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Politique anti-Corruption de Sonatrach : Les conditions de l’opérationnalité

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international , docteur d’Etat en sciences économiques, ancien Directeur des études ministère de l’Énergie et à Sonatrach.

Le Groupe Sonatrach a procédé, le 09 mai 2023, à la signature de sa Politique anti-Corruption, ainsi que du Code de conduite y afférent visant à mettre en place les mécanismes de contrôle et de prévention qui proscrivent la corruption et ce, conformément aux exigences de la norme internationale ISO 37001, relative au système de management anti-corruption (SMAC).

Ayant passé plus de 40 ans au sein du ministère de l’Énergie et à la Sonatrach, j’ai pu assister au moins à trois installations d’un comité d’éthique par les différents ministres de l’Énergie et de PDG de Sonatrach sans que cela ne mettent fin à la corruption comme en témoigne les différents scandales financiers qui ont touché ce secteur. Car le plus important est de s’attaquer à l’essence de ce mal qui ronge la société et non aux apparences. L’efficacité de cette décision suppose trois conditions et qui s’appliquent à la majorité des entreprises publiques y compris les banques, comme j’ai pu le constater en tant qu’ancien haut magistrat et directeur général des études économiques à la Cour des comptes. Premièrement ne pas isoler la micro-gouvernance de la macro-gouvernance (cohérence de la politique économique globale); deuxièmement on ne peut être juge et partie, comme en témoigne les nombreux responsables condamnées pour corruption, cela suppose de réhabiliter des organes de contrôle externes indépendants de l’exécutif à l’instar de la Cour des comptes. Pour Sonatrach , objet de cette contribution, cette décision implique de revoir son fonctionnement pour un nouveau management stratégique, pour plus de transparence . Dans plusieurs audits sous ma direction ainsi que des cadres dirigeants du ministère de l’Énergie, de Sonatrach et d’experts indépendants, (voir quatre audits sous ma direction assisté des cadres dirigeants de Sonatrach et d’experts indépendants sur le contrôle de Sonatrach 1974/1976- 1990/1993-2006/2007- 2013/2015 – conférence au Forum mondial du développement durable, Paris 13 mars 2017, sur les axes de la transition énergétique de l’Algérie- conférence à HEC Montréal 2012 pour un nouveau management stratégique de Sonatrach et conférence à l’Ecole supérieur de Guerre- MDN 2019, face aux nouvelles mutations mondiales, les impacts macro- économiques et macro- sociaux de la gestion de Sonatrach, même conférence réactualisée devant les ambassades accrédités à Alger en 2021 à l’invitation de la commission européenne), il nous a été difficile de cerner avec exactitude les coûts de production de ses différentes structures. D’où l’impossibilité pour cette société qui procure environ 97/98% des recettes en devises, avec les dérivées inclus dans la rubrique hors hydrocarbures pour 60/70% de la valeur et qui irrigue indirectement à travers la dépense publique toute la société, de se porter en bourse à l’instar d’une grande société comme Gazprom ou d’autres compagnies internationales. L’objectif étant d’optimiser les conditions de mise en œuvre des options stratégiques dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.

12 conditions

La Sonatrach signe aujourd’hui une nouvelle politique anti-corruption au niveau interne de Sonatrach. Son opérationnalité implique 12 actions interdépendantes/

1.-Diagnostiquer l’impact de l’environnement national et international sur Sonatrach et l’appréciation des domaines où l’interface Sonatrach/ environnement peut être améliorée afin de rendre plus performante l’entreprise et la hisser au niveau de la concurrence mondiale.

2.- Mettre en place un audit financier interne sérieux avec des experts indépendants qui devrait permettre d’identifier les gisements de productivité et les niches de gains de coûts (comparaison avec des compagnies tests)- volume, rentabilité et analyser la stratégie des principales institutions similaires dans le monde sur les plans: technologie- standards et normes- sous-traitance afin de réduire les coûts et d’avoir une stratégie agressive, afin de prendre des parts du marché. L’objectif est d’optimiser les conditions de mise en œuvre des options stratégiques dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.

3. Analyser les circuits banques primaire- Banque centrale -Sonatrach pour les conditions de paiement, afin d’accélérer la rapidité des opérations, où actuellement les procédures bureaucratiques nuisent à la prise de décision qui doit se faire en temps réel, ainsi que les structures d’appui techniques et de formation, l’identification de la stratégie des entreprises concurrentes et des institutions internationales et leurs facteurs

4.- Mettre en œuvre un modèle de simulation qui doit aboutir à plusieurs variantes en fonction des paramètres et variables, fonction de contraintes qu’il s’agira d’éliminer pour éviter des effets pervers. Ce modèle doit prendre en compte le niveau des réserves d’hydrocarbures, fonction du vecteur prix international, du coût d’exploitation, de la durée de vie du gisement, des découvertes technologiques et des énergies substituables. Cela permettra d’ identifier chaque action, de décrire le contenu, d’évaluer les moyens, les délais, les coûts associés à l’action, vérifier le niveau de gain attendu éventuel, rédiger une fiche descriptive de chaque action accompagnée d’un tableau récapitulatif des moyens.

.5.- Au niveau de la gestion interne, fixer les objectifs d’amélioration des performances reliés à chaque fonction ou à chaque système de gestion, selon une démarche descendante et en vérifier le réalisme (ratios, contexte), vérifier qu’à chaque objectif fixé peuvent être associés des indicateurs de performance faciles à mettre en oeuvre et évaluer l’ordre de grandeur des impacts attendus (gains, qualité, délais, coût…), selon une démarche ascendante

6. – Faire un audit opérationnel du patrimoine existant, en le réactualisant à la valeur du marché ce qui implique la mise en place d’ une comptabilité transparente liée à la nouvelle organisation de Sonatrach pour réduire les coûts et, notamment un audit des immobilisations corporelles et incorporelles. Ces immobilisations sont souvent traitées d’une manière superficielle, alors qu’elles sont déterminantes pour une entreprise comparable à Sonatrach.

 7.- Évaluer le degré de compétitivité des outils, équipements et immobilisations utilisés dans le contexte d’évolution technologique international. Cette opération d’audit consistera à rassembler l’information sur les caractéristiques techniques, et les conditions de fonctionnement des équipements et de gestion des immobilisations, évaluer ses équipements et immobilisations corporelles et incorporelles, le niveau des stocks dormants, (objectif stock zéro) supposant de connaître le niveau d’automatisation, le niveau de performance, les besoins de maintenance non satisfaits et enfin la compétence du personnel utilisateur. Cela permettra d’analyser les forces et les faiblesses technologiques des équipements, les alternatives stratégiques sur les programmes d’investissements, le besoin de formations techniques et d’acquisitions de savoir-faire.

.8. -Concentrer le développement de Sonatrach en amont et en aval – noyau dur de l’entreprise, évitant la dispersion, en se spécialisant dans ses métiers de base. Pour les autres activités existantes, comme le raffinage, le transport, la transformation et la distribution, seuls les audits pourront tracer les actions concrètes à mener en envisageant soit d’internaliser l’activité, soit de l’externaliser avec une priorité au profit des cadres et travailleurs du secteur de certaines activités ou le partenariat afin d’éviter la dispersion source de gaspillage des ressources et d’inefficience de l’entreprise.

9. -Sur le plan organisationnel, évaluer l’efficacité de la structuration actuelle en fonction des axes stratégiques de Sonatrach, mettre en place des structures organisationnelles plus adaptées à ses missions et évaluer les systèmes d’information en temps réel quant à leur efficacité sur le plan délai, coût et atteinte des objectifs et ce, afin de déterminer le test d’efficacité des structures et organigrammes existants, de leur compatibilité avec les contraintes existantes, l’évaluation des circuits et analyser les supports d’information de gestion, afin de raccourcir les délais source de surcoûts et des propositions concrètes pour améliorer l’organisation,

10.- Revoir le système comptable, pour plus de transparence. Sonatrach, bien qu’il existe une direction de l’audit au niveau de la direction générale, établit souvent un bilan consolidé où l’on ne cerne pas correctement les centres de coûts, du fait de ce que les économistes appellent les comptes de transfert, pouvant voiler la mauvaise gestion d’une division. Aussi faute de comptes physico-financiers à prix constants, les ratios de gestion sont d’une signification limitée pour apprécier la performance. D’où l’urgence de mettre en place des comptabilités analytiques, afin de discerner les centres de coûts en temps réel et de mieux adapter les structures organisationnelles à la mission et aux contraintes de Sonatrach.

11.- Analyser l’ensemble des règles juridiques influençant le secteur énergétique (environnement légal et institutions publiques), afin de permettre une gestion transparente des coûts et des contrats. Cela suppose la mise en place d’une formation pointue et d’instruments adaptés aux normes internationales, ce qui devrait permettre des économies, de développer le partenariat, de mieux définir les projections économiques et financières et permettre les prévisions par la simulation / modélisation pour la prise de décision en temps réel, afin d’éviter les nombreux litiges qui se chiffrent en dizaines de millions de dollars

12.- Pilier de Sonatrach, un audit de la gestion des ressources humaines qui est le fondement de l’efficacité de Sonatrach, reposant sur le dialogue permanent avec le collectif des cadres et travailleurs et le renforcement des liens- centre de recherche -université, Sonatrach, le poste de services au niveau de la balance des paiements, 10/11 milliards de dollars de sorties de devises entre 2010-2019, entre 7/8 milliards de dollars 2020-2021 étant largement accaparé par Sonatrach. La performance des ressources humaines, repose sur une formation permanente, ce qui implique un audit mettant en relief nettement la typologie du personnel existant, l’adéquation de la formation aux besoins de Sonatrach, la disponibilité des compétences adéquates, les politiques de recrutement, l’évolution de la productivité du travail, des mesures d’incitation et l’évaluation du climat et de la culture d’entreprise de Sonatrach (audit social et audit de la culture), et une gestion plus rationnelle des importantes sommes des œuvres sociales que consacre, annuellement, Sonatrach.

En résumé, propriété de toute la Nation et enjeu de pouvoir, l’image de Sonatrach se répercute sur toute la société, d’où l’importance d’avoir un nouveau management stratégique. L’on devra analyser avec précision, si les recettes de Sonatrach sont dues à des effets externes (envolée des prix au niveau international ou à une meilleure gestion interne). Nos calculs en comparaison des recettes de 2021, 34,5 milliards de dollars et 60 milliards de dollars en 2022 montrent que cette augmentation est due à plus de 90% aux effets prix externes. Car si on prend les recettes de 2022, 60 milliards de dollars( devant retirer les coûts et la part des associés pour déterminer le profit net restant à Sonatrach) , une meilleure gestion interne de 20% permettrait d’augmenter les recettes de près de 10 milliards de dollars. Il faut être réaliste, l’Algérie dépendra encore pendant de longues années des recettes de Sonatrach ce qui implique l’urgence d’un nouveau management stratégique.

A.M.

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