amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels, tant en Algérie que dans d’autres contrées du monde, les hydrocarbures traditionnels ayant permis les investissements via la dépense publique. La position de l’Algérie envers l’Europe et d’autres pays est claire : la loi nouvelle des hydrocarbures étant attractive, Sonatrach étant limitée dans l’autofinancement, elle appelle ses partenaires à investir dans le cadre d’un partenariat gagnant – gagnant et on pourra augmenter les exportations. La troisième condition, est liée au développement des énergies renouvelables (actuellement dérisoires, En parallèle, des investissements conséquents seront réalisés pour développer les capacités solaires du pays pour les porter de 500 MW en 2022 à 15.000 MW en 2035 selon le Ministère de l’Energie ( source APS), en combinant le thermique et le photovoltaïque, le coût de production mondial ayant diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Avec plus de 3.000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, le ministère de l’Energie, ayant programmé sous réserve de trouver des financements de couvrir 40% de la consommation intérieure à partir des énergies renouvelables horizon 2030/2035 et une fraction exportable à partir des interconnexions. Les européens affichent de l’intérêt pour le développement du partenariat dans les ENR avec l’Algérie. Le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell a indiqué lors de sa visite à Alger , et je le cite : « nous souhaitons développer cette relation ensemble avec l’Algérie, pas seulement pour le présent, pas seulement pour le gaz aujourd’hui, mais en regardant vers le futur, en privilégiant les investissements européens dans le secteur des énergies renouvelables… Ce futur là pour l’Algérie est très prometteur, puisque l’Algérie a un énorme potentiel dans le domaine des énergies renouvelables ». La quatrième condition, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013 et 2022, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité croissante. La cinquième condition, est le développement du pétrole/gaz de schiste. Selon les études américaines, l’Algérie possède le troisième gisement mondial d’environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux, mais qui nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement et des partenariats avec des firmes de renom ( voir dossier 9 volumes 890 pages sous la direction du Pr A.Mebtoul, opportunité et risques et urgence de la transition énergétique Premier ministère 2015) . La sixième condition, consiste en la redynamisation du projet GALSI, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux dont le coût était estimé en 2012 à 3 milliards de dollars, ayant doublé depuis ( un tracé très complexe), dossier que j’ai défendu lors de mon déplacement en Italie en 2012 et qui a été abandonné par l’Italie sous la pression des élus de la Sardaigne qui devrait être réactivé mais toujours sous réserve de l’approbation des élus de la Sardaigne et s’il devait être branché, comme prévu initialement vers la Corse en France . La septième condition est l’accélération de la réalisation du gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie, d’une capacité de plus de 33 milliards de mètres cubes gazeux, selon les études européennes de 2020 un coût d’environ 20 milliards de dollars contre une estimation de 11 milliards de dollars en 2011,plus rentable que celui du Maroc évalué par le centre de recherches IRIS de 30 milliards de dollars pour une durée de réalisation de 10 ans, mais nécessitant l’accord de l’Europe, principal client. La huitième condition, est le développement de l’hydrogène vert où l’Algérie est bien placée pour produire de l’hydrogène vert à des prix très compétitifs. Fin 2022, le groupe Sonatrach a signé un accord avec le groupe allemand VNG afin de construire des usines de production d’hydrogène vert à travers le pays, et exporter en direction de l’Europe , étant prévu d’investir entre 20 à 25 milliards de dollars horizon 2030/2035. Mais l’Allemagne a dans ses négociations récentes avec l’Algérie mis l’accent sur l’importance des projets dans les énergies renouvelables, notamment dans l’hydrogène vert et le solaire et a exprimé les attentes des entreprises allemandes pour voir comment le gouvernement algérien compte procéder dans le domaine des énergies renouvelables (EnR), à savoir l’appel d’offre du projet Solar 1000 mégawatts ou le programme des 15000 mégawatts”.

En conclusion, si les cours des hydrocarbures ont permis une relative aisance financière, qui a positivement impacté les réserves de change de l’Algérie, évaluées à par la Banque d’Algérie fin septembre 2022 à 52,763 milliards de dollars et fin février à 64,63 milliards de dollars, avec une baisse de l’encours de la dette extérieure passant de 3,062 milliards équivalent dollars fin décembre 2021, à 2,914 milliards à fin septembre 2022, donnant des marges de manœuvres pour relancer l’économie nationale, il faut faire attention, à l’illusion monétaire. Le capital -argent n’est qu’un moyen, une richesse virtuelle qu’il s ‘agit de transformer en richesses réelles. Par ailleurs, les cours des hydrocarbures sont fonction de l’évolution de la croissance de l’économie mondiale qui sont volatils, avec le spectre de crise mondiale depuis janvier 2023, où les Etats Unis ont mis en place des mesures d’urgence pour le système bancaire après l’effondrement de Silicon Valley BanK, banque californienne qui s’est donnée pour métier de financier le développement des start-ups et le plongeon de Crédit Suisse à la Bourse qui a eu des répercussions sur le secteur bancaire français , avec la chute des actions de Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole. Ainsi, le cours du Brent étant coté le 17 mars 2023 à 75,81 dollars, le WIT à 69, 53 dollars et le gaz naturel selon la revue usine nouvelle devrait se négocier entre 50/60 dollars le mégawattheure pour l’année 2023 , contre 300 dollars au moment du conflit en Ukraine , étant coté entre février et début mars 2023 sous la barre des 50 dollars. En bref, souhaitons que pour l’année 2023, l’Algérie pays à fortes potentialités, acteur stratégique de stabilisation de la région méditerranéenne et africaine opte par une nouvelle gouvernance et puisse renouer avec le développement en conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale.

A.M.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *